Cet ouvrage, issu d’une thèse, suit sur une très longue période l’histoire d’une province ecclésiastique aujourd’hui largement oubliée alors que sa capitale fut un des phares de la chrétienté en Gaule. Ces quelques lignes ne prétendent pas en résumer l’ensemble, mais visent plutôt à mettre l’accent sur certains points saillants.
Entre Antiquité tardive et haut Moyen Âge, une métropole de premier plan
Capitale de la province de Viennoise réorganisée par Dioclétien, la ville de Vienne est un des hauts lieux du christianisme tardo-antique en Gaule. Elle abrite sans doute dès le IIe siècle une communauté chrétienne et son premier évêque est attesté en 314. Sa position sur l’axe rhodanien la met en contact avec les traditions orientales, ce qui explique que sa cathédrale soit à l’origine dédiée aux frères Macchabées, dont le culte, passé par Milan, est attesté dans d’autres cités de la région.
Toutefois, l’importance politique de la ville décroît au cours du IVe siècle, en particulier au profit d’Arles. L’administration religieuse étant largement calquée sur les structures politiques, cette situation conduit à de fortes tensions, les deux évêques revendiquant le titre de métropolitain – ancêtre de celui d’archevêque – aux IV et Ve siècles. En 450 le pape Léon« le Grand» impose son arbitrage : Vienne comme Arles est une métropole, et sa province comprend les diocèses de Genève, Grenoble, Valence et la Tarentaise.
Un trait distinctif de cette province est l’absence d’autre pôle religieux ou politique, susceptible de faire concurrence à sa capitale. Cette situation perdure à travers les siècles, les archevêques veillant à freiner le développement de monastères autonomes.
Entre les années 450 et 473, les Burgondes, d’abord installés par les Romains, conquièrent
l’ensemble de la province. Bien qu’ariens, ils tolèrent le catholicisme, et le roi Sigismond s’y convertit finalement en 505 ou 506. De cette situation politique, le métropolitain Avit de Vienne tente autour de 500 de profiter, en voulant rattacher à sa province l’ensemble des diocèses sous le contrôle des Burgondes. S’il semble y parvenir, malgré l’opposition du pape, ce succès est éphémère, la progression des Ostrogoths au sud annulant durant les années 520 les gains réalisés.
En 523 les Francs tuent Sigismond puis s’emparent de son royaume en 534. Durant les siècles qui suivent, seule l’archéologie permet de suivre les progrès de la christianisation dans les régions rurales, mais pour le reste, les documents font défaut. La domination franque entraîne toutefois un basculement progressif vers le Nord, qu’on constate en particulier à travers le remplacement progressif des évêques issus des grandes familles gallo-romaines par des hommes aux prénoms germaniques.
La reconstruction carolingienne et le royaume de Bourgogne
Le principat de Charles Martel marque un tournant. Pour répondre aux attaques des Sarrasins, il installe des fidèles grâce à des contrats vassaliques, et octroie au patrice de Provence Abbon de très larges pouvoirs dans tout le Sud-Est de la Gaule. C’est du moins la version « officielle », propagée ultérieurement par les Carolingiens. Elle semble toutefois éloignée de la réalité : les raids sarrasins furent sans doute moins nombreux et dévastateurs que certains clercs l’ont écrit, et au IXe siècle l’archevêque Adon de Vienne reprend dans sa Chronique des traditions très hostiles aux premiers Carolingiens, accusés d’avoir pillé et spolié les biens d’Église.
Pourtant, les Carolingiens rétablissent aussi l’ordre en nommant un évêque dès 767, alors que les autres diocèses, surtout ceux situés plus à l’est, marginalisés et peu importants, attendent encore plusieurs décennies. Vienne s’inscrit ainsi dans le réveil de l’économie rhodanienne à partir de la fin du VIIIe siècle.
Après une phase d’instabilité liée aux différents partages politiques du IXe siècle, la province de Vienne se trouve réunifiée et intégrée dans le royaume de Bourgogne de 937 à 1032, puis dans l’Empire : l’autorité politique s’éloigne ainsi d’autant de Vienne. Les rois de Bourgogne résident même plutôt à Genève.
Globalement, le bilan de l’époque carolingienne et post-carolingienne n’est pas à l’avantage de Vienne : elle se voit en effet préférer Lyon, dont Charlemagne fait un point d’appui de sa politique d’orthodoxie et de réformation religieuse. D’où une grande campagne lancée par les archevêques de Vienne, et en particulier Adon (860-875) pour d’une part réaffirmer les droits des archevêques sur les évêques, en recourant pour cela à de faux documents si nécessaires. D’autre part, il s’agit de renforcer le lien avec Rome, qui apparaît au IXe siècle comme un puissant facteur de légitimité. Au contraire, au Xe, avec la crise de la papauté, Rome n’est plus au cœur des préoccupations des archevêques, les contacts ne reprenant que dans le contexte de la réforme grégorienne dans les années 1050. Un autre objectif d’Adon consiste à doter la Vienne chrétienne d’un passé aussi glorieux que celui de Lyon et de ses martyrs : d’où l’invention d’un certain Crescent qui aurait été envoyé par Paul pour évangéliser la Gaule et serait devenu le premier évêque de Vienne. Force est toutefois de constater que, dans la longue durée, le prestige de Vienne ne fit que décliner.
L’auteur aborde cette histoire dans une perspective très large, ce qui n’est pas sans inconvénients. La structuration en parties et chapitres thématiques fait que la chronologie est balayée à plusieurs reprises. Les conclusions étant très brèves, le lecteur doit faire d’importants efforts pour reconstituer par lui-même les grands moments et les évolutions essentielles : on conseillera donc plutôt l’ouvrage aux spécialistes.