Les publications de l’Université de Saint Etienne sortent en ce début d’année 2008 un objet ambitieux : un ouvrage de plus de 200 pages accompagné de 2 DVD. Cette « publication » s’inscrit dans le cadre de l’achèvement, en 2006, du chantier de l’église Saint Pierre de Firminy-Vert (commencée en 1973).

Firminy, commune de 19 000 habitants, située à 15 km de Saint Etienne, appartenant à Saint Etienne Métropole, est connue pour abriter la deuxième plus grande partie de l’œuvre de Le Corbusier. Firminy – Vert est une zone de protection du patrimoine urbain et paysager (ZPPAUP). L’ensemble devrait être promu par l’UNESCO Patrimoine Mondial en 2008. Entre 1953 et 1971, grâce à l’impulsion de Eugène Claudius – Petit, alors député – maire et par ailleurs célèbre pour son action au service de l’aménagement du territoire, la ville a été le laboratoire du célèbre architecte. A l’emplacement d’une ancienne mine à ciel ouvert, Le Corbusier a pensé et/ou construit 4 éléments, inspiré des principes majeurs de la Charte d’Athènes. Dans les années 2000, pour faire face à la crise économique et identitaire qui affecte cette cité ouvrière, la mairie a décidé de tout faire pour développer le tourisme culturel en valorisant le patrimoine. C’est dans ce cadre qu’il a été décidé d’achever une partie du projet initial (avec la reprise du chantier de l’église). L’enjeu était d’autant plus important que la zone a été un « espace contesté » pendant longtemps.

Du bâti au patrimoine

Quatre bâtiments ont été conçus par Le Corbusier.

La maison de la Culture (1955 – 1969).
Symbole de la politique culturelle d’André Malraux, par le caractère novateur de son usage (démocratisation de la culture), plus que par son allure architecturale, elle a suscité bien des interrogations, réserves et contestations. Tout l’enjeu a été que la population s’approprie l’espace. Tâche difficile malgré l’action de directeurs dynamiques. La maison de la Culture devient un enjeu politique municipal, d’autant plus en période de crise économique. Les années 1980 – 1990 voit le délitement de la structure, suite au désengagement de l’Etat. L’endroit, repris par la municipalité, devient « Espace Le Corbusier ». Le site est toujours à la recherche de son identité, aujourd’hui.

Le stade municipal
Il est, par excellence, le cas type d’un « espace contesté ». Il vient en rupture avec la tradition qui voulait que, dans cette région industrielle, les lieux du sport soient construits par les grands industriels. Stade de 4000 places, dont 800 couvertes, cet édifice voit sa construction achevée après la mort de Le Corbusier. L’ensemble ne sera jamais approprié par les populations. Le stade est vu comme quelque chose d’importé. De rares évènements sportifs y sont organisés. Les stades plus anciens ou bien le nouveau stade (construit en bois) fédèrent les énergies sportives.

L’Unité d’habitation dite « Le Corbu » (par ses habitants) a connu le sort des grands ensembles, fortement remis en cause dans les années 1990. Trois unités étaient prévues, une seule sera construite, en raison de la crise économique et de la désaffection démographique qui touche alors Firminy. L’Unité existante compte environ 400 appartements (HLM ou propriété privée) répartis sur 20 étages. Sur le toit, se trouve une école maternelle (aujourd’hui fermée pour des raisons de sécurité). A partir de 1983, la moitié de l’immeuble est fermé, malgré la forte opposition des habitants qui défendent alors, pour la première fois, le lieu en tant que patrimoine. L’ensemble est de nouveau habité depuis 1993. On assiste depuis à une gentrification de l’immeuble, parallèlement à la mise en tourisme.

Eglise Saint Pierre de Firminy
Contrairement à la Chapelle de Ronchamp, cet édifice n’a pu être construit du vivant de Le Corbusier. Les travaux ont été entamés au début des années 1970 (Le Corbusier décède en 1965) puis ont été stoppés faute de moyens financiers. On doit à José Oubrerie (ancien dessinateur de l’Atelier Le Corbusier) et à une équipe d’architectes l’achèvement de l’église. L’église a d’ailleurs changé de fonction puisqu’elle est aujourd’hui une annexe du Musée d’Art Moderne de Saint Etienne. Le statut de ce bâtiment interroge : s’agit-il d’une œuvre posthume ?

