La guerre est-elle au centre des sociétés grecques ?
Les textes antiques font une large part à la guerre ce qui a fait de celle-ci une entrée privilégiée pour l’étude du monde grec. Pourtant l’état de guerre n’est pas permanent. Les grecs connaissent la guerre et savent qu’ils doivent s’y préparer. On le voit bien à travers la relation qui lie la citoyenneté et les formes prises par l’état militaire du citoyen. De la même manière par ce qu’elle implique comme besoins la guerre va dépendre des possibilités économiques. Ainsi, autour de la guerre, se développe un imaginaire de guerre et se pose la question des violences de guerre. Pascal Payen va ainsi essayer d’appliquer au monde grec la notion de culture de guerre développée par les historiens de
La Grande Guerre
L’ouvrage consacre sa deuxième partie à l’étude synthétique des conflits depuis les récits homériques jusqu’à la période hellénistique. L’auteur montre comment la forme prise par la guerre a évolué. Si les récits de la guerre de Troie font la part belle aux affrontements entre héros, ils mentionnent également des phalanges de guerriers mais qui ne doivent pas être confondues avec celles de l’époque hoplitique. Mais qu’est-ce qu’un héros épique ? A travers le cas Achille (« le meilleur des Achéens ») l’auteur nous interpelle sur cette notion. Avec la révolution hoplitique, puis la naissance d’empires maritimes, la guerre change de nature et d‘échelle par une participation plus active du soldat-citoyen. Des changements qui se poursuivent à l’époque hellénistique avec la diversification des armées qui introduisent plus de troupes légères et de mercenaires dans leurs rangs. Les ennemis évoluent également, qu’il s’agisse des Grecs eux-mêmes, des Perses ou des Romains qui sont assimilés à des barbares. Mais la guerre sous-entend également des alliances, globales ou bilatérales,
ainsi que des traités de paix. Il y a un personnel diplomatique dont la composition est le reflet des structures des cités, et des règles qui font qu’au final la paix semble plus importante que la guerre.
Les moyens de la guerre
Le cœur de la guerre est représenté par les combats terrestres au centre desquels s’affirme la figure de l’hoplite. Combattant civique par excellence, celui-ci incarne pour l’auteur la volonté de défendre la cité plus que celle d’agresser l‘autre. Mais l’hoplite-citoyen ne combat pas seul, à ses côtés on peut trouver des métèques et des mercenaires ainsi que des troupes légères dont le nombre ne cesse d’augmenter. Tandis que peu à peu la guerre navale prend de l’ampleur avec le développement des trières qui jouent un rôle majeur dans la puissance d’Athènes. L’évolution de la composition des armées fait ici la part belle aux armées de cités. Les moyens militaires ne sont pas seulement humains, à l’exception fameuse de Sparte, les cités se dotent d’enceintes qui permettent de protéger les citoyens des attaques adverses.
La direction des opérations militaires est confiée par l’assemblée à des magistrats militaires qui doivent rendre des comptes. Mais la dimension nouvelle prise par la guerre du Péloponnèse tend à rendre ceux-ci plus professionnels. Certains à l’image de Lysandre rentrent dans des stratégies personnelles. Une tendance accélérée à l’époque hellénistique dans laquelle le roi est au cœur de l’armée en marche.
Compte-tenu des moyens limités des économies antiques, la guerre fait l’objet d’un financement aux formes variées. Cela peut reposer sur les moyens des citoyens de la cité à l’image des liturgies triérarchiques ou des contributions citoyennes. Mais c’est aussi le tribut
de la ligue de Délos ou les butins pris à l’ennemi qui permettent de financer les campagnes militaires. La guerre mobilise ainsi les ressources économiques et humaines des communautés.
Sociétés en guerre et revers de guerre
Compte-tenu de la place qu’occupe la guerre, il faut voir comment les sociétés grecques se positionnent par rapport à elle. Force est de constater que les institutions politiques et sociales exercent un contrôle sur les activités militaires. Même à Sparte, le politique l’emporte sur le militaire. Le citoyen reçoit cependant une formation militaire lors de son accession à la citoyenneté comme les éphèbes athéniens. Quant aux corps des citoyens morts au combat, ils reçoivent l’hommage de la cité.
Quant aux dieux, ils sont associés aux différents moments de la guerre. Cela commence souvent avec la consultation des oracles avant d’engager la guerre ou des sacrifices préliminaires à la bataille. Mais ils participent également à celle-ci à travers les signes divins qu’ils adressent aux combattants. Bien sûr, cela leur vaut de recevoir des offrandes après la victoire. La guerre peut être sacrée, elle n’en est cependant pas une guerre de religion.
Les « revers de la guerre » sont, selon la formule de Pascal Payen, la face occultée, inavouable de celle-ci. Au premier chef, la violence de guerre. Celle-ci n’est pas occultée dans les récits, selon les situations on y voit un déchaînement de violence gratuite ou bien une décision conforme à ce qui peut parfois apparaitre comme une norme : exécution de prisonniers, réduction en esclavage des femmes et enfants, ou massacre de toute la population… Les femmes ne participent que peu à la guerre, même si on trouve des exemples d’héroïsme au féminin chez Hérodote. Elles sont cependant victimes de celle-ci, réduites au statut d’esclave ou livrées aux mâles vainqueurs. La violence qui se déchaîne n’est pas toujours la seule expression d’une sauvagerie spontanée et c’est d’ailleurs quand elle échappe au contrôle du politique qu’elle est condamnée.
En conclusion
Un ouvrage où l’auteur développe une thèse qui remet en cause certaines visions traditionnelles de la place de la guerre dans le monde grec. En traitant du rapport des grecs à la guerre et en utilisant des notions de cultures de guerre ou de « revers de guerre » celui-ci nous amène à nous interroger sur le fait culturel qu’est la guerre. L’ouvrage s’accompagne d’une centaine de pages d’annexes où, en plus des cartes et repères chronologiques, l’on trouvera des extraits complémentaires des principaux documents utilisés au fil du texte. Cependant, la vision présentée semble surtout applicable au modèle athénien de la cité de l’époque classique. L’auteur est moins convaincant quand il généralise à l’ensemble du monde grec.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau