Cet ouvrage « à lire absolument »Comme l’écrit Thomas Piketty dans la préface p. 7 est l’édition intégrale du rapport Mackau et commentée qui contribua à fixer le montant de la dette exigée par la France à son ancienne colonie : 150 millions de francs-or, pour compenser les pertes des anciens colons esclavagistes. Cette dette, difficile à imaginer, égale à environ 3 ans de PNB haïtien n’est pas sans responsabilité dans l’actuelle situation du pays.

Dans son introduction Fritz Alphonse Jean rappelle l’immoralité d’une dette imposée à d’anciens esclaves pour s’affranchir. Il montre combien cette édition du rapport Mackau s’inscrit, pour les Haïtiens, dans un devoir de mémoireUne question de mémoire vive comme le montre l’enquête de Constant Méheut et Matt Apuzzo, deux journalistes du New York Times sur cette double dette, ses conséquences dans les relations avec la France et les Etats-Unis et la demande de l’ex-président Aristide d’une restitution par la France de l’intégrité de la somme payée. Voir l’article récent d’Emmett Lindner Plongée dans la Double Dette d’Haïti et les commentaires dans la presse haïtienne Comment le New York Times a conduit son enquête sur le rançonnage d’Haïti par la France et les États-Unis d’Amérique (Le Nouvelliste).. Il rappelle combien cette dette fut un choc 20 ans après l’indépendance et comment elle a pu peser sur le développement économique du pays. Cette publication du rapport Mackau s’inscrit dans une volonté de faire connaître l’histoire d’Haïti., d’autant que le texte est précédé de contribution qui viennent éclairer le contexte.

Marcel Dorigny, décédé en septembre 2021, resitue l’indépendance haïtienne dans l’histoire su début du XIXe siècle. Il rappelle la tentative de Bonaparte de reprendre le contrôle de l’île pour y restaurer l’esclavage et son échec à la bataille de Vertières. Après l’épisode napoléonien, le Congrès de Vienne avait réaffirmé les droits de la France sur Saint-Domingue [Le terme d’Haïti n’est jamais présent, à l’époque, dans les documents officiels] contre la restitution de la partie orientale à l’Espagne. Il montre combien, sous la Restauration, la France était restée esclavagiste et raciale, ce qui empêchait toute négociation avec les autorités haïtiennes. En 1825 Charles X reconnaît l’indépendance de la partie occidentale de l’île malgré l’opposition des anciens colons.

Jean Marie ThéodatGéographe haïtien, Jean-Marie Dulix Théodat est né en 1961 à Port-au-Prince. Après des études à l’université Paris Sorbonne, son doctorat porte sur la frontière entre Haïti et la République dominicaine. Il fut maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il a assuré des cours de géographie politique, économique et culturelle de 1998 à 2010, date de son retour en Haïti. pose une question fondamentale : Haïti était-elle obligée de verser une indemnité à la France ? Pour lui Haïti avait besoin de la France pour que la république noire puisse être reconnue par d’autres Etats. C’est le contexte de la mission Mackau : entre négociations et menaces de la flotte française dans la rade de Port-au-Prince qui aboutit à u accord entre deux « faibles » qui, pour la France, sauve les apparences et pour les Haïtiens permet la reconnaissance de l’indépendance. Pour Jean Marie Théodat ce fut un marché de dupes et un pari raté sur l’avenir des relations entre les deux Etats.

Gusti-Klara Gaillard met en perspective l’accord signé grâce à d’autres sources de l’époque et montre la complexité des relations franco-haïtiennes. En France les Chambres de commerce étaient favorables à une solution pour contrer l’influence anglaise dans la mer des Caraïbes. Il dresse un portrait de Mackau, émissaire militaire expérimenté qui va favoriser les intérêts français en exploitant les divisions au sein du pouvoir haïtien et pose des jalons néocoloniaux pour le paiement de la dette. Confronté à l’énormité des sommes dues l’État haïtien devient la proie des banques jusqu’à l’occupation états-unienne au début du XXe siècle.

C’est ce système de surendettement qu’étudie Jean Claude Bruffaerts. Il analyse le calcul du montant de l’indemnité. La chute des cours du café à partir de 1828 aggrave le problème. Il montre combien les choix budgétaires du gouvernement haïtien ont été des freins au développement du pays. Il analyse la répartition de l’indemnité entre les colons, eux-mêmes très endettés, en fonction du nombre d’esclaves possédés. La tentative d’évaluation des sommes exigées en monnaie actuelle est en rapport avec avec la justification de la demande de réparation.

Le texte lui-même du rapport Mackau constitue la dernière partie de l’ouvrage. Un rapport rédigé en 1825, précis, une narration détaillée de la mission incluant des procès-verbaux de séance du Sénat de Port-au-Prince. La reproduction du manuscrit est proposée en annexe complétée de la lettre du Président Jean-Pierre Boyer à Charles X.

Cette publication propose, au-delà du texte du rapport, une mise en perspective de longue durée de la dette, la « rançon » payée jusqu’au début des années 1950 a empêché Haïti d’investir dans l’éducation, la santé et les infrastructures porteuses de développement.