« Quels rapports les sociétés humaines entretiennent-elles avec leur passé ? Telle est la question posée par l’Encyclopédie des historiographies. Afriques, Amériques, Asies (EHA) »Nathalie Kouamé Eric P. Meyer & Anne Viguier (dir.), Encyclopédie des historiographies. Afriques, Amériques, Asies, INALCO Presses, 2020, page 5

L’esprit de l’encyclopédie

Par ces quelques mots, Nathalie Kouamé, Éric P. Meyer et Anne Viguier introduisent l’œuvre collective. Sous leur direction 157 spécialistes des différents époques et espaces se réunissent à fin d’offrir au public historien professionnel, mais aussi aux amoureux de Clio l’inventaire des discours et pratiques que l’homme entretient avec les époques révolues. 

Ce travail se démarque en plusieurs points. Il s’attache à offrir une lecture la plus large possible du terme « historiographie,  afin d’y inclure tous les supports envisageables et qui rendent compte des rapports que l’homme entretient avec son passé. Il s’agit également d’une entreprise originale dans le monde francophone de telles entreprises ont déjà eu lieu dans le monde anglophone, citons les travaux de Daniel Woolf ou encore de Kelly Boyd en décentrant le regard de l’Occident pour gagner les continents africain américain et asiatique, abordés dans leur complexité d’où le choix du pluriel pour les nommer.

Sources et genres historiques au cœur de ce premier volume

Le premier volume de l’Encyclopédie des historiographies se concentre sur la question des sources et des gens historiques. Les auteurs considèrent une source comme « toute trace humaines issues du passé, où considéré comme héritées du passé, qui est de facto utilisés, ou virtuellement utilisable, dans les Bora-Bora sont d’un récit historique parce qu’elle est censée fournir une information sur le temps revenu. »Nathalie Kouamé Eric P Meyer & Anne Viguier (dir), op. cit., page 11 et un genre comme « la manière dont le récit du passé est élaboré et présenté : par exemple, la biographie, l’épopée, le mythe, la poésie, l’art théâtral, le geste rituel, l’art pictural, la musique, etc. sont autant de manières de mettre en format récit sur autrefois. » Ibid page 12.

Bien que surreprésenté dans l’historiographie occidentale, le « goût de l’archive » se retrouve dans nombreuses civilisations et offre une porte d’entrée à la compréhension du rapport entretenu entre l’homme et son passé quelque soit l’aire civilisationnelle ou l’époque considérée.

Les auteurs sont conscients de la difficulté posée par la question de l’identité culturelle des sources considérées, notamment sur des territoires marqués par la rencontre avec l’Occident et ses phénomènes d’acculturation et d’hybridation. Il en fut tenu compte en donnant priorité aux productions historiographiques locales.

Une grande diversité de sources étudiées, couvrant tous les espaces et toutes les périodes

Sous la forme de notices variables dans leur longueur et leur forme (les directeurs de publications ayant laissé une grande liberté d’écriture et de style aux auteurs réunis), les 157 coauteurs couvrent, à travers leur domaine d’expertise, l’ensemble des territoires et période considérés, entendu que les outils bibliographiques, les auteurs spécialisés et les sources ont pu manquer sur certains espaces et période, de l’aveu même des auteurs.

Néanmoins, le travail réalisé est considérable et force le respect. Le lecteur aura ainsi le plaisir de retrouver de nombreux spécialistes offrants à la lecture et à la découverte désiste du public historien et amateur des sources insoupçonnées et que nous avons, il est vrai, peu l’occasion d’exploiter ou de croiser dans nos travaux.

Qui nous soit donné ici l’occasion de faire la recension de quelques notices, couvrant les trois continents et les périodes moderne et contemporaines.

Champ du label Syliphone dans les archives de la RTG.

Au sein de cette notice, Elara Bertho revient sur l’importance du label musical d’État Syliphone en Guinée qui, entre 1967 et 1984, fut l’un des bras propagandistes de Sékou Touré. Il fut également un moyen efficace de diffuser et de faire la promotion de la musique guinéenne. Elara Bertho au revient sur la naissance de la Guinée en 1958 et la prise de pouvoir de Sékou Touré qui met en place un régime parti unique : le parti démocratique de Guinée (PDG). Le régime de Sékou Touré a reposé sur une abondante « production écrite, de bonne notamment, mais aussi décès. »Ibid page 220. Sékou Touré misera également dans le développement de groupes musicaux labellisés comme « authentiques », afin de diffuser et défendre les spécificités régionales et chanter des gloires des grandes figures du pays.

Mis en concurrence les uns avec les autres, ces groupes musicaux pouvaient accéder au statut de fonctionnaires d’État s’il remportait par deux fois le festival musical national. Ces groupes chantaient dans les langues régionales et vantaient les mérites et la politique du parti. Elara Bertho évoque plusieurs grands groupes de cette période : le Bembeya Jazz National, l’orchestre de la paillote, l’orchestre du jardin de Guinée ou encore les Amazones de Guinée. Elle évoque également la figure de Fodéba Keita qui dirigea les ballets africains et qui fut également ministre de l’intérieur de Sékou Touré.

Chronique des armes à feu (Teppô-Ki) 1606.

Nathalie Kouamé, directrice de publication, dont nous avons déjà eu le plaisir de recenser les ouvrages dans ces colonnes revient au sein de cette notice sur l’une des « sources historiques les plus célèbres du Japon »Ibid page 267. Rédigée en 1606 par le moine Nanpo, initialement chinois, cette source évoque la rencontre entre le Japon et l’Occident. Ce document fut historiquement perçu comme le récit des premiers contacts entre japonais et portugais dans l’île de Tanegashima, datés en 1543.

Nathalie Kouamé rappelle que cette interprétation a été depuis largement discutée et interrogée. Tout d’abord dans la date : l’arrivée des Portugais s’est-elle faite en 1543 ? En 1542 ? Les armes à feu sont-elles parvenues au Japon avec les portugais ou étaient-elles déjà connues par le passé, notamment à travers les pirates asiatiques de la région ? Nathalie Kouamé note que ce texte est un panégyrique. Commandé par Tokitaka Hisatoki, ce texte donnait à sa lignée un rôle et une envergure nationale en faisant d’elle l’intermédiaire par lequel la modernité occidentale est parvenue au Japon.

De plus, les sources occidentales des premiers contacts avec le Japon ne permettent pas de corroborer l’hypothèse d’une arrivée en 1543. Ladite chronique présente les Européens comme des « barbares », Le moine Nanpo insistant particulièrement sur les manières à table des Portugais. Dans un souci laudatif, la chronique évoque l’ensemble des territoires japonais sur lesquels les Tanegashima auraient joué un rôle important : la région du Kinai, la ville de Sakai ou encore le temple bouddhique Negoroji.

Faire l’histoire des Amériques contemporaines : source et méthode d’une décolonisation de l’histoire.

À travers cette notice, Aurélia Michel fait une présentation de l’historiographie des mondes américains contemporains, notamment dans leur spécificité. En effet, les sociétés américaines et leurs imaginaires sont clairement marquées par la colonisation européenne. De plus, la plupart des historiens latino-américains ont été formés et influencés par des écoles historiques européennes, notamment Les Annales. Aurélia Michel s’interroge alors sur les conditions qui permettraient de caractériser une historiographie américaine.

Aurélia Michel note que l’Amérique latine fut un terrain d’étude sur lequel le retournement historiographie des années 1970 (subalterne studies et cultural studies) a eu lieu. Citons à cet effet l’ouvrage de Nathan Wachtel publié en 1971 : la vision des vaincus. Dans cet ouvrage, l’historien fait le choix de s’éloigner des sources européennes pour « faire l’histoire de la conquête et tenter de reconstituer la vision et le récit des Indiens américains »Ibid page 597. Une telle entreprise s’accompagne d’un renouvellement des sources (exploitation des récits américains). Cette nouvelle approche va se télescoper au contact du renouveau méthodologique que constitue l’histoire par le bas. Il est alors question pour l’historien, au-delà du renouvellement des sources, d’intégrer les populations noires indiennes ou encore métisses trop longtemps ignorées dans le construit du récit historique.

Le renouvellement dans l’historiographie récente a conduit les historiens et les historiens latino-américains à s’intéresser à de nouvelles sources. Citons l’exploitation des inventaires de plantation ou les registres économiques et administratifs des colonies et des états qui leur ont succédé. En « faisant parler » ces sources administratives économiques, les historiens sont parvenus à faire remonter à la surface « la voix des esclaves et des Indiens de l’époque coloniale »Ibid  page 599. Les états nouvellement créés seront à l’initiative de la production de nouvelles sources. Photographies, folklore, travaux de médecine sociale et de psychiatrie sont autant de documents employés pour la caractérisation des races sociales, et aujourd’hui exploités par les historiens. Les slaves narratives, quand cela était possible, ont permis de redécouvrir et exploiter les témoignages des esclaves eux-mêmes (Olaudah Equiano).

Plus proche de nous, les historiens contemporains exploitent désormais, grâce aux apports de l’anthropologie, les cultures afro-américaines et indiennes via les pratiques rituelles les fêtes les productions artistiques et notamment urbaines qui sont autant d’espaces permettant de « poursuivre la démarche de décolonisation de l’histoire américaine » Ibid page 601.

Aurélia Michel termine cette notice en évoquant le renouvellement des orientations méthodologiques propres aux histoires américaines. Évoquons à ce titre la « dimension atlantique de l’histoire américaine »Ibid page 601, l’esclavage et la racialisation des rapports sociaux, ou encore le rôle joué par les populations métisses et noires et indiennes dans les processus révolutionnaires des XIXe et XXe siècles. Avec un objectif premier : non pas substituer une histoire « régionale et ethnique »Ibid page 602 à une histoire occidentalo-centrée, mais créer une dialogue entre des sources déjà connues et exploitées et de nouvelles sources à découvrir.

Une encyclopédie qui fera date

Ces quelques lignes ne visent qu’une seule chose : mettre en lumière l’importance qu’aura très certainement l’entreprise portée par Nathalie Kouamé, Éric P Meyer et Anne viguier dans le champ historique francophone.

L’Encyclopédie des historiographies est une œuvre que nous pouvons déjà considérer comme incontournable au regard de la synthèse qu’elle parvient à produire sur les renouveaux historiographiques contemporains.

Nous attendons avec une impatience non dissimulée les prochains volumes !