Elisabeth DORIER est professeur des universités et Marion LECOQUIERRE est ATER. Toutes les deux officient à l’université Aix-Marseille. La première a dirigé ce numéro de la Documentation Photographique avec la collaboration de la seconde. Celui-ci vise à décrire et expliquer les défis auxquels est confronté un monde dont plus de la moitié de ses habitants sont urbains pour la première fois de son histoire.
Comme toujours, la première partie de ce numéro fait le point sur. Il s’agit d’abord d’évaluer correctement les dynamiques d’urbanisation mondiales. Les limites méthodologiques tiennent notamment à la diversité des critères d’urbain et de rural propres à chaque Etat. Une fois ce préalable posé, on peut remarquer des dynamiques générales. Les rythmes de croissance sont inégales entre les pays occidentaux (0,5 % par an) et par exemple l’Afrique, où l’exode rural fait exploser les villes. Le nombre d’agglomérations de plus de 10 millions d’habitants (les « mégavilles » ou « mégacités ») a été multiplié par 6 depuis 1980, mais elle ne concernent toujours qu’une minorité de la population mondiale (6% en 2015). La part des habitants des villes petites et moyennes reste encore de loin majoritaire. Par ailleurs, la mondialisation depuis 30 ans met en compétition les territoires urbains. Les « géosymboles » urbains (gratte-ciel, îles artificielles à Dubaï par exemple) sont la traduction de l’affirmation de leur volonté d’accentuer leur attractivité. Le processus de désindustrialisation sélective qui touche les shrinking cities s’explique aussi par cette compétition mondiale. Les espaces urbains sont aussi de plus en plus complexes et fragmentés : « densification et verticalisation, création de centralités périphériques s’y combinent avec des dynamiques d’étalement diffus ». On observe des fragmentations à des échelles fines avec parfois la présence de quartiers très précaires près de zones résidentielles aisées. Des formes de « macro-ségrégation » existent également par la mise à l’écart de quartiers entiers. Aux réhabilitations et parfois à la gentrification des centre-villes répondent des formes de l’urbain diffus en périphérie qualifiée de « rurbanisation », « ville émergente », « éparpillé », « posturbia »,… On parle de desakota (« village-ville ») en Asie du Sud-Est. Le développement durable des villes est enfin devenu un enjeu récent et important. C’est souvent la « mal-urbanisation » locale, anarchique qui est la cause directe de la vulnérabilité des villes. L’augmentation continue de la population urbaine à l’échelle mondiale est également à l’origine d’une consommation supérieure en eau, à une pollution aggravée par un mauvais assainissement, la gestion des déchets ou aux congestions automobiles. Les prescriptions pour une ville durable envisagée du local au global dans la charte d’Aalborg sont ainsi passés dans les normes d’aménagement des pays les plus avancés mais elles sont encore difficiles à instaurer dans les villes en croissance rapide des Suds, faute de moyens financiers suffisants et d’une gouvernance déficiente.
La deuxième partie Thèmes et documents, qui illustre concrètement les points théoriques développés dans la première partie, est divisée en quatre chapitres : Diversités urbaines, Produire et gouverner les espaces urbains, Vivre en ville, Défis et contradictions de la ville durable. De nombreux documents intéressants y sont compilés comme une carte de Shanghai « mégarégion urbaine » (p.23), des images satellites de l’expansion urbaine dans le delta de la rivière des Perles (p.25), des photographies de la saturation du TransMilenio à Bogota (p.37), un plan du pourcentage de foyers disposant de l’eau potable par canalisation dans l’agglomération de La Paz (p.41), des textes courts et variées sur les notions d’urbanité et de citadinité (p.45), une carte de l’effectif des écoles primaires publiques à Pointe-Noire au Congo (p.47), un schéma de l’îlot de chaleur urbain ou un graphique sur la mise en débat de la densité urbaine (p.61).
Ce numéro de l’indispensable Documentation Photographique sur l’urbanisation du monde permet à tout enseignant de Géographie de réactualiser ses connaissances dans ce domaine. Une bibliographie raisonnée permet pour ceux qui le souhaitent d’aller plus loin. Les textes sont clairs et précis. Les documents sont pertinents et concernent des villes situées dans différentes zones géographiques. Le mérite de cet ouvrage tient notamment à la place faite aux petites et moyennes villes où vit la majorité des urbains dans le monde, tout en traitant correctement des métropoles et mégalopoles, qui prennent une place (trop ?) importante dans les programmes d’Histoire-Géographie.