« Géographie 3e/6e : Savoirs & Savoir-faire » est un manuel de géographie édité en Belgique pour des élèves poursuivant leur scolarité en Belgique et leurs professeurs. L’objectif annoncé vise à présenter un « ouvrage de référence » permettant aux élèves et professeurs de trouver les « explications essentielles aux questions qu’ils se posent lorsqu’ils abordent la géographie du monde actuel ».
Nous avons donc un manuel qui embrasse la géographie dans sa globalité contrairement aux pratiques françaises. Ainsi, nous trouverons par exemple un chapitre entier consacré à l’étude de la terre c’est-à-dire à l’étude des mouvements des plaques tectoniques, de l’érosion, de la sédimentation etc.… En France, depuis plusieurs décennies déjà, cet aspect de la question est étudié par les collègues de SVT (sciences et vie de la terre). Et il en va de même pour les longs développements socio-économiques présents dans cet ouvrage et traités en France par les collègues de SES (sciences économiques et sociales).
Dès lors, il faut aborder ce manuel sous un double angle à savoir : sous l’angle du géographe et sous l’angle de l’enseignant de géographie en France.
Dans le premier cas, il faudra en apprécier l’utilité voire la nécessité de son apport. Dans le deuxième cas, il faudra relever la pertinence des savoirs et des savoir-faire qui pourront être réinvestis dans le cadre d’un enseignement dans nos établissements français du secondaire.
Au premier abord, il apparaît que ce manuel est avant tout un formidable outil où les synthèses et les nombreuses illustrations se succèdent pour apporter à l’enseignant, à l’élève une « boussole » permettant d’aborder la géographie sereinement. L’ouvrage est divisé en deux grandes parties : les savoirs d’une part et les savoir-faire d’autre part. Les parties sont inégales, il va de soit car, le second volet traitant des savoir-faire fondamentaux, propose « des méthodes de travail et des techniques géographiques qui, en association avec les savoirs indispensables » ont pour objectif de rendre « possible l’exercice des compétences » définies par décret en Belgique.
La première partie intitulée « SAVOIRS » est elle-même subdivisée en sept chapitres qui recensent les savoirs indispensables sous forme de fiches regroupées en thèmes.
Là, comme annoncé plus haut, plusieurs fiches, bien que très intéressantes ne seront jamais traitées en France dans le cadre des cours de géographie. Faut-il en conclure qu’elles sont inutiles ? Oui et non. Oui car l’élève n’aura pas le réflexe de s’y attacher parce que nos programmes sont malheureusement encore trop hermétiques. Non parce qu’un élève soucieux de progresser ou un enseignant qui chercherait l’épanouissement de ses élèves pourraient tous deux en tirer le meilleur profit.
Prenons un exemple. Dans le chapitre quatre de la partie « Savoirs » nous avons deux fiches : la fiche 24 intitulée « Agents économiques » et la fiche 28 intitulée « Mondialisation ». La fiche 24 est introduite par le petit texte suivant : L’économie d’un pays dépend des relations entre quatre agents principaux : les entreprises, les ménages, l’Etat et le système financier. Mais, un pays ne pas vivre sans relation avec l’extérieur. Il faut tenir compte de ces échanges avec le reste du monde. Indubitablement, la première phrase qui dégage les mots clefs : agents économiques, loi de l’offre et de la demande, consommation-production et euro ne saurait trouver sa place dans un cours de géographie du secondaire. Et pourtant, la dernière phrase dont le mot clef est commerce extérieur, renvoie sans nul doute vers la fiche 28 concernant la mondialisation : une notion enseignée en France.
Et lorsque nous consultons cette fiche 28, nous constatons qu’elle est introduite par : « les échanges commerciaux » avant de traiter des origines et moteurs, des acteurs et des conséquences de la mondialisation. Vu sous l’angle du géographe, cela coule de source, la succession des fiches qui abordent les différents savoirs est logique.
Il en est de même du chapitre concernant la terre et qui traite par exemple des mouvements des plaques tectoniques. Ce chapitre précède celui sur l’environnement qui aborde les risques naturels. Là encore il y a un emboîtement pédago-scientifique qui permet aux élèves de cerner le sujet avant de le comprendre.
Ceci étant dit, même si toutes les fiches ne sont pas exploitables en France à cause, principalement, de l’éclatement de l’enseignement des savoirs touchant à la géographie en plusieurs disciplines enseignées, elles pourront (peut-être) trouver preneur. En fait, en France, la transdisciplinarité souhaitée a encore et toujours beaucoup de mal à s’imposer. C’est pourquoi une présentation complète des savoirs pour aborder la géographie du monde actuel comme dans ce manuel semble davantage pertinent. D’autant plus pertinent qu’elle est imposée par décret en Belgique.
Mais, plus qu’une comparaison entre enseignement de la géographie en Belgique et en France, essayons de tirer de ce manuel des fiches qui peuvent être utilisées des deux côtés de la frontière.
Prenons par exemple la fiche 10 traitant de l’Union Européenne. Sa présentation est en tout point identique à toutes les autres. Elle se compose de deux doubles pages.
Pour la première double page, sur la gauche, nous avons un texte articulé autour d’un plan qui explique les principales notions de la fiche. Ce texte tient en largeur, sur deux tiers de la page. Sur le tiers restant nous avons (selon la fiche) de haut en bas :
– un encadré contenant le lexique des mots importants de la page,
– puis un encadré intitulé « Web » affichant quelques sites en adéquation avec la notion exemple ici : le site du Conseil de l’Europe,
– enfin un encadré intitulé « Fiches » qui répertorie toutes les autres fiches du manuel en rapport avec cette page exemple : un renvoi vers la fiche 42 intitulée « références spatiales en Europe »
Sur la page de droite, nous avons des documents très variés. Et nous trouvons aussi deux post-it. L’un en vert qui énumère les mots clefs de l’ensemble de la fiche ; l’autre en jaune-oranger intitulé « pour comprendre » et qui se veut être une introduction.