Du conflit au consensus

D’abord rejetés (la politique culturelle de Claudius – Petit lui a coûté sa place de maire), les éléments Le Corbusier ont été perçus de manière radicalement différente à partir des années 1980 avec les premières procédures de classement. L’aménagement de Firminy – Vert a été mal vécu par la population. Des lieux patrimoniaux sont détruits (porte médiévale, marché couvert) pour faire place nette. Le Corbusier est vu comme « la danseuse » de Claudius – Petit (alors qu’il s’est contenté des honoraires habituellement alloués à des architectes stéphanois). La population reproche à ce quartier ex-nihilo d’être mal relié à la ville et d’être le repaire de populations dangereuses.
Avec la mise en tourisme, il s’agit bien d’une « patrimonialisation » à marche forcée, voire même d’une fabrication de patrimoine avec le chantier de l’église. A défaut de pouvoir accueillir des industries, la municipalité et la population misent sur le tourisme pour créer de l’activité. Xavier Guillot (le directeur de l’ouvrage), dans le chapitre Le Corbusier, Firminy et « l’ère de l’après – ville », décortique, pour le plus grand plaisir du lecteur, le processus par lequel un patrimoine est mis en tourisme. Il rapproche ce qui se passe à Firminy de la mise en œuvre du Musée Guggenheim à Bilbao, ou de la construction future d’annexes muséales du Louvre aux Emirats Arabes Unis. La patrimonialisation de Firminy a toute sa place dans le cadre de l’ingénierie culturelle mondiale. Ce tournant culturel n’a été possible que grâce à l’action de Saint Etienne – Métropole qui, parallèlement, mise sur le design (future cité du Design). Cette politique culturelle trouve son achèvement dans celle menée par la région Rhône – Alpes qui a mis en place des parcours architecturaux autour du thème des Utopies Urbaines. Ces initiatives tournent le dos au passé industriel (contrairement à ce qui se fait dans la Ruhr).

Regards croisés

Cette partie est constituée à la fois des pages de la dernière partie de l’ouvrage et des 2 DVD qui l’accompagnent. Les architectes à l’origine de la définition de la ZPPAUP exposent la procédure de classement. Ceux qui ont participé au chantier présentent leur point de vue. Ils sont aussi au centre du premier DVD : Carnet de chantier qui relate la construction de l’église. Le second DVD est composé d’interviews : des ouvriers, des élus, des entrepreneurs, des architectes et des spécialistes du patrimoine. Le premier DVD n’est pas d’un abord facile : il s’agit du récit en images et en son (ceux du chantier, il n’y a pas de voix off) de la construction du gros œuvre de l’église. 2, 3 ou 4 cases divisent l’écran et les premières minutes sont difficiles. Sur une petite télévision, on a bien du mal à s’y retrouver et la caméra à l’épaule donne le mal de mer, surtout quand le réalisateur (Christian Garnier) tourne sur lui-même pour nous montrer l’ensemble du paysage ! Une fois, l’initiation de l’œil faite, on se prend vraiment au jeu de cette construction, même si on n’est pas passionné par les travaux publics ! Ce film est surtout l’occasion de rendre hommage aux ouvriers, les véritables constructeurs de l’édifice. Le second DVD leur donne aussi la parole : chacun a pu se présenter et dire ce qu’il avait fait sur le chantier. On peut aussi écouter les interviews des cadres, des élus. Les DVD viennent compléter la lecture de l’ouvrage et ne sont pas redondants.

L’ensemble est très riche. Les textes sont particulièrement intéressants. Ils ne sont pas uniquement centrés sur l’évolution du projet architectural, comme c’est souvent le cas dans les livres d’architecture, mais sur la manière dont les équipements ont été petit à petit appropriés par la population. Il s’agit bien de géographie. Le chapitre 1 de la partie 2 est redondant avec la première partie du livre puisqu’il reprend les différents développements sur les sites. On regrettera que les DVD fournis soient si mal protégés. Placés sur la couverture souple du livre, ils demandent au lecteur un soin particulier afin de ne pas être abimés. Cela pose, peut être, la question du manque de moyens pour parachever l’ensemble. La question est d’autant plus cruciale que certaines pages du livre ne sont pas exemptes de grosses fautes d’orthographe, comme si à la relecture, ces pages avaient été oubliées.

Cependant, cet ouvrage est un très bel objet. Sa lecture et découverte invite à « aller faire un tour du côté de chez Corbu » afin de pouvoir non seulement admirer les œuvres du maître mais surtout appréhender de visu cette mise en tourisme et patrimonialisation en cours, à défaut de pouvoir se rendre à Bilbao ou à Dubaï.

Copyright Les Clionautes.

Maxi Bonus fourni par François Arnal :

– Un lien pour avoir des photographies sur l’inauguration de l’église St Pierre le 25/11/2006

http://ahahh.blog.lemonde.fr/2006/11/26/inauguration-de-leglise-saint-pierre-de-le-corbusier-a-firminy-loire/

– Des paysages sur le thème du patrimoine et du design dans la région stéphanoise.
http://hgeofm.over-blog.com/album-294078.html

CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien.