Elias Tano raconte dans cette bande dessinée une histoire peu connue qui parle tout à la fois d’exil et d’émancipation féminine. Le récit est porté par un dessin très coloré et très expressif.

Un contexte particulier

Pour les lieux, disons d’abord que l’histoire se déroule au début à Garafia, petite commune située au nord-est de l’île de La Palma, dans l’archipel espagnol des Canaries. Elle se poursuit également au Vénézuela. L’époque, c’est celle des années 1950 et 1960, c’est-à-dire au moment de la dictature franquiste. L’album se déroule plus précisément entre 1957 et 1962.

Quitter l’île pour un avenir meilleur

Elias Tano s’est inspiré du parcours de ses propres grands-parents, Inocencio et Gloria. Le lieu est marqué par la répression politique et la misère économique. Les hommes de la communauté quittaient l’île pour tenter de trouver de quoi faire vivre les leurs. L’eldorado pour eux s’appelait Vénézuela.

L’arrivée au Vénézuela

Le dessinateur nous fait suivre le parcours cahotique des hommes dans l’Océan. On voit les difficultés et la longueur d’une telle traversée. Les gardes-côtes vénézuéliens les arrêtent à leur arrivée. D’abord considérés comme des délinquants, ils sont emprisonnés. Inocencio ne dit rien de ce qui lui arrive à son épouse et ses courriers lui font croire que tout va bien.

Une « Suisse des Caraïbes » mais pas pour tout le monde

Des accords entre les dirigeants vénézuéliens et Franco transforment ces migrants illégaux en travailleurs. Ils s’emploient donc dans ce qu’on appelle alors la « Suisse des Caraïbes ». En réalité, ils se trouvent en situation d’esclavage dans les plantations bananières. Comme le dit l’un d’eux, aux Canaries on nous laissait mourir de faim et ici on nous roue de coups. Ils sont bien loin de s’enrichir comme ils le croyaient initialement. Inocencio tombe malade et l’opération coûte très cher. Un peu plus tard, il quitte les bananeraies pour se faire livreur mais, là encore, il subit des pressions Il doit notamment tout faire pour conserver ses cargaisons même en cas d’attaque.

La vie des femmes à Las Palmas

L’album nous fait suivre également la femme d’Inocencio, Gloria. On la retrouve en 1962 avec l’enfant dont elle était enceinte au moment du départ de son mari. Sur l’île de La Palma, les femmes doivent se débrouiller seules. Ainsi, lorsque l’une d’elles est malade, les autres doivent la transporter sur un brancard. Pendant plusieurs mois parfois, elles n’ont pas de nouvelles de leur mari. Elles sont comme des « veuves blanches » selon la formule utilisée par l’une d’elles. D’autres ont été oubliées par leur mari une fois arrivé au Vénézuela.

Je rentre comme je suis venu

L’auteur nous fait aussi éprouver la vision des enfants qui disent aimer cette vie sans père pour les gronder. En 1962, Inocencio revient du Vénézuela. Il était parti comme tant d’autres avec l’espoir de rentrer quelques années plus tard pour construire une petite maison. Le retour est à la fois difficile et émouvant, surtout lors des retrouvailles avec ses enfants dont sa petite fille Yoyita qu’il n’avait jamais vue. Il est de retour mais «  la tête basse et le front ridé ».

Ceux qui partent et celles qui restent

A la fin de l’ouvrage, l’auteur revient en quelques pages sur la genèse de sa bande dessinée. Il la considère comme un témoignage par fragments avec des exagérations mais aussi des vérités. Elias Tano reconnait aussi ne pas avoir été forcément rigoureux sur les dates. En tout cas ce qui est sûr, c’est qu’entre 1940 et 1960, la population masculine de La Palma se contracta de façon drastique.

Choix graphiques

Le dessinateur utilise des couleurs différentes selon que l’on se trouve sur l’île de La Palma ou au Vénézuéla. Il faut surtout mentionner les choix graphiques de l’auteur présentés comme influencés par les techniques du street art. On pourra d’ailleurs se rendre sur le site de l’auteur pour découvrir l’ensemble de sa production. Il est renommé pour ses peintures murales réalisées dans de nombreux pays.

Cet ouvrage d’Elias Tano est émouvant. Il fait découvrir une histoire à la fois très précise, celle de cette communauté de Garafia, mais elle incarne aussi des questions essentielles, comme celles de l’exil ou de la place des femmes dans la société.