Yves Pourcher retrace ici le parcours d’une quinzaine de collabos français durant les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale.

Quelques semaines auparavant, ils paradaient à la radio, dans les bureaux des ministères, dans des dîners mondains ou écrivaient dans des journaux. Ils étaient des fascistes incurables, des antisémites acharnés ou de simples opportunistes. Mais tous ont joué un rôle non négligeable dans la collaboration d’État en glorifiant Hitler, en formant des miliciens, en soutenant le régime de Vichy, la répression des résistants ou la déportation des Juifs, … Durant l’été 1944 et les mois qui vont suivre, ils fuient et quittent la France pour l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne ou encore l’Amérique du Sud. Pour la plupart, l’exil passe d’abord par Sigmaringen.

Une galerie de portraits de collabos

En une quinzaine de courts chapitres, Yves PourcherHistorien, professeur des universités à l’IEP de Toulouse nous propose une galerie de portraits de collabosVoir aussi : Ombre invaincue. La survie de la Collaboration dans la France de l’après-guerre 1944-1954, Christophe Bourseiller, Perrin, 2021, 365 pages plus ou moins célèbres. En voici quelques exemples :

  • Marcel Déat, ancien leader de la gauche devenu une grande plume de la collaboration. A Sigmaringen, Déat continue d’écrire afin de raconter l’exil dans le château des Hohenzollern : le rationnement, les fréquentations (Céline et sa femme, les Brinon, …), les alertes ou la mort de Doriot. Finalement, il part se réfugier dans les monastères italiens. Condamné à mort par contumace en juin 1945, il ne sera jamais arrêté.
  • Paul Marion, lui aussi un désenchanté de la gauche française qui a adhéré au PPF de Doriot en 1936 avant d’être nommé secrétaire général adjoint à la vice-présidence du Conseil chargé de la propagande (1941) puis secrétaire d’Etat à l’Information (1942). Ce grand tribun mais médiocre administrateur décide, après Sigmaringen, de se rendre aux autorités à Innsbruck. En 1948, la Haute Cour de Justice le condamne à 10 ans de prison et à l’indignité nationale.
  • Madame Laval suit son mari en exil dès le 17 août 1944. Après Sigmaringen, la Suisse leur refuse l’entrée de leur territoire. Dès l’arrivée sur le sol espagnol (le 2 mai 1945), le couple est expédié à la forteresse de Montjuich. Franco se débarrasse de cet hôte encombrant et le couple arrive à l’aéroport du Bourget le 3 août 1945. Après la mort de Pierre Laval, sa veuve vit chez sa fille à Paris puis au château de Châteldon, là où « le passé obsède le présent ».
  • Max Knipping, l’aviateur devenu milicien et hardent défenseur de Darnand jusqu’à l’exil de Sigmaringen. Après son arrestation et son procès, il est finalement fusillé au fort de Montrouge en 1947.
  • Lisette de Brinon, issue de la bourgeoisie juive et qui épouse le journaliste Fernand de Brinon (en secondes noces). Aux côtés de son mari devenu ambassadeur, elle mène, durant l’occupation, une vie mondaine aux côtes de « Son Excellence ». Fusillé en 1947, elle retrouve vite la vie mondaine en devenant, après-guerre, démarcheuse en vins de Bordeaux et vendant quelques caisses à ses relations les plus fortunées.
  • Jean Loustau, ancien de l’Action française et tombé dans le PPF de Doriot, il devient un grand nom et une grande voix de Radio-Paris aux côtés de Jean Hérold-Paquis. Même en exil les deux hommes ne se quittent pas, de Sigmaringen jusqu’en Suisse. Livré aux autorités françaises, Loustau est condamné à mort puis gracié par le général de Gaulle, la peine est commuée aux travaux forcés à perpétuité. Une mesure d’amnistie lui permet de sortir de prison et de reprendre son activité de journaliste notamment pour Valeurs actuelles.

L’auteur n’en oublie pas le propagandiste Jean Luchaire, Monique Joyce l’ancienne meneuse de revue du Lido devenue la maîtresse de ce dernier, le ministre de l’Education nationale Abel Bonnard, l’écrivain Raymond Abellio, la croyante des derniers jours Madame Déat ou encore le secrétaire général de la Milice Francis Bout de l’An.

 

 

La force de cet ouvrage est de faire reposer le propos sur de nombreux extraits d’archives, de témoignages et de correspondances permettant ainsi de dévoiler l’après-guerre des collabos. Il est intéressant de suivre ces destins qui se croisent pour la plupart dans le panier de crabes de Sigmaringen et qui adoptent deux positions différentes lors de cet exil : d’un côté les « inactifs », de l’autre ceux qui entendent bien continuer à exercer leurs fonctions ou bénéficier de leurs privilèges.

A l’inverse, les courts chapitres peuvent laisser le lecteur sur sa faim. A peine, est on rentré dans la vie de ces exilés que le chapitre se clôture déjà au bout de quelques pages. La lecture complémentaire d’autres ouvrages permettra de véritablement saisir l’intimité et la singularité de ces destins de collabos lors de leur exil d’après-guerre. 

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX