La Revue Urbanisme fait son entrée dans la Cliothèque de Géographie avec son numéro consacré à l’état des lieux de la France en terme d’urbanisme. Cette revue spécialisée depuis 1932 dans l’essentiel de l’actualité qui touche la Ville est une publication d’un excellent niveau, comme en témoigne la qualité et la rigueur des comptes-rendus de lecture qui y sont publiés. Les Clionautes savent en apprécier la teneur, habitués qu’ils sont à lire les chroniques publiées sur le site de la Cliothèque ! Au-delà de ce point commun avec notre site, la revue se situe au croisement de l’histoire des arts (une bonne place est donnée à l’architecture. Voir à ce propos l’interview de Patrick Bouchain, auteur du Magasin à Grenoble ou du Pompidou Mobile), de l’histoire (voir l’article de Gérard Monnier, l’historien des grands ensembles, sur le quartier de la Faisanderie à Fontainebleau) et surtout de la géographie (par le biais de l’urbanisme et du dossier ci-dessous présenté). Richement illustrée, cette revue d’une petite centaine de pages se dévore allègrement dès réception. Il faut dire que le dossier central est alléchant à la fois par sa problématique et surtout par sa mise en œuvre.
Haro sur les périurbains !
Le dossier central est composé des contributions issues du séminaire Robert Auzelle (28/09/2011) qui a réuni professionnels et chercheurs autour de la question : « Face à l’étalement urbain, quel cadre de vie pour demain ? ». Les réponses des professionnels (leur organisation professionnelle) à la problématique figurent dans la première partie du dossier. Synthétiques, ces textes demeurent toutefois trop généralistes. Si les organisations professionnelles convoquent souvent le développement durable afin d’envisager le futur urbain, elles ne détaillent pas le champ opérationnel de leurs solutions. Une bonne part d’entre elles plaident pour la ville dense : « La solution, c’est la ville » comme le dit le Club Ville aménagement. L’habitat individuel est montré du doigt par le Conseil national de l’ordre des architectes. « Les lotissements engendrent la monotonie, consomment les terres cultivables, provoquent l’éloignement et sont coûteux pour les finances publiques. Ils favorisent le « tout routier » et créent des milieux socialement homogènes éloignés des services et des centres urbains. » Haro sur les périurbains ! « Bien sûr, on trouvera toujours des défenseurs de l’étalement urbain, des amis du paradoxe pour vous dire que c’est ce que demandent les gens, que cela les rapproche de la nature, que c’est la réalisation des « villes à la campagne » ». Ces organisations (ordre des architectes, des géomètres-experts, fédération française du paysage) militent pour redonner sa place à la nature en ville, favoriser les mobilités douces et les transports en commun. Leurs solutions semblent pourtant si loin des préoccupations des habitants des franges urbaines et notamment ceux qui habitent les « communes multipolarisées des grandes aires urbaines ». Ce n’est pas seulement pour « communier avec la nature » que ces personnes ont « choisi la campagne » mais le plus souvent car c’était le seul moyen de faire coïncider leur désir d’espace en termes de m2 habitables avec leur budget : la gentrification des centres-villes poussant de plus en plus les classes moyennes et populaires loin des villes.
Pour une pédagogie en faveur de la ville dense
Toutes les organisations professionnelles représentées ne partagent pas cette vision. La Société française des urbanistes (SFU) apporte une réponse plus mesurée grâce, notamment, à une vision globale de l’aire urbaine. Elle aborde les limites des solutions précédemment évoquées. « Le bât blesse dans les secteurs où cet étalement s’est déjà opéré : sous équipement, accès difficile, risques naturels, manque de moyens… Dans ces secteurs, les réponses à moyen terme sont, d’une part, de favoriser une densification permettant de rentabiliser le foncier existant et, d’autre part, de trouver les moyens adéquats pour améliorer les équipements défaillants. » Elle insiste sur le travail pédagogique à mener pour montrer au public qu’il fait bon vivre dans des quartiers denses et que la maison individuelle n’est pas une solution en soi. Pour l’Union des Maisons Françaises, les responsables de l’étalement urbain ne sont pas à chercher de leur côté mais de celui des élus qui prennent des décisions d’aménagement et d’urbanisme locales. Le tout est résumé sous la formule : « Le cadre de vie réussi de demain est celui qui saura loger les familles dans des conditions économiques raisonnables et dans leur respect de leur besoin d’espace. »
Pour un « urbanisme rural »
L’ensemble de ces contributions d’acteurs professionnels est suivi par des textes écrits par les membres du comité de rédaction. Deux d’entre eux permettent de replacer la problématique du séminaire sous un angle épistémologique. Thierry Paquot, qui a été le maître d’œuvre de cette rencontre, rappelle qu’il y a longtemps déjà (dès la création de la Revue Urbanisme) que la question de « l’urbanisme rural », de « l’entre-ville (Sievert) » a été posée. « Une chose est certaine. Le périurbain n’existe plus, il est parfois devenu « central » (on parle alors de polycentralité) et le plus souvent s’est fondu avec l’urbain éparpillé. » Jean-Michel Roux (plus de 30 ans après La rurbanisation ou la ville éparpillée) dénonce la muséification de Paris (« le dedans »), en parallèle à l’absence d’organisation du « dehors ». Pour lui, « la vraie frontière entre la ville et le reste n’est pas morphologique » mais « historique et sociale, et de plus en plus férocement tracée. » Il dénonce les chiffres à l’emporte-pièce (repris par le Conseil national de l’ordre des architectes) : équivalent d’un département français disparaissant tous les dix ans depuis les années 1980 sous l’effet de l’étalement urbain. Il veut croire en la satisfaction des habitants des territoires urbains périphériques. La preuve ? « Les retraités ne quittent pas, sauf les très âgés, leur résidence du périurbain pour rejoindre les centres-villes » comme l’indique un séminaire du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture).
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes