« L’anthropisation désigne l’action des êtres humains sur l’espace et les milieux au cours de l’histoire. Augustin Berque la distingue de ‘’l’humanisation’’ – terme au demeurant peu usité – prenant en compte ‘’la valeur et le sens de l’environnement pour l’être humain’’ et de l’’’hominisation, objet central de la paléoanthropologie’’ (Berque, 2003). »

Frédéric Alexandre, Dictionnaire critique de l’anthropocène, CNRS Éditions, 2020, entrée « Anthropisation », p. 54.

    Au sein des sciences sociales, les dictionnaires sont foison ce qui s’explique sans doute par la multiplication et l’enrichissement croissant des concepts, notions, théories et débats qui animent ces disciplines. Le Dictionnaire critique de l’anthropocène est le fruit d’un travail collectif signé par le groupe Cynorhodon, un collectif de seize géographes[1] réunis sous la bannière de cette plante « poil à gratter » afin d’éclairer un concept pluridisciplinaire et polysémique devenu incontournable, tout particulièrement en géographie. Face à l’urgence environnementale, à l’urgence de (re)penser le « monde d’après » ce dictionnaire est une vraie arme intellectuelle, offrant une variété grande variété de réflexions sur la capacité de l’homme à agir face aux dérèglements qu’il a lui-même entraînés (Anthropocène vs Capitalocène[2] ?). Il fait le point sur les derniers débats et avancées scientifiques, sur une notion en construction, porteuse d’enjeux multiples permettant de s’interroger sur les manières d’(ré)habiter la Terre et de co-habiter dans l’écoumène.

    Ce dictionnaire est une somme monumentale et pluridisciplinaire (près 1000 pages, 330 notices d’« Abeille » à « Zone humide » rédigées par près de 200 contributeurs, 64 pages bibliographiques pour compléter la réflexion du lecteur curieux…) pour éclairer les débats anciens et nouveaux à propos de l’anthropocène ainsi qu’une galaxie de concepts et notions qui gravitent autour comme par exemple la « catastrophe », la « ZAD », l’ « agroécologie » ou encore la médiatique notion de « transition » entrée dans le programme de Seconde et entendue comme : « un processus de ‘’transformation au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre à un autre’’ (Bourg et Papaux, 2015) » (p. 780).

   Dès l’introduction, le ton offensif est donné. Si les changements environnementaux liés à l’action des être ne font aucun doute, leur ampleur et leurs conséquences restent incertaines. Les auteurs partent du constat qu’avant de décréter la nécessité d’agir, il faut prendre le temps de réfléchir et donc « recenser les mots qui permettent d’outiller la pensée, puis les interroger : connaître les bœufs avec lesquels on laboure, comme le dit justement un proverbe mexicain » (p. IX). Après avoir parcouru ce dictionnaire, le lecteur se rendra rapidement compte que le contrat est amplement rempli !

    La notion d’« Anthropocène », développée par le géochimiste néerlandais et Prix Nobel 1995, Paul J. Crutzen au début des années 2000, part du postulat que l’Homme et les activités humaines sont facteurs de changements de l’histoire géologique en perturbant le cycle de l’azote et en favorisant l’augmentation des taux de CO2 et de méthane. C’est la période la plus récente de l’histoire de la terre au cours de laquelle « l’environnement » global est – ou a été ? – modifié par les sociétés humaines. En d’autres termes, il s’agit de « l’entrée dans une nouvelle époque géologique, caractérisée par l’empreinte généralisée et irréversible des être humains et de leurs activités sur la terre » (p. 57). Ainsi, les auteurs précisent que malgré les débats qui agitent les contours de cette notion, le « concept d’anthropocène a néanmoins le mérite de relancer la réflexion, intellectuelle ou savante, sur le rapport entre nature et société, tout en reposant la délicate question des relations entre constat scientifique et action humaine » (p. X). Au-delà de querelles de chapelle et face à un climatoscepticisme grandissant (« remise en cause des réalités du changement climatique et de ses théories explicatives », p. 177), il est urgent d’agir !

    En définitive, ce dictionnaire est très complet et très utile et servira de base première pour tout chercheur et/ou étudiant en sciences sociales. Il sera un outil à consulter régulièrement pour les candidats et candidates aux concours d’enseignement, notamment ceux investis dans l’Agrégation de Géographie qui ont à travailler la question de géographie thématique « la nature ; objet géographique » mais aussi car il s’agit d’un concept transversal de l’épreuve sur dossier. Par ailleurs, il sera également utile pour les enseignants et enseignantes d’histoire-géographie du secondaire qui ont à aborder avec leurs élèves les questions pressantes d’environnement et du changement global, notamment dans le cadre du nouveau programme de seconde (« Thème 1 : Sociétés et environnements : des équilibres fragiles »). Plus largement, s’adressant à un public désireux de comprendre les grands enjeux actuels de la discipline et les questions environnementales contemporaines et globales, ce dictionnaire est une véritable pépite à acquérir et (re)lire régulièrement !

Pour aller plus loin :

Comptes-rendus d’ouvrages :

  • Beau Rémi, Larrère Catherine, Penser l’Anthropocène, Presses de Sciences Po, « Académique », 2018, 554 pages.
  • Gemenne François, Rankovic Aleksandar, Atelier de cartographie de Sciences Po, Atlas de l’Anthropocène, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2019, 158 p. [par Christiane Peyronnard]

À visionner : « L’homme a mangé la Terre » (ARTE, 2020)

[1] Frédéric Alexandre, Fabrice Argounès, Rémi Bénos, David Blanchon, Frédérique Blot, Laine Chanteloup, Émilie Chevalier, Sylvain Guyot, Francis Huguet, Boris Lebeau, Géraud Magrin, Philippe Pelletier, Marie Redon, Fabien Roussel, Alexis Sierra, Didier Soto.

[2] « Néologisme […] apparu en 2015 dans un livre de Jason W. Moore, sociologue américain. […] Il est conçu comme une réponse critique au concept d’anthropocène et s’y substitue pour certains totalement. Capitalocène est désormais le principal concurrent sémantique d’anthropocène en sciences humaines et sociales […] mettant en avant la responsabilité liminaire du capitalisme dans la crise écologique actuelle que d’autres auteurs font correspondre à ‘’l’évènement anthropocène’’ » (pp. 140-141).

Présentation de l’éditeur

« Si les changements environnementaux liés à l’humanité ne font aucun doute, leur ampleur et leurs conséquences ne sont pas si faciles à évaluer. Pour le savant, il s’agit d’établir les liens de causalité et les impacts avec le plus de précision possible, puis de poser un diagnostic. Le présent dictionnaire s’appuie sur le concept récent d’« anthropocène », qui a le mérite, qu’on l’approuve ou non, de relancer la réflexion sur les rapports entre nature et société, entre constat scientifique et action politique, à travers une approche spatiale et territoriale. Procédant de façon critique, et fruit d’une démarche collective, cette vaste entreprise éditoriale se fonde sur une pratique de terrain, attentive aux détails et méfiante à l’égard des discours pré-établis.

Parmi les 330 notices, plusieurs thèmes sont au cœur des débats contemporains (biodiversité, changement climatique…), d’autres se réfèrent à des courants de pensée (écoféminisme, transhumanisme…). Les concepts mobilisés abordent des questions politiques (capitalocène, justice environnementale…), philosophiques (catastrophes, Gaïa…), ou épistémologiques (finitude, population…). Des notions classiques sont réinterrogées (nature, ressource…), tandis que des concepts sont précisés (biosphère, écosystème…).

D’autres notices discutent de mécanismes environnementaux (érosion, tsunami…), de pratiques récentes (agroécologie, ville durable…), de phénomènes territorialisés (déforestation, désertification…) ou d’artefacts (aéroport, autoroute…). Certaines examinent des lieux emblématiques (Amazonie, Fukushima…). D’autres, enfin, offrent un regard original sur l’anthropocène, sa faune (chien, ours…), ses mutations socio-économiques, institutionnelles ou politiques (biopiraterie, ZAD…).

Un dictionnaire de référence sur un concept devenu incontournable. »

©Rémi BURLOT pour Les Clionautes