Angela Davis livre un essai engagé sur les liens entre les luttes de classe, pour les droits des Noirs et ceux des femmes. Communiste, membre des Black Panthers, elle a pris une part active dans ces luttes. Cet essai de 1983 a été réédité par Zulma Essais.
L’héritage de l’esclavage : éléments pour une autre approche de la condition de la femme
Pendant longtemps, l’esclavage féminin a été peu étudié hormis sous l’angle d’un libertinage supposé. Les femmes avaient le même travail que les hommes, elles devaient fournir les mêmes rendements sur les plantations, elles subissaient des châtiments aussi cruels, doublés de violences adressées spécifiquement aux femmes, notamment les viols. Le viol s’inscrit ainsi dans une stratégie de domination. Angela Davis le met en parallèle avec les viols de guerre, notamment pendant la guerre du Vietnam. Les femmes enceintes ou qui nourrissent un enfant sont tenues elles aussi de travailler, elles subissent des coups de fouet, même enceintes, si elles ne parviennent pas à suivre la cadence.
La place de père de famille est nié par le statut d’esclaves. D’autre part, le travail domestique n’est pas hiérarchisé au sein des couples d’esclaves. Femmes et hommes y contribuent dans une proportion similaire et les tâches ne semblent pas hiérarchisées. On ne peut pas nier la place de l’homme dans ces couples comme cela a souvent été écrit.
Les femmes jouent également un rôle actif dans les résistances : elles essaient de se défendre des agressions sexuelles, participent à des actes de sabotage ou à des révoltes, tentent de s’enfuir des plantations. L’exemple d’Harriet Tubman, à l’origine de la fuite d’environ 300 esclaves, est bien connue, mais Angela Davis cite également Ann Wood, qui a dirigé un wagon de fugitifs armés. Elle lie aussi révolte et rôle maternel : beaucoup de femmes esclaves tentent de protéger leurs enfants. Margaret Garner, qui a inspiré le Beloved de Toni Morrison va jusqu’à tuer son enfant pour éviter qu’il ne soit repris.
Le mouvement anti-esclavagiste et la naissance du droit des femmes
Les femmes blanches s’engagent dans le mouvement pour l’abolition de l’esclavage, notamment parmi les ouvrières et la classe moyenne. Ainsi, l’institutrice Prudence Crandall, dans le Massachusetts, accueille une puis plusieurs élèves noires en 1833. Elle fait face à des menaces constantes des racistes. L’école qu’elle a fondé subit un incendie, mais elle reste ouverte jusqu’à l’arrestation de l’enseignante. Certaines femmes participent au chemin de fer souterrain ou s’expriment à la tribune malgré des violences fréquentes à leur égard. Elles lient fréquemment lutte contre l’esclavage à celle contre l’oppression masculine. Le combat pour l’abolition leur permet de s’affirmer en dehors de leur rôle d’épouse et de mère. Les soeurs Sarah et Angelina Grimké sont attaquées par l’Eglise pour s’être occupées de politique, tâche perçue comme masculine. Elles lient alors combat pour l’affirmation des droits des femmes et lutte pour la liberté des esclaves dans leurs discours.
Les questions de race et de classe au début du mouvement pour les droits des femmes
Frederick Douglass s’engage pour le droit de vote des femmes, convaincu par Elisabeth Cady Stanton, également engagée dans le mouvement pour l’abolition. Une motion est alors proposée lors de la convention de Seneca Falls en 1848 par Frederick Douglass. Les femmes noires y sont en revanche absentes.
Le racisme dans le mouvement pour le vote des femmes
Cependant, Elisabeth Cady Stanton s’oppose, à plusieurs reprises dans les années 1860, au droit de vote des Noirs si les femmes n’en bénéficient pas. Elle estime désormais que lier les deux revendications avait été une erreur. Elle déclare au sujet du vote des Noirs » Je dis non; je ne leur confierais pas mes droits ; humiliés, opprimés, ils seraient plus tyranniques que nos dirigeants anglo-saxons ne l’ont jamais été ».
Les femmes noires et la fin de l’esclavage
En 1890, 38 % des femmes noires travaillent dans les champs, 30 % dans les services notamment comme domestiques, 15 % dans la blanchisserie. Très peu d’entre-elles travaillent dans l’industrie et occupent les tâches les moins bien payées. Dans l’agriculture, elles ont le statut précaire de journalières. De nombreux planteurs louent des prisonniers noirs pour remplacer les esclaves. Les noirs sont arrêtés fréquemment et les tribunaux statuent rarement en leur faveur.
Les femmes noires restent cantonnées à des emplois peu payés, à des tâches similaires à celles qu’elles effectuaient sous l’esclavage. Les agressions sexuelles sont fréquentes, elles sont renvoyées lorsqu’elles résistent. La situation évolue lentement : en 1940, près de 60 % des femmes noirs sont domestiques.
Du côté des femmes noires : éducation et libération
La libération passe par un accès à l’éducation. Les Etats du Sud interdisaient l’instruction des esclaves (à l’exception du Maryland et du Kentucky). De nombreuses femmes blanches s’engagent pour scolariser les jeunes Noirs comme Myrtilla Miner qui ouvre son école dans le district de Columbia en 1851. Son école est incendiée.
Le vote des femmes au début du siècle : la montée du racisme
Henry Blackwell défend l’idée d’accorder le vote aux femmes pour contrebalancer les effets du vote noir. Certaines partisanes du vote des femmes associent également niveau d’instruction et vote, ce qui permettrait d’en exclure les Noirs, notamment dans le Sud.
Les femmes noires et le mouvement des clubs
Les premiers clubs de femmes noires regroupent des membres de la bourgeoisie, mais aussi des enseignantes, des femmes au foyer ou des lycéennes. Elles s’engagent contre le lynchage et collectent des fonds pour aider des Noirs poursuivis en justice.
Ouvrières, femmes noires et histoire du mouvement pour le droit de vote
Les ouvrières ont démontré des capacités d’organisation. Cependant, elles défendent avant tout des mesures liées au travail : salaires, horaires, conditions de travail. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que les ouvrières comprennent l’utilité du droit de vote féminin pour faire évoluer la législation. W.E.B. Du Bois défend le vote des femmes, des suffragettes noires s’engagent aussi dans cette lutte politique. Angela Davis souligne la triple oppression que les ouvrières noires subissent : sociale, raciale, sexuelle. Les suffragettes noires sont peu mises en avant pour se garantir le soutien des femmes blanches des Etats du Sud. Une fois le droit de vote obtenu, les femmes noires subissent des pressions et des violences qui les empêchent parfois d’exercer leurs droits politiques.
Les femmes communistes
En 1908, le Parti communiste crée une commission nationale des femmes. La même année, la manifestation pour le droit des femmes à New York est à l’origine de la Journée internationale des femmes le 8 mars. Angela Davis fait une galerie de portraits de femmes engagées au Parti communiste. Elles ont pour points communs de lutter à la fois pour les droits des femmes, des Noirs et des travailleurs. Elles sont également subi des arrestations suite à leurs prises de position publiques.
Le viol, le racisme et le mythe du violeur noir
Le mythe du violeur noir est employé systématiquement pour justifier les flambées de violences contre les Noirs. D’autre part, le viol a constitué « la marque infamante de l’esclavage ». Posséder le corps des femmes esclaves continuait en effet un des aspects de l’expression du droit de propriété dans le système esclavagiste. Les femmes noires sont nombreuses à s’engager contre les lynchages. Dans les années 1970, ce mythe du violeur noir connaît un certain regain.
Racisme, contrôle des naissances et libre maternité
Le choix d’une contraception et le recours à l’avortement marque le passage à une maternité désirée. En 1977, les fonds gouvernementaux pour l’avortement sont supprimés par le Congrès (amendement Hyde). Cela a pour conséquence le développement du recours à la stérilisation chez les plus pauvres. En effet, cette opération était accessible gratuitement. La ‘ »maternité désirée » implique aussi que les femmes ne soient pas soumises aux exigences sexuelles de leur mari. Certains partisans du contrôle des naissances ne sont pas exempts de racisme : la stérilisation doit permettre un contrôle, selon eux, de la population noire dont il faut limiter le nombre. La stérilisation forcée concerne principalement des femmes noires, amérindiennes ou portoricaines, notamment dans les années 1970. Les programmes de stérilisation ont été financés par le gouvernement.
Du côté de la classe ouvrière : vers le déclin du travail domestique
Le passage de l’ère proto-industrielle à l’industrie se traduit par une diminution des tâches domestiques, notamment la production au sein du foyer comme la fabrication des vêtements. Mais les femmes noires ont travaillé très tôt à l’extérieur. Elles ont, par conséquent, assumé le double fardeau du travail salarié et domestique.
Jennifer Ghislain