Si Paris se vide de ces actifs avec enfants, il ne faudrait pas pour autant n’y voir que le Paris branché, le Paris des affaires ou le Paris-Musée. Des familles y vivent et deux sociologues de l’université Paris Descartes se sont penchés sur le cas de celles-ci à l’occasion d’une enquête diligentée par la ville de Paris.

La sociologie classique, qui examine les impacts de la ville sur les familles, met en évidence deux effets que celle-ci joue sur les cellules familiales. Soit la grande ville a un effet déstructurant sur la cellule familiale (voir les travaux de l’école de Chicago, mais aussi ceux de Philippe Ariès), soit elle est le lieu de domination des groupes domestiques (la famille en l’occurrence) sur les espaces. « Schématiquement, le Paris des familles est donc double, celui d’une ville fermée, fonctionnant selon une logique de proximité, et celui d’une ville ouverte où les adultes peuvent se détacher provisoirement du collectif familial. » (p.16)

Le Paris des familles

L’enquête qualitative menée a permis d’évoquer, dans un premier temps, les tensions existant entre la réussite sociale et le développement personnel, à l’origine d’un choix résidentiel parisien. Paris donne souvent un coup de pouce à une carrière et alimente le rêve de faire fortune professionnellement. Cette course à l’excellence se retrouve, pour les enfants, dans le domaine scolaire. Ainsi, les familles ont des exigences en matière d’équipements scolaires. Le choix de l’établissement scolaire des enfants légitime bien souvent la localisation résidentielle. Cela se fait, y compris, en refusant de quitter un quartier pour ne pas voir ses enfants scolarisés ailleurs. Ainsi, l’enquête évoque le cas d’un couple de classe moyenne supérieure qui habite dans le 6ème arrondissement (Saint-Germain des Prés) avec leur fille et leur chat dans un studio, qui sert aussi de lieu de travail au père photographe ! Les parents justifient leur non-déménagement pour un appartement plus grand car l’école où est scolarisée leur fille leur convient. Au-delà de la stratégie territoriale liée à l’école, les familles favorisées profitent au maximum des équipements culturels et des services proposés par la ville de Paris (hors activités nocturnes, délaissées massivement par les familles). « La grande ville forme un capital culturel objectivé, à la manière d’une bibliothèque chez soi (Bourdieu, 1979) ». En revanche, les familles moins favorisées n’exploitent quasiment pas les atouts qu’offrent la ville. Les codes culturels leurs manquent.

L’enquête a montré, par ailleurs, les tensions existantes entre les liens entretenus dans le quartier (par le biais de l’école, surtout) et un désir d’anonymat formulé par les adultes qui cherchent souvent à s’épanouir professionnellement en dehors de leur arrondissement de résidence. Enfin, le fait d’articuler temps familial, temps conjugal et temps personnel semble relever du défi. La famille occupe une grande partie de l’emploi du temps de la semaine, comme du week-end. Aussi, le temps personnel doit se caser dans les interstices de la vie familiale. Une mère de famille raconte ainsi qu’elle a pris « une demi-heure » pour elle pendant la semaine pour aller flâner dans une brocante qui venait d’ouvrir en bas de chez elle. La manière dont est raconté l’événement montre le caractère exceptionnel de ce genre d’entorse à son rôle de Maman modèle ! Quant au temps conjugal, il se réfugie principalement dans les soirées, une fois les enfants couchés. « C’est ce temps conjugal qui semble être la variable d’ajustement dans la recherche de la pondération entre tous les temps. » (p.163) Ces enseignements tirés de l’enquête ne sont en rien révolutionnaires. Que ces familles habitent à Paris ou ailleurs, elles sont globalement confrontées aux mêmes problématiques que toute famille.

Le Paris des adolescents

La postface portant sur les pratiques des adolescents permet de tirer des enseignements plus intéressants. L’une des principales revendications adolescentes est de pouvoir sortir. Paris offre tout ce qui peut plaire aux adolescents. La partition de l’espace de la ville se retrouve chez cette catégorie d’âge. Le quartier d’habitation, de scolarisation est le lieu des amis et des connaissances. Le reste de la ville exerce une fascination particulière car cet espace hors arrondissement résidentiel est celui de l’anonymat, plébiscité par les adultes eux-mêmes. Toutefois, cette ville extérieure ne vaut d’être découverte que si cela se fait en compagnie d’amis. C’est une particularité de l’adolescence que de pratiquer l’espace avec ses pairs. L’affectif marque les lieux. Ainsi, Gildas aime le quartier de Montparnasse car c’est là qu’il a vu deux magnifiques filles avec qui il a parlé sans que rien d’autre ne se passe pourtant ! Mais, à ce lieu est rattaché ce souvenir et cela lui donne une couleur différente par rapport aux autres lieux.

La ville aide à prendre ses distances avec les parents. Elle leur permet de s’adonner à la déambulation, activité plébiscitée par tous les jeunes de cet âge qu’ils soient Parisiens ou pas. L’action de flâner n’a pas de but. La découverte de soi se fait par la découverte de la ville. Les événements nocturnes qui se passent dans la ville sont appropriés par les jeunes, contrairement aux familles qui excluent ce qui se passe le soir, à quelques exceptions près. La fête de la Musique est l’événement par excellence qui plaît aux jeunes. Il est possible de déambuler de groupes en groupes de musiciens sans contraintes. Les rencontres avec d’autres jeunes sont possibles. Les petits concerts sont privilégiés car ils sont facilitateurs de rencontres. La Nuit blanche remporte moins l’adhésion car elle est davantage canalisée et organisée par les pouvoirs publics (longues files d’attente). L’art contemporain ne remporte pas autant d’adhésion que la musique.

L’offre de transports en commun aide à acquérir son autonomie. La carte Imagin’R est le passeport de cette mobilité. La ville ne véhicule pas de sentiment d’insécurité même si, consciemment ou pas, les jeunes ne passent pas par certaines rues pour ne pas risquer de faire de mauvaises rencontres. Le jeune ne raconte pas tout à ces parents afin que ceux-ci ne s’inquiètent pas et réduisent ses libertés. Le téléphone portable rassure les uns comme les autres. C’est un cordon qui, paradoxalement, leur donne plus de liberté. Les sorties du week-end sont davantage réservées au cercle amical que familial. La famille pèse aux adolescents aussi ils préfèrent faire une activité avec un membre de la famille plutôt qu’avec l’ensemble de la tribu. L’adolescent demeure un enfant dans ce cadre alors que, dans le cas d’une visite ou d’une promenade avec l’un de ses parents, il se sent davantage adulte par les conversations qui peuvent être entretenues. Quand les « petits » sont là, c’est plus difficile pour lui d’exister. En règle générale, les adolescents aiment de ne rien prévoir pour leur week-end : « Ca se fait à l’arrache. » Tout ce qui ressemble à des contraintes n’a pas leur préférence. Mais, me direz-vous ! En quoi sont-ils différents de nos élèves provinciaux, banlieusards, périurbains ou ruraux ?

Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes