« Chacun de nous construit en fonction de ce qu’il entreprend une interface de son rapport au monde. Cette géographicité reflet de notre humanité prend forme et se matérialise à l’intention des destinataires, des observateurs ou des partenaires de l’activité qui l’initie. » Voilà comment pourrait être rapidement définie simplement la géographicité qui occupe dans ce volume Yannick Brun-Picard, docteur en géographie, conférencier et membre actif de la Maison de la géographie à Montréal.
Définie simplement car le problème de ce concept, mis au jour par Eric Dardel, bien qu’il soit central en géographie est compliqué à appréhender par tout un chacun. L’ouvrage commence avec une citation de l’auteur lui-même en exergue : « … Conscientiser notre rapport au monde, notre géographicité, est l’acceptation de la capacité de l’esprit à revenir sur lui-même, pour agir sur sa propre pensée, sur les actes produits, les constructions ou les destructions effectuées et la surface terrestre sur laquelle nous vivons… » Usage que l’auteur légitime comme étant la marque de sa propre géographicité : quoi de mieux pour rendre compte de son rapport au monde que de se citer soi-même ! Puisque « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » (Bachelard, 1938, p. 14), les mots tiennent une place centrale pour rendre compte de nos actions conscientes et inconscientes dans le monde. « L’objectivité employée se construit, se forge, s’alimente de la subjectivité de l’observateur, de l’intervenant, du locuteur. » (p. 27).
Pour aborder cette thématique, l’auteur a sélectionné des personnes afin qu’elles témoignent de leur géographicité par le biais d’entretiens semi-directifs avec l’idée de pouvoir vérifier ce que les interviewés avançaient. Afin d’allier l’utile à l’agréable, ces personnes ont été choisies en fonction des centres d’intérêts de Yannick Brun-Picard : la pratique du streetstepper (une sorte de vélo sans selle actionné par deux plateformes qui reprennent les mécanismes de la marche), la Provence (là où se réunissent les inconditionnels du streetstepper), une exploitation viticole dans le Var, mais aussi des personnes handicapées varoises. Ce ne sont pas les caractéristiques des lieux qui ont dicté les choix, ce qui peut paraître étonnant pour un travail de géographe mais le lieu de villégiature de l’auteur !
Le cas des deux personnes devenues handicapées au cours de leur vie d’adulte permet de montrer comment ces individus font pour « construire un nouveau rapport au monde, se forger et s’approprier une nouvelle géographicité » (p. 179). Un militaire très grièvement blessé à Beyrouth en 1982 et un entrepreneur du bâtiment accidenté, aujourd’hui en fauteuil, montrent qu’en mettant en place « une forme de hiérarchisation de leurs territoires de vie, de relations, d’expression, de rayonnement ou de diffusion en intégrant leur handicap afin que celui-ci se dissolve, ou plus justement selon les personnes en présence et les situations, qu’il disparaisse. » (p. 181). Le domicile tient une place centrale dans leur espace vécu, c’est véritablement le pivot de leur territoire personnel et familial autour duquel s’organise le premier cercle relationnel, même si ces deux personnes par leur pratique d’un travail manuel ou de leur entraînement sportif sont ouvertes sur le monde et arrivent ainsi à passer outre leur handicap.
Les cas présentés rendent concrets la géographicité car l’approche théorique qui en est faite dans le chapitre « Une géographie pour la géographicité », malgré la présence de petits modèles synthétiques est particulièrement indigeste pour le néophyte. Heureusement que l’auteur cherche dans les chapitres suivants à montrer comment les individus s’accommodent concrètement de l’espace, sinon son lecteur aurait été perdu dans les limbes des 100 premières pages et ce ne sont pas les titres très abstraits de la table des matières qui aident à se repérer.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes