Fastes de cour, les enjeux d’un voyage princier à Blois en 1501, Monique Chatenet et Pierre-Gilles Girault, PUR, 2010.

A l’époque où la cour résidait en vallée de la Loire, où Blois était le lieu de pouvoir du royaume, la visite de l’archiduc Philippe le Beau et de son épouse Jeanne de Castille fut un évènement rare, une affaire d’État.
Dans quel état d’esprit sont les protagonistes ? En décembre 1501, il s’agit pour le roi de France Louis XII de négocier sur plusieurs points avant de se lancer dans l’aventure italienne et d’améliorer les relations avec les Habsbourg qui prennent le royaume en tenaille. L’ouvrage fait un rappel très précis de l’enjeu diplomatique mais son objet principal est de présenter le cérémonial du voyage et surtout de la réception.
Philippe doit prêter hommage au roi de France pour ses terres de Flandre et d’Artois. Il plaide la cause pacifique en décidant de ne pas réclamer militairement le duché de Bourgogne. Jeanne de Castille, devenue héritière du royaume d’Espagne à la suite de plusieurs décès inattendus, doit se rendre devant les Cortés pour être reconnue souveraine. Louis XII lui propose ainsi qu’à son époux de traverser la France plutôt que de prendre la voie d’eau. D’autant que ce sera un moyen de signer les contrats déjà négociés pour le mariage de leur fils Charles de Gand (futur Charles Quint) avec sa fille Claude de France.
L’ouvrage donne la description précise de l’itinéraire avec les étapes, les entrées et réceptions, mais aussi les lieux de dévotions royales où les souverains s’arrêtent. L’itinéraire est précisément établi dans les annexes, jour par jour, lieu par lieu afin qu’il soit comparable avec d’autres voyages royaux ou Tours de France. Il donne ainsi un état précieux des levées de la Loire, des voies, des chaussées et de quelques ponts utiles à la connaissance locale en ce début du XVIe siècle. Il souligne l’intérêt des souverains pour un tourisme culturel, un arrêt pour observer un rare escalier à vis, ou encore pour visiter quelques lieux remarquables de Paris. La chasse égaye quelque peu la longueur de ce voyage.

Le trajet dans le détail

Mais l’essentiel de l’ouvrage porte sur l’entrevue de Blois, cérémonie essentielle d’autant qu’elle est documentée par plusieurs sources comparées et précisément analysées par la spécialiste des lieux monarchiques, des cours et de ses pratiques à la Renaissance, qu’est Monique Chatenet.
L’auteur suit avec les citations multiples, la descente de cheval dans l’entrée du château, privilège royal, la montée des marches de l’escalier de Blois et l’arrivée dans les salles. La description des honneurs (révérences) est un modèle d’études des signes et des indices. De combien de pas le roi va-t-il faire avancer son invité ? La révérence est–elle basse, profonde ? Quand enlever son bonnet ? A ces indices, le roi comprend que l’archiduc accepte sa qualité de vassal.
Qu’en est-il de sa femme, l’héritière de Castille ? Va-t-elle baiser le roi lui demande t-on une dernière fois sous la voûte du logis tant cette question n’était pas encore résolue. Va t-elle faire violence à sa pudeur ou au contraire provoquer un incident diplomatique ? Va t-elle suivre l’usage de soumission initié par son mari ? Louis XII résout la question galamment en lui accordant un traitement digne d’une héritière de la double couronne des Rois catholiques et non de la simple épouse du souverain des Pays-Bas. Première sortie honorable de Jeanne de Castille.
Il lui reste à saluer la reine de France, Anne de Bretagne et à passer dans le monde des femmes. Tout cela dans une foule impressionnante qui ralentit la marche et l’espace disponible. Le protocole se remet en marche en circulant dans les différentes salles. Qui marchera à gauche de l’archiduchesse afin de lui montrer qu’elle est bien supérieure? La reine se lève, ploie le genou, sans plus, donc l’archiduchesse fait deux révérences, pas plus. La question de la servitude revient lors des offrandes à la messe où le roi ou la reine ne donne pas l’offrande personnellement mais délègue cette offre à un tiers qui doit s’estimer honoré de faire un tel geste monarchique. L’archiduchesse refuse ce geste à la reine, en conséquence de quoi la reine sort seule de l’église mais l’archiduchesse retarde sa propre sortie, puis accélère et passe devant la reine sans un regard (p 63). Voilà comment ne pas se soumettre ! Les sources françaises, bourguignonnes ou celles de l’archiduc relatent différemment ces attitudes et le fait que l’archiduc admet aussi facilement la prééminence du roi de France, glosant sur cette politique momentanément francophile.
Puis vint la présentation de la petite fiancée, Claude de France à l’archiduchesse. Une seule source relate l’épisode qui voit la petite fille de deux ans portée par sa gouvernante se mettre à hurler lors de la visite de sa belle-mère affectée par contrat. Il ne semble pas que l’ombrageuse archiduchesse ait retenu un grief contre cette enfant puisque lors de la cérémonie de congé de ce voyage, elle lui offrit une bague d’une valeur de deux mille francs (p 61). L’atmosphère se détend parfois entre les deux femmes pour la collation dans les appartements où se rend une des narratrices.

