Toujours à l’affût de livres à publier qui présentent des épisodes méconnus de l’histoire, l’éditeur André Versaille a réussi cette fois-ci à nous surprendre une fois de plus. En publiant cet ouvrage de l’historien et journaliste Edward Kritzler, consacré aux pirates juifs des Caraïbes, cet éditeur fait la démonstration, s’il en était besoin, de son aptitude à dénicher des pépites, tout comme ses lointains devanciers, partis à la recherche du trésor de Christophe Colomb dans les montagnes de Jamaïque.
Cette histoire surprenante raconte le parcours des protégés de Christophe Colomb, des juifs espagnols et portugais pourchassés par l’inquisition. Au moment où Christophe Colomb met les voiles pour le Nouveau Monde, le 2 août 1492, les rois d’Espagne, Ferdinand et Isabelle les catholiques, participe à une vaste politique que l’on qualifierait aujourd’hui de « nettoyage ethnique ». Parmi les 100 000 juifs expulsés d’Espagne par décret du roi certain d’entre eux sont partis vers le Nouveau Monde. Dans son introduction, Edward Kritzler revient sur l’histoire des juifs d’Espagne, dont la présence semble avoir été attestée sur la péninsule Ibérique dès le premier millénaire. Pendant la période arabe de l’Espagne, les juifs constituent une communauté qui trouve sa place dans la société musulmane. Avec la Reconquista, la situation reste pour un temps inchangée avant que, au tournant du XIVe siècle, dans les zones libérées de l’occupation musulmane, l’inquisition n’allume ses sinistres bûchers. Pendant un temps, entre 1391, avec le premier massacre de Séville, jusqu’à l’ordre d’expulsion de 1492, les juifs ont fait profil bas en choisissant une conversion de façade qui ne fut pas jugée suffisante par les cinq visiteurs. Les convertis sont qualifiés de marranes, suspects par principe de continuer à pratiquer la foi de Moïse.
À partir de 1492 la plupart des juifs d’Espagne rejoint l’Afrique du Nord, tandis que d’autres se rendent au Portugal, à l’abri croient-ils pour un temps, de l’inquisition.
C’est dans ce climat que les juifs expulsés d’Espagne choisissent de s’exiler aux Indes occidentales, même si au 16e et au XVIIe siècle des milliers de converti émigrer en Amérique latine eurent également maille à partir avec l’inquisition.
Paradoxalement, entre la fin du XVe siècle et le XVIIe siècle, dans les colonies portugaises comme espagnoles d’Amérique latine des colonies de convertis de façade se sont établies et ont joué un rôle important dans le développement des différentes îles des Caraïbes, surtout en s’appuyant sur les hollandais qui disputaient aux Espagnols leur domination dans le secteur à partir du XVIIe siècle. C’est la raison pour laquelle la Jamaïque sur laquelle Christophe Colomb a fait naufrage lors de son troisième voyage, et qui lui avait été cédée par décision du roi d’Espagne, a pu apparaître comme un refuge pour ses juifs prétendument portugais, mais en réalité espagnols, fuyant l’inquisition et cherchant une sorte de nouvelle terre promise. À la mort de Christophe Colomb en 1506, ses fils font valoir leurs droits face à la couronne espagnole et décide finalement d’accueillir ses fameux « portugais », c’est-à-dire ces conversos. L’ouvrage de Edward Kritzler est évidemment apprendre avec précaution. Il est clair que sa volonté de réaffirmer le rôle de la communauté juive dans la découverte du Nouveau Monde l’amène parfois à des approximations hasardeuses. Témoin cette phrase à propos de Christophe Colomb : « l’amiral navigué en fait avec un double agenda en tête : au-delà de son objectif avoué-conquérir les richesses de l’Asie-, il espérait mettre la main sur une terre qui permettrait aux juifs séfarades de vivre en paix, loin de la terreur inquisitoriale. »
Rien en l’état actuel ne permet tout de même de le démontrer. Mais pour autant, les différentes communautés juives ont pu jouer un rôle particulièrement important, dans le Nouveau Monde, en association avec la communauté juive installée à Amsterdam.
C’est là que prend sa place le personnage sans doute le plus étonnant que l’on peut rencontrer dans cet ouvrage, à savoir Samuel Palache, le rabbin pirate originaire de la communauté juive du Maroc, et qui participe sous l’impulsion du sultan du Maroc, à des opérations de piraterie en Méditerranée. Les compétences acquises auprès des flibustiers maures, se retrouvent ensuite largement utilisées par le rabbin Palache qui agit pour le compte des hollandais mais qui demande tout de même un sauf-conduit à l’Angleterre pour pouvoir mener entre 1610 et 1614 des opérations de piraterie contre les galions espagnols. C’est d’ailleurs un des mérites de cet ouvrage que d’insister sur le rôle d’Amsterdam, appelée parfois la nouvelle Jérusalem, dans la préservation des juifs d’Europe, qui ont pu, à partir des routes maritimes ouvertes par les hollandais, mener à bien l’implantation de leurs colonies dans le Nouveau Monde. À partir des Caraïbes, Edward Kritzler parvient à montrer, que des descendants de ces marranes protégés par les héritiers de Christophe Colomb à la Jamaïque ont pu jouer un rôle important, y compris au service de la révolution américaine, en détruisant des navires britanniques lors de la guerre d’indépendance.
Cet ouvrage est évidemment intéressant car il propose une lecture de l’histoire, à travers un prisme communautaire, ce dont il faut bien entendu être conscient. La conception « dispersée » de l’ouvrage, qui ne s’inscrit pas forcément dans la continuité chronologique peut surprendre, mais il n’en reste pas moins que bien des épisodes relatés apportent un éclairage original sur la construction du Nouveau Monde.
Il est vrai que, lorsque l’on retrace l’histoire de la communauté juive, et qu’elle apparaît comme une victime à toutes les époques, on peut trouver intéressant, voire même valorisant le destin de ces pirates et flibustiers, qui traquaient les galions chargés d’or faisant voile vers l’Espagne, et exerçant contre l’inquisition une vengeance à tout le moins légitime.
Bruno Modica