Cet ouvrage regroupe la quasi-totalité des communications prononcées au colloque « Faire l’histoire de la Résistance », qui s’est tenu à Lyon les 18 et 19 mars 2008, organisé par la Fondation de la Résistance et l’Institut d’Etudes politiques de Lyon. Ce colloque avait pour objectif « d’explorer les voies empruntées et les moyens mis en œuvre, de la Libération jusqu’au début des années 1980, pour faire l’histoire de la Résistance française » selon Laurent Douzou qui en assurait la direction scientifique, entouré d’un conseil scientifique composé des plus grands spécialistes universitaires de la question (Jean-Marie Guillon, Pierre Laborie, François Marcot, Guillaume Piketty, Jacqueline Sainclivier), de Bruno Leroux, directeur historique de la Fondation de la Résistance, de doctorants en passe d’achever leur thèse, d’anciens correspondants du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, d’anciens et d’actuels correspondants de l’Institut d’histoire du temps présent.

Seize communications sont regroupées en quatre parties : Le « laboratoire » du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale ; Courants historiographiques et approches épistémologiques ; L’élaboration de l’histoire dans les régions ; Eléments d’historiographie des résistances européennes. Spécialistes et chercheurs, tous les participants avaient une parfaite connaissance de l’ouvrage fondamental publié par Laurent Douzou aux éditions du Seuil en 2005, La Résistance française: une histoire périlleuse, Essai d’historiographie, qui est la seule étude complète sur le sujet. Aussi nous a-t-il semblé nécessaire de tenir compte de cet ouvrage pour réaliser ce compte-rendu.

Le temps des premiers témoignages

Témoigner a été une « préoccupation précoce et centrale, portée par les acteurs eux-mêmes » (communication de Julien Blanc). Dès 1944, les résistants ont pris la plume et publié leurs souvenirs. Des centaines d’ouvrages sont alors écrits par des acteurs de la Résistance qui ne cherchent pas nécessairement, comme on le dit souvent injustement, à se faire passer pour des héros. Ils sont convaincus pour beaucoup que leur témoignage est une nécessité. Il faut écrire pour honorer les morts et communier dans leur souvenir (Jean Cassou le dit avec force dans son petit livre La Mémoire courte, publié en 1953 Editions de Minuit) ; il faut écrire pour lutter contre l’idéologie vichyste résurgente ; il faut écrire pour lutter contre l’oubli de ce que fut la Résistance ; il faut écrire pour défendre les valeurs de la Résistance ; il faut écrire parce que chaque résistant ressent comme une évidence le fait que seuls ceux qui ont vécu cette expérience peuvent rendre compte de sa singularité.

Quelques ouvrages se dégagent qui sont les archétypes de très nombreuses publications ultérieures. Gilbert Renault (« Rémy »), publie en 1945 Mémoires d’un agent secret de la France Libre, juin 1940- juin 1942. Pierre Guillain de Bénouville publie en 1945, Le sacrifice du matin, où il insiste sur le récit du quotidien de la clandestinité. Agnès Humbert, pionnière du réseau du Musée de l’Homme et déportée publie Notre Guerre, ouvrage qui reprend le journal tenu jusqu’à son arrestation en avril 1941 et qui relate sa déportation. Emmanuel d‘Astier de la Vigerie, fondateur de Libération-Sud, publie en 1945 un petit ouvrage qui est un recueil d’articles dont l’un donne son titre à l’ouvrage : Avant que le rideau ne tombe ; c’est un ouvrage à la tonalité nostalgique qui constate un échec relatif de la Résistance, échec que beaucoup d’autres ouvrages allaient affirmer par la suite. Philippe Viannay, fondateur du mouvement « Défense de la France » publie en 1946 Nous sommes les rebelles, un ouvrage qui reproduit des textes qu’il a signés de son pseudonyme (« Indomitus ») dans le journal clandestin du mouvement. Il veut montrer qui étaient les résistants et estime lui aussi que la Résistance a échoué.

Émergence précoce de mémoires multiples

Dans le contexte des querelles politiques et idéologiques de la guerre froide, la cristallisation du souvenir résistant va s’opérer autour de deux pôles dominants : la mémoire communiste et la mémoire gaulliste. La mémoire gaulliste émerge bien avant la mémoire communiste, au tournant des années 1940 et 1950 avec la publication des ouvrages du colonel Passy, de Jacques Soustelle et du général de Gaulle (Mémoires de guerre, trois volumes publiés de 1954 à 1959). Avec ses ouvrages s’impose une histoire qui fait de la France libre la créatrice de la résistance intérieure avec Pierre Brossolette, Jean Moulin et les diverses missions envoyées depuis Londres. La réalité de l’action des organisations de la Résistance intérieure est fortement minorée. La seule force qui était capable de la contester était le Parti communiste. Mais il ne le fit que bien plus tard, dans les années 1960 en structurant une histoire officielle du PCF.

Les mémoires qui émergent avec la publication des témoignages sont multiples et ne se réduisent pas à ces deux mémoires les plus structurées. Les souvenirs d’Henry Frenay, de Philippe Viannay, de Claude Bourdet ne s’intègrent pas dans ces deux mémoires. De très nombreuses publications locales ou départementales dont les auteurs sont d’anciens résistants constituent autant de mémoires locales.

Naissance du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale (CH2GM)

Pour fixer les faits et pour rassembler des archives qu’on pensait rares, le pouvoir crée deux organismes qui ont pour objectif commun de sauvegarder le mieux possible ce que fut la réalité clandestine : la Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France (CHOLF) d’une part, le Comité d’Histoire de la Guerre (CHG) d’autre part, organismes qui fusionnent assez vite pour donner naissance au CH2GM (communication de Guillaume Piketty).

– La Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France fut créée par décision du Gouvernement provisoire le 20 octobre 1944. Elle dépendait du ministère de l’Education nationale et devait enquêter sur les origines et l’action de la Résistance, rassembler des témoignages et constituer des archives. Ses fondateurs estimaient en effet qu’il était possible, à condition de faire vite, de sauvegarder un peu de la réalité clandestine en menant des enquêtes auprès des principaux acteurs encore vivants. La Commission comptait une cinquantaine de membres (archivistes, représentants des ministères, historiens) et était dirigée par le médiéviste Edouard Perroy, assisté d’Ernest Labrousse, avec Henri Michel comme secrétaire. Militant socialiste, résistant, membre du Comité départemental de Libération du Var, agrégé d‘histoire. Henri Michel allait s’imposer pendant 25 ans comme la figure dominante de l’histoire de la Résistance.

– Le Comité d’Histoire de la Guerre fut créé par décret le 6 juin 1945, rattaché à la présidence du Gouvernement provisoire puis à la présidence du Conseil. Il avait pour mission de « coordonner les travaux entrepris dans les divers départements ministériels sur l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale » et de « centraliser les informations relatives à l’activité des services chargés dans les différents pays alliés ou amis de travaux analogues ». C’était un organisme interministériel à la prestigieuse direction : son président est Lucien Febvre, professeur au Collège de France, les vice-présidents sont Pierre Caron, directeur honoraire des Archives de France et Pierre Renouvin, membre de l’Institut, professeur à l’Université de Paris. Henri Michel était secrétaire général.

– Le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale est né en décembre 1951 de la fusion des deux organismes. Il était « chargé de procéder à toutes recherches, études et publication relatives à la Deuxième Guerre mondiale » et publia la Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale dont le premier numéro parut en janvier 1952. Le Comité fut présidé par Lucien Febvre puis par Maurice Baumont et eut pour secrétaire général Henri Michel. Il avait pour mission de :
– Recueillir des témoignages auprès des résistants aux souvenirs encore frais. Ce qui nécessite d’une part de les identifier et de les retrouver ; de multiplier ces recherches car ils ne sont chacun dépositaires que d’une parcelle de la mémoire clandestine, d’autre part de les convaincre de témoigner et donc de garantir l’incommunicabilité des témoignages pendant 50 ans afin qu’ils aient confiance.
– Collecter des archives pour les préserver. Ces archives ainsi que celles de la CHOLF constituent aujourd’hui la série 72 AJ des Archives nationales depuis que le CH2GM a versé ses archives lors de sa dissolution.

Il s’agissait donc d’accumuler les matériaux pour écrire une histoire de la Résistance quand ce serait possible. Le Comité créa un vaste réseau de correspondants départementaux dans toute la France (communication de Laurent Douzou qui en a recensé 556 de 1948 à 1978). Recrutés par les inspecteurs d’Académie, les correspondants devaient avoir été résistants, ne pas être militants politiques, connaître la région, avoir une automobile, du temps, de bonnes relations avec l’administration départementale, avoir enfin une expérience suffisante de l’histoire. Les préfets étaient appelés à leur donner les autorisations nécessaires et les Conseils généraux à les subventionner. En 1960, ils étaient 90, professeurs de facultés, professeurs du secondaire, archivistes, érudits locaux etc.

Une historiographie pionnière aux origines de l’histoire du temps présent

Dans le courant des années 1950, un travail d’élaboration historique se met en place, conçu et rédigé par des historiens de métier, au premier rang desquels Henri Michel fit fonction de maître d’œuvre. « Cette histoire », écrit L. Douzou, « a depuis lors été critiquée pour avoir modelé une narration pieuse, trop étroitement dépendante des témoins. Un examen serein invite à plus de considération pour un travail novateur et confronté à des difficultés dont les historiens ne parviennent pas toujours, aujourd’hui encore, à s’affranchir ».Vers 1949, H. Michel envisagea de passer à « des études collectives avec la coopération des meilleurs correspondants » en exploitant scientifiquement les témoignages recueillis.

Les pionniers du CH2GM ont donc impulsé les premières études de caractère historique (communication de Jacqueline Sainclivier et Dominique Veillon). Les publications historiques se font dans la collection « Esprit de la Résistance ». En décembre 1955, le Comité crée une Commission d’histoire de la Résistance dont l’objectif est d’établir un programme de recherche avec le CNRS et de réaliser des études historiques.

Il est décidé de commencer le travail historique par des « monographies types de mouvements ». Les premiers auteurs sont des résistants membres de la commission. Henri Michel et Boris Mirkine-Guetzévitch inaugurent la collection en publiant en 1954 Les idées politiques et sociales de la Résistance ; puis H. Michel publie avec Marie Granet une monographie sur le mouvement Combat (1957). En dehors de la collection H. Michel a publié en 1950 la première édition de son « Que-sais-je ? », La Résistance Française qui deviendra Histoire de la Résistance française et connaîtra dix éditions successives.

Des relations difficiles avec l’Université

Les publications historiques dans le cadre du CH2GM participent d’une stratégie de contournement de l’obstacle universitaire ; l’Université en effet réfute cette histoire, bien que les universitaires les plus prestigieux participent à l’aventure du CH2GM (communication de François Rouquet). La Sorbonne refuse la conception défendue et appliquée par le CH2GM d’une histoire du temps présent. L’Université refuse les sujets de thèse sur la période de l’Occupation jusqu’aux années 1960 : la règle est de ne pas valider de sujet de thèse de doctorat sur des sujets vieux de moins de 20 ans. La motivation est que de telles recherches ne peuvent se conformer strictement aux règles scientifiques élaborées par l’école méthodique : les acteurs sont vivants, les passions politiques sont vives, les archives sont rares.En 1962 Henri Michel soutient sa thèse sur Les courants de pensée de la Résistance et publie deux ans plus tard sa Bibliographie critique de la Résistance. A noter d’ailleurs que la Bibliographie annuelle de l’histoire de France ne s’ouvre aux années de guerre qu’avec son tome de 1964.

De jeunes universitaires entrent dans la commission d’histoire de la Résistance du CH2GM. En 1963 c’est François Bédarida qui est alors maître assistant à la Sorbonne puis en 1966 Dominique Veillon qui entreprend une thèse de 3e cycle sur le mouvement Franc- Tireurs. Dans les années 1960 et 1970 le CH2GM intensifie ses travaux de recherche et invite les correspondants à entreprendre des thèses. En 1974 il y une cinquantaine de thèses en cours dont 20 sont entreprises par des correspondants qui sont souvent de jeunes professeurs du secondaire.

Une importante production historique

Le CH2GM entreprend avec ses correspondants de nombreux travaux et enquêtes.
La chronologie de la Résistance fut un ambitieux projet qui s’enfonça dans une impasse. Il s’agissait pour les correspondant départementaux d’établir autant de fiches qu’ils relevaient d’actes de résistance dans les archives qu’ils dépouillaient. L’ampleur et la complexité de la tâche étaient telles que le Comité ressentit la nécessité d’unifier les procédures de mise en forme des données collectées dans les départements. Une fiche standard fut élaborée afin que les fichiers départementaux puissent un jour se rassembler dans un fichier national. La question qui allait se poser était celle de la définition des faits et des actes de résistance, et par là même celle de la définition de la Résistance. Sur ce plan la réflexion n’était pas encore menée. Il en résulta que ce travail sans fin et sans véritable cadre théorique prit une ampleur démesurée. En vingt ans d’un travail de bénédictin, 150 0000 fiches furent rédigées et rassemblées. Quand le CH2GM disparut en 1980 l’enquête n’était pas terminée et on tablait sur 200 000 fiches à la fin de l’opération. Jamais les fiches ne seront exploitées scientifiquement au plan national ou même régional.

Huit commissions fonctionnèrent au sein du Comité : sur le système concentrationnaire, sur la captivité de guerre (Fernand Braudel, Jean-Marie d’Hoop), sur la Résistance (Daniel Mayer), sur l’histoire militaire (Pierre Renouvin), sur l’histoire économique et sociale (Jean Fourastié, Jean Bouvier, Robert Franck en est le secrétaire), sur la collaboration (René Rémond), sur l’empire colonial (Charles-Louis Ageron), sur les groupements religieux (Jean-Marie Mayeur)

On le constate : les plus grands historiens participent alors au travaux de recherche du Comité. Les correspondants travaillent à plusieurs enquêtes nationales au plan départemental. Ils disposent d’une autorisation spéciale d’accès aux archives qui sont alors interdites à la consultation et de ce point de vue leurs travaux sont souvent porteurs d’une approche novatrice, mais ils ne sont pas publiables ; « vous avez travaillé dans l’interdit » dira Henri Michel dans son discours d’adieu aux 156 correspondants le 28 novembre 1980. Ils sont réunis à Paris au siège du comité plusieurs fois par an pour des réunions de travail au cours desquels les échanges sont intenses. Henri Michel suit personnellement et de très près le travail de chacun. Ainsi sont réalisés une carte de la souffrance départementale (exécutions, fusillades, déportations), une carte de la Résistance (parachutages, sabotages, maquis etc.), une enquête sur les partis politiques de la collaboration, une autre sur l’épuration judiciaire et extra judiciaire (celle qui aboutit au chiffre qui fait encore aujourd’hui autorité de 9000 à 10 000 exécutions sommaires sur l’ensemble de la France.

La collection « Esprit de la Résistance » s’étoffe, les auteurs sont des historiens qui furent des acteurs. 17 titres sont publiés de 1954 à 1968. Henri Michel publie son premier « Que-sais-je ? » qui connaîtra de nombreuses rééditions. La Revue d’Histoire de la 2e Guerre mondiale publie de nombreux articles jusqu’en 1978. La collection Libération de la France est entreprise chez Hachette pour le 30e anniversaire de la Libération. Une quinzaine de monographies régionales y sont publiées, plusieurs d’entre elles sont écrites par des correspondants départementaux. De jeunes historiens, qui n’avaient pas été des résistants, commencèrent à publier des thèses de doctorat qui avaient été entreprises dans le cadre du CH2GM et qui témoignaient d’une nouvelle approche historiographique, plus soucieuse des aspects politiques, sociaux, culturels. Ces thèses fortement problématisées étaient des monographies régionales et des études de mouvement. Un tournant s’annonçait dans l’historiographie qui n’était pas seulement une relève générationnelle.

Acteurs, témoins et historiens

Les dirigeants du CH2GM étaient convaincus que l’histoire de la Résistance devait être écrite par des historiens ; encore fallait-il que ces historiens aient été des résistants. Immédiatement s’imposa donc une méthode : l’histoire de la Résistance serait pensée et écrite avec le concours de ses acteurs. Dès lors était posée la question de la place respective des historiens et des acteurs, question qui sera au cœur des interrogations de la nouvelle historiographie 35 ans plus tard. Cette histoire pensée et écrite avec le concours des acteurs est en effet l’un des fondements de ce qui sera l’histoire du temps présent. Lucien Febvre s’en faisait alors le théoricien : il exposa et défendit cette méthode dans les Annales en 1948 et en 1954. Il y affirmait que les souvenirs sont des documents et qu’il est possible d’écrire une histoire proche des faits sous le regard et avec le concours des acteurs. L. Febvre était alors une sommité académique et intellectuelle, il croulait sous les honneurs, mais il consacrait beaucoup de temps au CH2GM et considérait cette tâche comme essentielle. A ses côtés Henri Michel réaffirme lui aussi la nécessité du recours aux témoins ; ainsi s’imposa une méthode qui allait être pendant longtemps celle de tous les historiens de la Résistance.

Mais la relation est difficile entre l’acteur-témoin et l’historien ; elle est l’objet de la communication de Pierre Laborie qui y a consacré en 1994 dans la Revue Esprit, un important article intitulé « Historiens sous haute surveillance ». L’historien entend étudier un phénomène qui demeure pour les acteurs et témoins une expérience individuelle profonde et passionnante, difficilement communicable, un moment inoubliable de leur vie au cours duquel ils ont éprouvé les émotions les plus fortes de leur existence. L’historien a besoin de leur témoignage et eux veulent témoigner. L’incompréhension les sépare souvent. Le témoin-acteur a le sentiment d’avoir participé à une aventure incomparable et estime qu’il est impossible à celui qui ne l’a pas vécu de la comprendre. Le témoin affirme alors que « seuls ceux qui y étaient peuvent comprendre » et rien de ce qu’il a connu ne ressemble à ce qu’il en lit aujourd’hui sous la plume de l’historien. Néanmoins le témoin-acteur demande à témoigner dans la mesure où il est à la recherche de légitimation et il ne sera retenu par l’histoire que s’il est entendu par l’historien. Au sein du CH2GM, « des questions essentielles se trouvaient posées et ont été reposées ensuite, une fois identifiées et théorisées. On les retrouve dans les orientations qui définissent les travaux actuels sur la Résistance ».

Des historiographies concurrentes et complémentaires

Le CH2GM n’a pas été le seul à vouloir écrire l’histoire de la Résistance. Bruno Leroux consacre sa communication à deux publications qui comblèrent un vide laissé dans les décennies 1960 et 1970 quand le CH2GM se consacrait à établir sa chronologie des la Résistance et à rédiger des monographies : les cinq tomes de L’Histoire de la Résistance en France de 1940 à 1945 du résistant socialiste Henri Noguères parus de 1967 à 1981 chez Laffont et les cinq tomes de La Résistance. Chronique illustrée, 1940-1945 du journaliste communiste Alain Guérin parus de 1972 à 1976 au Livre-Club Diderot. Il montre que « sur le plan des sources, la publication de témoignages inédits constitue une concurrence pour le CH2GM » et que les deux auteurs ont une « commune préoccupation de contrer la vison « gaulliste » de la Résistance intérieure véhiculée par les historiographes de la France libre, vision que l’apogée de la mémoire gaulliste, après le retour au pouvoir de de Gaulle, a porté à son paroxysme ».
Les deux ouvrages s’opposent cependant « dans leur propre vison de la Résistance intérieure. Le premier fait du développement et de l’unification de la résistance organisée, dans la diversité de ses composantes (mouvements, réseaux, partis, syndicats), le cœur de son projet afin de la construire comme un acteur autonome face à de Gaulle. Le second lui substitue un binôme où le chef de la France libre d’une part, le Parti communiste français en métropole d’autre part, constituent les deux seuls pôles organisés, durables et surtout à vocation unitaire »

Dans une communication dont le cadre chronologique ne s’arrête pas au seuil des années 1980, l’universitaire américain John Sweets
montre que l’apport des historiens anglo-américains à l’historiographie de la Résistance a été important à trois niveaux :
– La Résistance au sommet avec les travaux d’Arthur Funk (publiés entre 1959 et 1992) sur les relations de Gaulle-Roosevelt-Churchill d’une part, sur les relations entre les militaires américains et la résistance française en 1944 d’autre part.
– La Résistance à la base avec les travaux essentiels de H-R Kedward sur les origines de la Résistance en zone Sud (publiés en 1978 mais traduits en France en 1989 seulement) puis son approche anthropologique novatrice des maquis, ainsi que les propres recherches de Sweets sur les Mouvements Unis de Résistance.
– La Résistance envisagée à l’échelle régionale, les travaux de Sweets sur Clermont-Ferrand, pour ne citer qu’eux ont renouvelé les conclusions de Paxton sur l’importance globale de la Résistance dans la société en particulier.

Le comité s’efface en 1980 devant un organisme qui, par ses statuts et sa mission, inaugure une nouvelle époque. Le cordon ombilical avec le pouvoir est coupé puisque l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) sera un laboratoire propre du CNRS. Une nouvelle génération d’historiens est au travail ; elle n’a pas connu la Résistance, mais elle a travaillé au sein du CH2GM aux diverses enquêtes et à des études régionales. Dans la mesure où il intègre le CH2GM, l’IHTP poursuivra l’étude de la période 1939-1945.

Les années 1980 vont inaugurer un renouvellement historiographique fondé sur de nouvelles approches et de nouvelles problématiques, appelées de leurs vœux au début des années 1980 par François Bédarida et Henri Rousso qui plaident pour une « historisation » de la Résistance : abandonner toute démarche « commémorative » trop pieusement respectueuse de la geste résistante, faire de la Résistance un objet historique, lui appliquer les méthodes critiques de la science historique, établir une distance nécessaire entre l’historien et l’objet de sa recherche, préoccupations qui n’étaient pas absentes au sein du CH2GM.

Approche sociologique, anthropologique, culturelle, effort de conceptualisation, élargissement des champs de recherche, vont permettre de nouvelles publications, l’organisation de six grands colloques décentralisés entre 1993 et 1997, puis la publication du Dictionnaire historique de la Résistance en 2006 chez Laffont, ouvrage qui expose tous les acquis et toutes les problématiques de l’historiographie récente. Trente années d’historiographie de la Résistance qui devraient donner lieu à un nouveau colloque.

© Joël Drogland