Joël Cornette publie un ouvrage sur le pouvoir absolu dans la longue durée, sans se contenter du règne de Louis XIV, généralement perçu comme « le roi absolu ». Il regroupe ainsi de multiples contributions publiées dans L’Histoire et réactualisées précédées d’une introduction complète où il revient d’abord sur les symboles du pouvoir royal et sur le caractère sacré de la monarchie française. Il s’appuie sur les travaux précurseurs de Jacques Le Goff et de Marc Bloch. Il rappelle que pour ce dernier « l’absolutisme est une sorte de religion ». 

Il montre que l’absolutisme s’est construit et déconstruit sur près de deux siècles, de François Ier à Louis XIV. L’évolution n’est en effet pas linéaire et connaît de multiples coups d’arrêt. Joël Cornette évoque la guerre de Cent Ans, les guerres de Religion, le régicide d’Henri III. Il rappelle les formules du juriste Etienne Pasquier, au lendemain de l’assassinat d’Henri III : « Une infinité de villes se démantèlent de l’obéissance de leur Roi » / « Il n’est demeuré des mains du roi que des petits brins ». Le pouvoir royal alterne ainsi entre des phases de renforcement et de construction étatique avec des phases de délitement de l’autorité royale. Le lien est fait entre périodes de minorité et phases de contestation intense en prenant comme exemple la Fronde.

Le développement de l’appareil d’Etat est largement évoqué. Sous François Ier, la prise de décision s’axe autour d’un conseil étroit et d’un conseil privé. Sous Henri II, les quatre secrétaires du roi jouent un rôle accru, le territoire est redécoupé en recettes générales, futures circonscriptions des intendants. La vente d’offices vénaux incarnent « un absolutisme en action » en affaiblissant les pouvoirs des Parlements. Elle constituent également un instrument de promotion sociale, faisant de l’Etat un moyen de réussir. Le caractère absolu de l’Etat royal est aussi nuancé par l’évocation de régions plus éloignées comme la Bretagne dont Joël Cornette est un spécialiste.

Dans le contexte des guerres de Religion, les ligueurs réclament un autre modèle d’Etat, sorte d’ « envers de l’Etat absolu ». Ils revendiquent l’élection du roi, le choix des ministres et le vote des impôts aux Etats généraux, l’indépendance des villes, le triomphe du pouvoir local sur le pouvoir central. Cette opposition aboutit à une grave crise dynastique. Avec l’assassinat d’Henri III par Jacques Clément, il faut remonter de 8 générations pour trouver un successeur. De plus, Henri IV est protestant. Un travail de légitimation est entrepris : victoires militaires contre les ligueurs, abjuration du protestantisme, sacre, entrées royales, traités avec les villes ligueuses, édit de Nantes, reconstruction économique et mythe de « la poule au pot ». La construction de l’image du roi est ensuite évoquée.

La guerre constitue aussi un moteur essentiel du développement de la monarchie exécutrice  depuis la bataille de Bouvines en 1214.En 1439, à la fin de la guerre de Cent Ans, est mis en place un prélèvement annuel de la taille qui permet la création d’une armée permanente dédiée à la défense du royaume.Impôts et guerres se justifient mutuellement. La pression fiscale doit sans cesse s’accroître comme l’ont montré les travaux de Daniel Dessert et de Françoise Bayard sur le système « fisco-financier » pour tenter de mettre en accord les recettes fiscales avec les besoins de l’armée. En 1635, au début de la guerre de Trente Ans, les intendants de justice, de police et de finances sont généralisés, excepté en Bretagne. Ils dépendent directement de l’autorité royale pour appliquer les décisions du roi. Ils ont notamment pour rôle la répression des révoltes populaires.

Les trois temps du règne de Louis XIV sont évidemment évoqués.

  • La minorité correspond aux années Mazarin de 1643 à 1661. Le pouvoir royal est alors confronté à une fronde à la fois parlementaire, nobiliaire et populaire.
  • Suivent les années Colbert de 1661 à 1683 marquées par une série de « réformations ». La vie publique à Versailles est marquée par une visibilité retrouvée du roi. La volonté d’assainir le budget se heurte cependant à la conjecture, notamment à la guerre de Hollande (1672-1678)
  • La fin du règne est parfois qualifiée d' »années de misère » :  mort de Marie-Thérèse d’Autriche et de Colbert (1683), révocation de l’édit de Nantes (1685), début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688). L’exil de nombreux protestants signifie le départ d’une main d’œuvre qualifiée. Les difficultés sont multiples dans les dernières années : quasi-banqueroute de l’Etat, revers militaires, « Grand Hyver » en 1709. Joël Cornette met en avant le portrait de Nicolas Demaretz. Neveu de Colbert, il a servi l’Etat sans interruption de 1665 à sa mort en 1721. Il devient contrôleur des Finances de 1708 à 1715 ainsi que ministre d’Etat. A ce titre, il participe plusieurs fois par semaine au Conseil d’en haut, présidé par Louis XIV. Il signe plus de 2500 arrêts entre 1709 et 1715, expédie plus de 25 000 lettres entre 1708 et 1715. Il multiplie les mémoires adressés à Louis XIV à un rythme quasi-quotidien pour l’informer de la situation du royaume. Le 26 août 1709, dans un de ces mémoires, il s’inquiète de la crise généralisée qui touche le royaume, synthétisant les rapports des intendants. Il relève la lassitude de la population face à la guerre de Succession d’Espagne, des mouvements séditeux en Normandie. Il note la difficulté à percevoir les impôts et la faillite du système fisco-financier. Il dénonce le prix élevé du blé, la disette, une fiscalité excessive qui paralyse, selon lui, l’économie. En réponse, il met en réseau le royaume pour lutter contre la crise. Ainsi, des provinces excédentaires en blé comme la Bretagne soutiennent les provinces déficitaires comme la Guyenne et nourrissent l’armée des Flandres. Nicolas Desmaretz est ainsi une figure de l’administrateur technicien. En 1715, Nicolas Desmaretz contribue à la pérennité de l’État en créant un fonds d’archives destiné à conserver les papiers liés à l’administration des Finances.

L’ouvrage regroupe des synthèses classées chronologiquement

  • La partie sur le premier absolutisme (1515-1559) dresse un bilan des ressources et de la population du royaume, avant d’évoquer les châteaux de la Loire, Fontainebleau et le français.
  • Une seconde partie allant des guerres de Religion au règne d’Henri IV revient sur notamment sur la Saint-Barthélémy. Elle aborde le renforcement du pouvoir royal, notamment par une politique de légitimation et par l’édit de Nantes. L’assassinat du souverain marque aussi paradoxalement le renforcement du pouvoir absolu.
  • Les années cardinales (1610-1661) laissent une large place au rôle de Richelieu puis de Mazarin et à leurs idées sur le pouvoir, mais aussi aux liens entre la guerre, l’impôt et la construction de l’Etat absolu. Cette partie s’achève par ce moment de recul du pouvoir absolu qu’est la Fronde.
  • L’Etat Louis XIV aborde différents aspects du pouvoir absolu. La prise de pouvoir du jeune roi, Versailles, la Cour, les arts, la religion royale. Les difficultés et les limites de ce pouvoir absolu sont enfin abordées à travers les critiques du règne et les « années de misère ».

Des contributions courtes qui peuvent être lues d’une traite ou pour faire un point sur un aspect du pouvoir absolu : l’ouvrage permet de comprendre la constitution d’un Etat absolu sur le temps long ainsi que ses faiblesses.

Une intervention de Joël Cornette sur l’absolutisme

Jennifer Ghislain