Pourquoi Francisco Parilla Almenara vit-il à Perpignan en ce début des années 1970 ? Pour le comprendre, il faut remonter le temps et évoquer la Retirada. Ce terme désigne l’exil de près d’un demi million de personnes au moment de la guerre d’Espagne. Elles avaient alors franchi la frontière des Pyrénées dans de terribles conditions pour tenter de venir en France.
Une histoire de familles
Dans l’introduction, les deux auteurs, Henri Fabuel et Jean-Marie Minguez, confient qu’ils ont en commun, de par leur histoire familiale, la guerre civile espagnole. La bande dessinée est en noir et blanc et des photographies de famille marquent le début des chapitres. Le héros, Francisco Parilla Almenara, vit donc à Perpignan. Il s’apprête à recevoir ses enfants pour Noël. La neige qui se met alors à tomber lui fait alors repenser à ses années de jeunesse lorsqu’il dut, dans d’autres circonstances, affronter la neige. On le retrouve alors jeune homme, en février 1939, tandis qu’il fuit son pays l’Espagne. Il est aux côtés d’un jeune photographe qui meurt dans ses bras fauché par un tir d’aviation.
1936 le début de la guerre civile espagnole
L’histoire revient alors quelques années en arrière en 1936. A cette date, Francisco doit quitter, comme toute sa famille, son village de Palma del Rio et sa femme Josepha. Le long de la route, il est récupéré par des communistes en lutte, tout comme lui, contre les nationalistes. Cependant, en quelques jours, ce qu’il voit l’horrifie. Les communistes n’hésitent pas à tuer de sang froid une vieille femme catholique. Arrivé à Madrid avec ses compagnons de lutte, il est blessé puis recueilli par Cristina, une jeune femme héritière d’une grande famille. Elle le protège et l’emmène dans la résidence familiale de campagne à Villaviciosa.
La vie dans les camps en France
Remis sur pieds, il tente alors de passer en France. Arrêté, il est placé dans un camp où il retrouve le reste de sa famille, son père et ses frères Pablo et Antonio. Les auteurs décrivent les conditions de vie dans les camps, comme à Argelès. Ils pointent aussi les réactions des autorités françaises, très embarrassées de devoir gérer ces prisonniers. Plusieurs tentent et parfois réussissent à s’échapper. Ils se réfugient chez Elisabeth qui accueille des femmes avec des jeunes enfants. Le contraste est saisissant entre ces combattants et ces enfants en bas âge dont ils s’occupent.
L’Espagne en 1939
On est ensuite de retour à Palma de Rio en 1939 où la répression contre les républicains et les anarchistes sévit. Josepha est maltraitée par des officiers nationalistes mais on découvre, en même temps, qu’elle dispose d’un moyen de chantage contre l’un de ceux qui la menacent. Les auteurs replongent ensuite le lecteur dans le camp de Rivesaltes en septembre 1939. Francisco et son frère Pablo se font passer pour cuisiniers afin d’éviter le « carré des prisonniers dangereux ». Ils choisissent ensuite de s’enfuir pour retourner en Espagne tandis qu’Antonio refuse cette idée.
Le retour en Espagne
En mars 1940, Francisco est de retour à Plama del Rio. Josepha l’attend à la gare mais il est très rapidement arrêté alors qu’il vient à peine de retrouver sa famille. Alors qu’il est emprisonné, et qu’il travaille dans des carrières, sa femme fait tous les soirs dix kilomètres à pieds pour l’apercevoir et lui faire passer quelques douceurs. En décembre 1940, Francisco et d’autres font l’objet d’un simulacre de procès. Il est condamné à mort tout comme son frère Pablo. Ensuite, on racontera seulement que Francisco est gracié tandis que Pablo subit sept ans de prison et de travaux forcés.
Le retour impossible en Espagne
On se retrouve à Perpignan en 1963. Francisco vient rendre visite à son frère Antonio. Ce dernier a connu un autre camp dont il montre à son frère les traces. Puis, peu à peu, il s’est inséré en France. Antonio propose alors à Francisco de venir travailler quelque temps en France ce qu’il accepte. On se retrouve alors au début de l’album et on retrouve donc Francisco qui avoue que, depuis onze ans, il n’est finalement pas retourné en Espagne. L’album se termine par une partie « Les coulisses » qui permet de suivre quelques étapes de l’élaboration de l’album ainsi que la genèse de la modification d’une représentation présente dans l’album initial. On peut signaler que cet ouvrage avait connu une première édition en 2013.
Ce très bel album, en noir et blanc, retrace donc l’épisode de la Retirada, cet exil des républicains espagnols vers la France. En choisissant de suivre l’histoire de Francisco et de sa famille, Henri Fabuel et Jean-Marie Minguez abordent également la question de la mémoire de façon sensible et pertinente.
Jean-Pierre Costille