La deuxième double page est construite sur le même principe hormis les deux post-it.
Dans l’ensemble, il faut souligner la concision des fiches tout en signalant qu’elles sont très complètes et présentent des documents variés qui viennent en appui à la compréhension des explications du texte principal. On notera cependant que certains croquis ou cartes manquent parfois de pertinence graphique. Prenons pour exemple la fiche 21 intitulée « contrastes du peuplement ». Sur la page de droite, nous avons une carte et un schéma. La carte porte sur le taux d’urbanisation en 2004 dans le monde. Il y a trois paliers et la technique utilisée est un dégradé de couleur d’un rouge-brun à un jaune-paille. Dans l’ensemble le message passe bien que le jaune-paille a tendance à capter l’œil dans le même temps où le rouge-brun tend à se noyer dans le bleu-gris des océans. Soit !
Mais, le schéma de la même page qui évoque les foyers de population est très curieux. En effet, la légende nous indique trois éléments cartographiés à savoir : les foyers principaux (en rouge-brun), les foyers secondaires (en orange sombre) et les zones très faiblement peuplées (en bleu). La masse océanique est représentée en bleu-gris.
Ce qui choque au premier abord ce sont les très nombreuses « régions » en blanc. Aucune explication n’est donnée dans la légende ! En se rapprochant on constate que le sud européen est blanc ! Et si on prend en compte que les zones très faiblement peuplées ont été représentées avec un bleu chatoyant, on a véritablement l’impression qu’il s’agit d’immense étendue d’eau et que ce sont les zones blanches qui seraient les zones très faiblement peuplées. Bref, un schéma qui n’atteint pas son but à savoir représenter graphiquement la répartition des foyers de population.
Nonobstant cet exemple, il faut souligner que les documents sont très souvent pertinents et que le problème lié à la représentation graphique mettant en scène la hiérarchie des couleurs soit le talon d’Achilles de nombreux éditeurs.
La seconde partie de l’ouvrage intitulée « savoir-faire », présente douze fiches qui peuvent avoir une ou plusieurs doubles pages.
Il s’agit dans cette partie du manuel de présenter des exercices qui mettent en œuvre les savoirs de la première partie. La logique dépend donc davantage de la spécificité de l’exercice que d’une construction unique. Le seul élément qui se répète sur chaque fiche est le petit encadré intitulé « tâches de l’élève ». Il ne s’agit pas de consignes données pour faire l’exercice mais des attentes.
Prenons un exemple : la fiche 51 intitulée « visualiser des disparités spatiales ». L’exercice porte sur les disparités de développement en Espagne. Il se subdivise en deux parties (deux doubles pages) et comporte donc deux tâches pour l’élève. Il lui faut tout d’abord, cartographier une répartition à partir d’une série statistique donnée.
Pour ce faire, l’élève dispose de la série statistique, ici le PIB/hab par communauté autonome. Les auteurs montrent ensuite à l’élève à l’aide d’un graphique croissant de la distribution de la variable comment obtenir les classes (ou paliers). Ensuite, il est proposé à l’élève un choix de figuré bien qu’un seul soit réutilisable pour lui. Et enfin, sur un fond de carte avec découpage par communautés autonomes, les auteurs présentent la carte thématique intitulée « les disparités de développement en Espagne ». Les étapes sont progressives et bien décrites.
La deuxième double page répond à la tâche : à partir d’une carte schématique (celle qu’il vient de réaliser), l’élève schématise cette répartition.
La démarche est toujours progressive. On passe successivement de la confection (sommairement décrite) des contours schématiques aux informations à représenter avant de finir avec les figurés adéquats.
Puis, le travail est présenté, achevé avec une dernière rubrique intitulée « émettre une hypothèse explicative à des disparités spatiales ». Cette rubrique est toujours aussi pédagogique puisqu’elle se subdivise en deux parties à savoir : qu’est-ce qu’une hypothèse explicative ? Et comment formuler une hypothèse explicative ? Les réponses données pourront aider l’élève à mieux comprendre.
En revanche, on pourra ici aussi pointer la « fragilité » du graphisme notamment, une fois encore quant à la hiérarchie des couleurs. Pourquoi avoir choisi un carré noir pour les grandes métropoles, une ellipse noire pour les villes inférieures à 1 million d’habitants et des tracés noirs avec des têtes de flèches noires pour les grands axes de communications ? Sachant que les disparités ventilées en régions riches, régions intermédiaires et régions pauvres sont respectivement en orange-brun, jaune-paille et marron clair, cela donne à cet ensemble graphique peu de relief.
On pourra aussi s’étonner sur les dénominations de carte schématique, carte de synthèse et croquis qui sont utilisés indifféremment.
Malgré cela, les exercices présentés le sont toujours d’une manière très détaillée menant l’élève progressivement vers l’assimilation de la méthode.
En conclusion, ce manuel est une véritable référence à n’en pas douter. Il mérite certainement une place dans nos bibliothèques françaises même si souvent l’élève sera surpris d’y trouver des questions relevant d’autres disciplines enseignées. Et c’est à cause de cette particularité qu’il peut apporter beaucoup à l’élève soucieux de bien comprendre la géographie du monde actuel.
Compte rendu par Jacques MUNIGA