Les rencontres de Blois

Le séjour blésois se poursuit en fêtes et réjouissances, les jeux, les soirées, cette vie de cour à la française qui s’élabore sur les bords de la Loire. Le conservateur du château de Blois, Pierre-Gilles Girault met alors son érudition et sa connaissance des lieux autant qu’il est possible de les reconstituer, au service de la lecture des sources en décrivant « l’accoutrement » du château pour cette visite exceptionnelle. Les illustrations placées au milieu du livre rendent vraiment l’impression des espaces et des meubles. L’ouvrage fait ainsi un bilan des derniers travaux sur la disposition du château et la séparation des logis en deux corps, sur le décor des pièces, sur le mobilier, les tentures, l’orfèvrerie, les objets de collation. Cette visite a provoqué des changements, comme l’installation de la petite princesse dans la chambre de son père afin de ne pas allonger les distances pour les visites. Les sources dont l’objet n’est pas de décrire le château, permettent cependant de construire des hypothèses tant sur les lieux que sur les déplacements. Les auteurs essayent de reconstituer ce qu’étaient les usages du château dans les temps ordinaires afin de répondre à un débat de spécialistes sur l’égalité de rang du roi et de la reine par une conception symétrique des appartements, union de la France et de la Bretagne certes, mais éventuelle égalité symbolique par l’architecture.
L’ouvrage comporte une publication de sources ce qui est assez rare de nos jours pour être signalé. Une est plus particulièrement intéressante, celle que les auteurs attribuent pour la première fois à une femme, alors que le texte est publié et donc étudié depuis 1649. De fait, ce récit suit les femmes dans les cérémonies, entraîne son lecteur dans les appartements de la reine, porte une attention sexuée aux relations entre hommes et femmes, décrypte les usages et les gestes, donnant ainsi une représentation de la cour au féminin. La lecture de ce rare récit de voyage au féminin enrichit considérablement la réalité de ce voyage.
En dernière partie, l’ouvrage offre un exceptionnel index prosopographique de plus de cent cinquante noms, alimenté de nombreuses bases de données de généalogie mais aussi des Maisons royales et princières dont celles de « Cour de France » sur le site du CRCV. En cela, c’est une vraie pièce de référence.
Ce récit dont ce livre offre une transcription exacte avec des références argumentées, est un moyen de percevoir, par l’analyse des indices de comportement et les traces matérielles, cette vassalité que s’efface quelque peu au XVIe siècle tandis que se construisent des relations protocolaires d’une extrême complexité et peu importe que les négociations de ce voyage n’aient pas eu de suite.
Parfaitement adapté à la question du Concours de Capes sur « le Prince et les arts », il illustre par ce cas concret du voyage diplomatique et des fêtes de cour, comment se construisent, à travers un espace symbolique, une gestuelle codifiée, un protocole qui s’institue, des relations diplomatiques qui déterminent la géopolitique de l’espace européen du début XVIe siècle. Pour toutes ces raisons, c’est un petit ouvrage parfaitement réussi.

Pascale Mormiche