Depuis plusieurs années la Cliothèque entretient d’excellentes relations de service de presse avec l’institut Choiseul. Après avoir longtemps été à la tête d’une galaxie de revues, comme l’excellente «sécurité globale»,Pascal Lorot , le président de l’institut Choiseul et le fondateur de la revue s’est consacré spécifiquement à géoéconomie.
Ce dernier numéro comporte différents articles sur des sujets extrêmement variés, que nous allons essayer de présenter successivement.
Stéphanie Rivoal est la présidente de l’O.N.G. action contre la faim et elle propose en ouverture une contribution sur l’arme alimentaire qui fait véritablement le tour de la question. On connaît depuis longtemps l’utilisation de l’arme alimentaire dans la guerre économique et le rôle que les États-Unis ont pu lui donner dans les dernières années de la guerre froide. Contre l’Union soviétique cela n’était sans doute pas suffisant mais a pu contribuer à affaiblir l’adversaire. Aujourd’hui, dans le monde post guerre froide, les victimes de l’arme alimentaire dans la guerre économique peuvent se trouver dans tous les pays du monde, des lors que la dérégulation des marchés favorise les grands producteurs, qu’ils subventionnent ou non leurs exportations agricoles. Mais l’arme alimentaire et surtout une arme de guerre. Les conflits désorganisent la production agricole, remettent en cause la sécurité alimentaire de la population, mais surtout la maîtrise des circuits de distribution alimentaire par les belligérants leur donne un avantage stratégique. Cela permet de regrouper les populations à proximité des lieux de stockage de nourriture et d’exercer sur elles un contrôle politique et militaire. Stéphanie Rivoal conclut en expliquant que l’arme alimentaire tue plus que les guerres, parce que, au-delà des facteurs naturels comme la sécheresse, la faim est faite de main d’homme. La spéculation boursière excessive, l’accaparement des terres où les conflits armés sont des armes meurtrières qui échappent d’ailleurs aux états pour être possédé par des groupes ou simplement par des intérêts privés dont la logique est le profit.
Élisabeth Guigou intervient dans ce numéro pour évoquer le malaise européen, à la lumière des dernières élections. Il est évident qu’un gouffre semble s’être creusé entre les citoyens union européennes qui aujourd’hui menacent l’idée même d’Europe. Selon l’auteur il est pas possible d’envisager une Europe forteresse, mais il sera alors question d’en faire une Europe puissance capable de son autonomie de projection. C’est un sujet sur lequel l’auteur aurait dû insister. Bien entendu on ne peut qu’approuver l’idée d’une consolidation de la zone euro qui doit être assurée par la banque centrale européenne et à cet égard la possibilité qui lui est donnée de racheter de la dette des états, permet de l’envisager.
Il convient aussi d’achever le marché unique, ce qui a été entrepris à partir de 1986, avec l’acte unique Européen de Jacques Delors, mais qui semble marquer le pas. Il y a pourtant énormément à faire dans le domaine de l’énergie, du numérique, et tout de même également dans le domaine de grands chantiers d’équipements. La question du financement peut se poser bien entendu mais cela suppose une politique fiscale coordonnée à l’échelle européenne permettant de dégager les ressources nécessaires. La question des paradis fiscaux européens, et cela va au-delà du Luxembourg et de l’Autriche, mais concerne au premier chef la City de Londres doit être clairement posée. Le dumping fiscal auquel se livrent des pays comme le Luxembourg, mais aussi les Pays-Bas, ou encore l’Irlande en matière d’impôt des sociétés ne peuvent plus être admis. Peut-être faudra-t-il en passer par les crises européennes pour amener ces pays à la raison.
Enfin, l’auteur a parfaitement raison d’insister sur le déficit démocratique de cette Europe qui est pourtant dotée d’un parlement mais qui s’appuie aussi sur la légitimité des parlements nationaux. L’interaction des deux structures législatives est pourtant indispensable. Elle envisage d’ailleurs de renforcer le débat public sur l’Europe, sans pour autant approuver la création d’une chambre européenne, distincte du Parlement européen et composé par des parlementaires des états membres de la zone euro. La question qui évidemment se pose est bien celle d’une lisibilité du débat européen par les populations. L’euroscepticisme, voire l’europhobie qui ont su trouver leur place dans le débat public ne favorisent pas ces vertueuses intentions.
La question d’une politique énergétique de l’Europe a souvent été abordée. Elle est encore une fois par Dominique Ristori, le directeur général de l’énergie à la commission européenne. Dans son article il rappelle le cadre novateur pour l’énergie et le climat qui a été abordé par l’union européenne en 2008 les engagements de réduction d’ici 2020, de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, de 20 % d’énergies renouvelables et de réduction de la consommation, toujours de 20 %. L’auteur rappelle les projets très importants, et notamment d’inversion des flux de gaz en Europe de l’Est permettant, pourquoi ne pas le dire de résister à la pression russe, d’améliorer également les réseaux de distribution d’énergie électrique par des interconnexions nationales. On comprend assez bien où l’auteur veut en venir à la faim de son article lorsqu’il développe le développement des ressources européennes. Il est évident que les concurrents de l’Europe, et au premier chef l’Amérique du Nord avec les hydrocarbures non conventionnels bénéficie d’un avantage comparatif non négligeable. Pourtant, les progrès en matière d’énergies renouvelables, d’utilisation de nouvelles sources d’énergie ne peuvent être concevables qu’à l’échelle du continent, peut-être par la mise en œuvre de politiques volontaristes comme celles qui ont été préconisées plus haut. Encore une fois la question du financement se pose, ce qui signifie des investissements financés, ce n’est pas envisageable autrement, par des prélèvements. Mais cela suppose une volonté politique commune de 28 états membres. La question de l’énergie relevant bien entendu de la sécurité et par voie de conséquence de la souveraineté des états.
Léon Paul Ngoulakia est le directeur général de la caisse de stabilisation du Gabon. Dans cet article consacré à l’Afrique subsaharienne dont l’identité est plurielle mais le destin commun, l’auteur présente les différentes communautés économiques régionales, au nombre de huit, qui sont destinées à favoriser l’intégration régionale. Toutefois le poids de chacun des pays au sein de leurs communautés respectives est peut-être trop faible encore.
On rappellera dans cet article le potentiel de l’Afrique qui compte aujourd’hui plus d’un milliard d’habitants pour les 48 états d’Afrique Noire, et qui devrait dépasser les 2 milliards en 2050 et les 4 milliards à la faim du XXIe siècle. L’Afrique subsaharienne est devenue un enjeu stratégique pour l’économie mondiale même si l’identité plurielle de l’Afrique subsaharienne constitue toujours un obstacle. L’auteur assume les difficultés que rencontrent les États-nations, jeunes en Afrique, et concurrencés par un ordre ancien, celui des groupes ethniques. Il est clair que des solutions d’intégration régionale pourraient gommer les frontières artificielles héritées de la colonisation et favoriser des coopérations transnationales. Mais cela suppose un personnel politique de qualité, des états qui ne soient pas aux mains de prédateurs, et un respect de l’alternance démocratique.
Randa Kassis présente dans un entretien réalisé par Alexandre Shoepfer sa vision de l’avenir de la Syrie. Randa Kassis a été membre du conseil national syrien entre 2011 et 2012, regroupant l’opposition démocratique au régime de Bachar al-Assad. Elle est l’auteur de l’ouvrage « Le chaos syrien » avec Alexandre del Valle, Collect Regards d’Orient, Dhow Editions. 2014.
Elle exerce jugement très critique sur la politique de la France qui soutient le conseil national syrien qu’elle considère comme une émanation des pétromonarchies du golfe. Elle considère que la clé de la solution se trouve dans l’ouverture de discussions avec la Russie qui détiendrait les clés de l’ouverture d’un processus politique en Syrie.
Dans la partie de la revue qui est consacrée au village global, Jean-Paul Guichard traite de la politique russe, la Sibérie et l’Europe. Après avoir présenté les ressorts de la politique étrangère de la Russie postsoviétique, directement liée à des préoccupations de politique intérieure, l’auteur rappelle que la Sibérie est un élément constitutif de l’identité russe et que cette partie de la fédération suscite évidemment un vif intérêt de la Chine voisine. Dans cette perspective l’auteur considère que la Russie a tout intérêt à la mise en œuvre d’une coopération internationale centrée sur la Russie, sans la Chine, ce qui devrait la conduire à se rapprocher de l’union européenne.
Hervé Théry est géographe, spécialiste du Brésil et auteur d’un ouvrage publié en 2014, : « le Brésil, pays émergé » chez Armand Colin, et qui constitue le titre de cet article. Après avoir présenté les atouts du Brésil, comme le poids de sa population de 190 millions d’habitants, ainsi que sa jeunesse, la moitié des Brésiliens ont moins de 29 ans, contre 39 en France, l’indépendance énergétique avec les immenses gisements offshore découverts récemment, le potentiel hydroélectrique, l’abondance des terres disponibles, la possibilité de produire de façon rentable, grâce à la canne à sucre, des biocarburants, l’auteur présente les handicaps. L’immensité du territoire complique les problèmes de transports et d’équipements tandis que la pauvreté persistante d’une bonne part de la population, l’insécurité et la violence sont des freins au développement. Le Brésil conduit une politique étrangère multilatérale en jouant sur l’ambivalence de sa position, à la fois pays du Sud et géant économique. Mais le pays n’a pas encore trouvé sa place, malgré une volonté d’affirmation continue de la part de ses dirigeants. Il a déjà un défi à relever pour la prochaine coupe du monde de football, celui de faire oublier sa prestation catastrophique de 2014. Dans un pays comme le Brésil cela n’est pas accessoire.
Zié Coulibaly, est le président d’un parti politique ivoirien. Il participe à un rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix, un regroupement de partis politiques nées en 2005 dont le but est de préserver l’unité nationale qui a été très largement menacée lors de la crise électorale de 2010. C’est cette coalition de quatre partis politiques qui a permis l’élection du président actuel Alassane Ouattara, et qui semble avoir pu stabiliser le pays aujourd’hui. Dans un pays aux 60 ethnies Il est indispensable de restaurer un équilibre politique est un véritable partage du pouvoir. C’est ce qu’espère l’auteur même s’il est partie prenante de la des éléments de la coalition.
Parmi les autres articles de ce numéro extrêmement riche, nous citerons celui de Barthélémy Courmont, rédacteur en chef de la revue monde chinois. Il évoque la confrontation entre Washington et Pékin, qu’il qualifie d’interdépendance obligatoire. L’auteur ne peut que faire part de son incertitude quant au maintien de cette situation à moyen terme. La Chine entend s’affirmer comme puissance globale, toute la question est de savoir s’il y a de la place pour deux. Les relations d’interdépendance pourraient constituer une solution à cet égard.
Stéphanie Dréossi est une spécialiste du sponsoring et du marketing d’événements sportifs. Elle s’intéresse à la France comme terre d’accueil des grands événements sportifs, malgré l’échec de Paris pour l’organisation des jeux d’été en 2012 et celui d’Annecy pour l’accueil des jeux olympiques d’hiver 2018. La question est posée aujourd’hui de la candidature de Paris pour les jeux d’été de 2024, ce que l’actuelle maire de Paris, Anne Hidalgo, malgré quelques réserves initiales, semble avoir validé tout récemment. Pour cette spécialiste du marketing il s’agit bien de promouvoir la marque « France » dans le cadre d’un projet olympique durable ce qui pourrait se relier à la politique stratégique de la France, pays hôte de la 21e conférence climat en 2015.
On pourrait citer également les deux articles consacrés à la francophonie de Christian Philip et de Christian Gambotti ou encore la vision stratégique du diplomate d’entreprise par François Valmage et les perspectives sur l’avenir énergétique de Philippe Charlez.
Si l’on souhaite disposer de solides références en matière de géo économie cette revue est évidemment indispensable. Elle permet de découvrir d’autres points de vue que ceux auxquels on est habitués dans le monde enseignant, particulièrement dans le second degré, où subsiste encore quelques relents de « tiers-mondisme » mal assumé. De ce point de vue je considère que ce type de lecture, même si on ne partage pas toutes les conclusions des différents auteurs, est toujours salutaire.
Bruno Modica