Pascal Buresi est directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS. Il dirige l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman.

Paru initialement en 2005, cet ouvrage est une réédition complétée par une longue postface dressant le bilan des dernières années écoulées.

L’ouvrage s’ouvre sur un chapitre consacré à l’islam, religion qui constitue le ferment du monde musulman. Il permet au lecteur de se familiariser avec ses prémices, ses fondements, ses principes et ses rites. L’auteur met en lumière la grande richesse de cette religion qui s’incarne dans de multiples courants, dans plusieurs rites juridiques, dans des confréries soufies qui en développent une approche ésotérique. Se dresse ainsi le portrait dynamique d’une religion présentant à la fois des caractères d’unité et de diversité, et parcourue précocement par des courants de réformes.

La communauté culturelle fondée autour de l’islam permet-elle de parler d’une « civilisation musulmane » ? Là encore, selon l’auteur, si on peut déceler « une certaine unité, déterminée par l’importance du fait urbain, par le rôle de la langue arabe » (p. 90) ou encore par « la mobilité des hommes, des produits, des biens et des idées » (p.139), c’est la diversité qui prédomine. On ne peut distinguer un simple processus d’uniformisation des espaces tant le pouvoir en terre d’Islam s’adapte aux différents territoires sur lesquels il s’exerce.

Outre la religion, la tribu ou le lignage offrent des cadres solides dans une société où l’on ne peut opposer diamétralement sédentaires et nomades. Aujourd’hui encore dans la péninsule Arabique vivent des tribus où nomades et sédentaires se côtoient dans une complémentarité des activités qui assure la cohésion du groupe.

L’importance des lieux saints, qu’ils soient communs à l’ensemble du monde musulman (La Mecque) ou spécifiquement investis par une partie de la communauté (Kerbala, Najaf pour les chiites) sont étudiés avant d’aborder la question des villes du monde musulman. Qualifiées d’« islamique », « orientale » ou « arabe », elles ont été par le passé essentialisées par les chercheurs européens. L’absence d’institutions urbaines sur le modèle occidental aurait contribué à leur caractère labyrinthique traduit par la multiplication des ruelles et des impasses. S’appuyant sur les travaux de D. Sourdel, P. Buresi fait valoir que cette caractéristique existait déjà dans l’Orient ancien, de même que les maisons à cour centrale, elles aussi longtemps considérées comme caractéristiques des « villes islamiques ». Il en conclut qu’ « aucune caractéristique commune à toutes les régions musulmanes ne semble être ni suffisante ni déterminante pour identifier une ville musulmane » (p. 239).

Loin d’être une religion spécifiquement urbaine comme l’affirmait X. de Planhol, ce sont des nomades qui ont diffusé l’islam sur un vaste territoire dont la conquête et l’extension font l’objet d’un chapitre du livre. On y découvre un espace fragmenté d’où ressortent épisodiquement des rêves d’unité fondé autour de l’idéal d’un retour à des origines mythifiées.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux évolutions récentes du monde musulman. Elle offre un éclairage précieux pour bien différencier des notions complexes tels qu’« islamisme », « panislamisme », « islam politique » ou encore « post-islamisme ».

En termes géopolitiques, l’auteur décrit un bouleversement des équilibres recomposés entre deux pôles en concurrence, avec d’un côté l’Arabie Saoudite qui cherche à s’affirmer comme une puissance régionale et de l’autre l’Iran qui lui oppose un contre-modèle.

Les révolutions récentes du « Printemps arabe », parfois endiguées comme au Maroc ou en Algérie, ont également bouleversé cette aire régionale. Malgré des répercussions internationales, P. Buresi insiste sur la dimension nationale de ces différents mouvements structurés non pas autour de la dénonciation d’un impérialisme étranger mais autour de la remise en cause des régimes locaux.

Le développement des réseaux terroristes est en revanche replacé dans une perspective internationale et traité davantage comme un sous-produit de la mondialisation que comme un phénomène propre au monde musulman.

C’est au final un ouvrage riche, détaillé tout en étant accessible, dont l’approche dynamique s’avère éclairante. L’étude géo-historique permet d’aborder aussi bien les invariants et les phénomènes de longue durée que les évolutions récentes et celles qui sont toujours en cours. Le lecteur peut ainsi trouver des clés de compréhension utiles pour saisir un monde avec lequel les contacts sont de plus en plus importants dans un système mondialisé.