Platon revient de nuit vers Athènes, trois ans après la mort de son maître, Socrate. Il retrouve Criton en pleine nuit, également ami et disciple du « maïeuticien », en train d’égorger un coq en l’honneur du dieu guérisseur Asclépios.

Dans le Phédon, en effet, les dernières paroles de Socrate furent « Criton, nous devons un coq à Asclépios ; ne négligez donc pas de vous en acquitter ». C’est là une des nombreuses références (bien documentées et plutôt subtilement introduites) à la vie de Socrate et à l’œuvre de Platon dans le roman graphique, La vérité sur Socrate, d’Olivier Pourriol (scénariste et agrégé de philosophie) et d’Eric Stalner (dessinateur).

Dans cette bande dessinée, nombre d’anciens disciples de Socrate vont se retrouver invités à un banquet dont l’hôtesse est la belle hétaïre Théodote mais dont le commanditaire véritable reste inconnu. On trouve ainsi réunis Platon, ses deux frères Glaucon et Adimante, Apollodre, Xénophon, Eschine de Sphettos, Anthisthène le cynique, Aristippe de Cyrène, le comique Aristophane, Criton et le fils aîné de Socrate, Lamproclès. Si ce banquet vient évidemment rappeler l’œuvre éponyme de Platon, il dégénère bien vite entre les commensaux et les reproches des uns vis à vis des autres se multiplient : abandon du maître lors de sa condamnation à boire la ciguë, « responsabilité » d’Aristophane dans la mort de Socrate pour l’avoir ridiculisé dans sa pièce, Les Nuées, moqueries à l’encontre d’Aristippe et d’Eschine pour avoir fait payer un enseignement reçu alors que le maître ne demandait aucun traitement pour ses « leçons ».

Alors que les tous les participants boivent en l’honneur de leur mentor disparu, ils sombrent, drogués par le vin qu’ils viennent de consommer. C’est alors que Socrate leur apparaît en songe…

La vérité sur Socrate est une belle réussite, graphique et littéraire. Olivier Pourriol et Eric Stalner passent en revue toutes les facettes de « l’homme Socrate », évoquant même son passé de combattant, épisode rarement mis en avant. Le dieu guérisseur Asclépios apparaît également comme un fil conducteur du récit, une façon pour les auteurs de proposer des hypothèses d’explication aux derniers mots du philosophe, qui ont par ailleurs fait couler beaucoup d’encre. Asclépios est ainsi mentionné au début du récit par Criton qui lui sacrifie un coq, en référence, comme indiqué plus haut, à la dernière phrase de Socrate dans le Phédon. Il est celui à qui Socrate, dans le présent récit, doit son entrée dans la « joute » oratoire et philosophique, lorsque jeune enfant, il démystifie, en pleine agora, un charlatan prétendant avoir obtenu une panacée de la part du dieu ; le coq offert apparaît encore sur le bouclier de Socrate lorsqu’il combat à Potidée ; il est invoqué par le sophiste Gorgias qui cherche à calmer la fureur de Lamproclès voulant venger son père ; il est encore évoqué dans les dernières pages, lors d’ un court dialogue entre Criton et Platon, ce dernier indiquant avoir été malade durant la mort de son maître.

Une belle érudition se déploie tout au long des pages de cette bande dessinée que l’on parcourt avec un immense plaisir.

On pourra également trouver un prolongement pédagogique à la lecture de ce roman graphique autant dans le cadre de séquences consacrées au monde grec que pour l’enseignement des langues et cultures de l’Antiquité.

Grégoire Masson