Après un premier livre consacré au personnel médical du camp de concentration d’Auschwitz et du centre de mise à mort de Birkenau, Bruno Halioua revient avec un nouvel opus consacré à la figure qui incarne le plus férocement les atrocités commises en Pologne sur les déportés raciaux: Josef Mengele.

S’appuyant à la fois sur une bibliographie déjà très dense (et présentée en fin d’ouvrage) et sur ses connaissances médicales (l’auteur est médecin), ce livre entend revenir sur ce destin (sujet à fantasme) en apportant notamment des approfondissements sur les aspects médicaux de la vie de l’Ange de la mort.

Le livre est une biographie complète et s’organise de manière logique, de la naissance à la mort de Mengele. De son enfance dans une famille d’industriels allemands à sa longue fuite en avant en Amérique du Sud, nous parcourons chronologiquement la vie de celui qui aura réussi à échapper à la Justice, mais peut-être pas à ses responsabilités.

Cet ouvrage a pour intérêt premier d’être extrêmement sourcé. En s’appuyant sur des livres d’historiens, sur des témoignages directs, sur les échanges épistolaires de Mengele, nous avons un suivi précis et rigoureux de l’évolution d’un élève brillant, un brin solitaire, méticuleux et méthodique.  Comme Rolf Mengele (fils issu de son premier mariage), et à l’instar de l’auteur, deux interrogations nous suivent tout au long de la lecture : comment et pourquoi ce qui s’est passé à Auschwitz-Birkenau ? Pourquoi cette rupture du serment d’Hippocrate ?

L’auteur apporte de nombreuses grilles de lectures pertinentes pour répondre à ces questions. Tout d’abord, un climat qui facilite l’embrigadement et exalte les pulsions les plus sombres chez de nombreux Allemands qui ont basculé chez les SA puis les SS, comme Mengele. Et qui permet ensuite de se pardonner tous les crimes commis en 18 mois en Pologne… Mengele, étant, comme beaucoup d’autres, un homme à la fois incompris et qui a simplement obéi aux ordres, afin de permettre à la race de survivre. Mengele est profondément imprégné et zélateur de l’idéologie nazie, jusqu’à la fin de sa vie.

Ensuite, une volonté présente dès son enfance d’être connu et reconnu. Mengele est un brillant chercheur, reconnu dès les années 20 et 30 dans de prestigieuses écoles allemandes. Sa force de travail, ses réussites mais un certain sens de la relation à ses subordonnés et supérieurs lui permettent de gravir les échelons. Nonobstant les expériences inhumaines pratiquées, Mengele sait aussi être un personnage ambigu, échangeant à plusieurs reprises avec des confrères médecins juifs déportés et les invitant à partager ses expériences et résultats, dans une relation quasi d’égal à égal. Il sait à la fois se montrer terrible dans le processus de sélection sur la rampe et soucieux des épidémies qui touchent les camps tziganes, tout en démontrant sa capacité unique à résoudre, avec succès, ce genre de situation (ce qui lui vaut les félicitations de ses supérieurs et de de l’avancement.

Cet aspect quasi schizophrénique est aussi visible dans le livre dans sa relation avec sa femme et son fils. Profondément amoureux de sa première femme, il est déçu néanmoins qu’elle ne réponde qu’à 9 critères sur 10 de l’examen qu’elle doit obligatoirement passer devant un médecin SS avant leur mariage. Il est capable à quelques jours d’intervalle d’envoyer des milliers d’hommes, femmes et enfants à la mort, de faire expédier des têtes mutilées d’enfants à des confrères en Allemagne pour valider des recherches et de se montrer aimant, souriant et inquiet pour sa femme et son fils qui viennent le visiter.

Bruno Halioua ne consacre au final que peu de chapitres à Auschwitz et Birkenau. Une grande partie du livre tourne autour de la fuite. Cette fuite est à la fois physique et psychologique. Elle est marquée d’abord par la solidarité du clan Mengele qui, jusqu’au bout, aura soutenu, notamment financièrement, celui dont elle proclamait officiellement la mort pour protéger ses intérêts, à elle et à lui. Tout est détaillé ici : les fuites rocambolesques, les réseaux, les connexions politiques, les stratégies matrimoniales et économiques.

La fuite est aussi marquée par le déclin physique et moral de Josef Mengele. S’il n’a jamais connu la justice des Hommes, il a été poursuivi et hanté par les fantômes d’Auschwitz et Birkenau. La traque quasi incessante de la police, des associations de victimes, du Mossad, les multiples articles de journaux et la parole des survivants qui se libère.. Mengele n’a pratiquement pas connu la paix jusqu’à sa disparition. L’absence de son fils, les divorces, la solitude, le sentiment permanent de trahison… tous ces aspects pèsent sur la solidité mentale du bourreau. Son caractère intransigeant et sa psychose permanente le perturbent nuit et jour, l’obligent à une fuite qui s’accélère de l’Argentine au Brésil, en passant par le Paraguay. Cela nuit aux aux retrouvailles avec son fils, les deux ne pouvant, de toute manière, pas se comprendre.

Il est impossible ici de résumer tous les aspects du livre qui viennent enrichir la lecture et la connaissance du personnage de Mengele. Cependant quelques éléments à citer pêle-mêle : les imbroglios politico-juridiques, le réseau de soutien aux ex-Nazis en Amérique du Sud, les travaux scientifiques de Mengele qui ont été repris à l’international, la mythologie et la fascination autour d’une figure qui semble insaisissable…

En résumé, une lecture prenante et captivante. La biographie est riche de détails et d’informations. Le livre est facile d’accès, si ce n’est, évidement, le jargon médical que le néophyte ira compléter. Le rythme est haletant, notamment dès que l’on rentre dans la fuite et la traque. Bruno Halioua livre une synthèse complète qui aborde, sans tabous, toutes les facettes du personnage de Josef Mengele.