Cet ouvrage est une première en France. Il s’agit de la première traduction en français d’un article de l’historien américain de l’urbanisme, Lewis Mumford (1895-1990), intitulé The Natural History of Urbanization », paru en 1956 dans un livre co-écrit avec d’autres scientifiques de l’université de Chicago, au titre fort : Man’s Role in Changing the Face of the Earth. Le présent ouvrage est le fruit d’une collaboration entre un père et son fils. Il est présenté par le philosophe de l’urbain Thierry Paquot qui, dans une première partie contextualise et les travaux de Lewis Mumford et le présent article. La traduction est dû au travail de Martin Paquot, architecte, rhapsode de la revue numérique Topohile, l’ami.e des lieux – la revue des espaces heureux.

            Ce que montre la biographie rédigée par Thierry Paquot, c’est la soif de connaissances tous azimuts qui caractérise Lewis Mumford. Une boulimie de la lecture le conduit à lire sur tout, de la technique à la biologie, de l’histoire aux sciences sociales. Sa rencontre avec les travaux du sociologue Patrick Geddes est une véritable révélation. Leur correspondance atteste de la qualité de leurs échanges. À la fin des années 1920, il cofondera la Regional Planning Association of America où il précisera ses vues sur le « régionalisme ». Il explique, ainsi en 1928, que « dans chaque aire géographique un certain équilibre est possible entre les ressources naturelles et les institutions humaines pour un meilleur développement de la terre et des hommes ». Si Mumford accorde beaucoup d’intérêt à l’urbanisme et à l’urbanisation, rappelant que « la grande mission des individus n’est pas de conquérir la nature par la force mais de coopérer intelligemment et amoureusement avec elle », il n’en demeure pas moins un grand spécialiste de l’histoire des techniques.

            Dans Histoire naturelle de l’urbanisation, il tente d’effacer la distinction urbain/rural en n’en faisant qu’une seule entité. Il précise que le développement morphologique de la ville ne peut être compris sans prendre en considération ses relations avec des formes plus anciennes de cohabitations. En ce sens, il vient s’opposer à la vision urbanophobe d’un Jean Brunhes qui, en 1920, affirmait que les villes étaient des « occupations improductives du sol ». Mumford rappelle que les villes, depuis l’Antiquité, ont maintenu dans leurs murs des terres pour le maraîchage et le pâturage.

            Pour Mumford, ce qui distingue ville et village résulte de deux faits : la présence d’un noyau social organisé, autour duquel se structure toute la communauté ; la tendance à desserrer les liens des habitants à la nature et à transformer ces connexions à la terre en couvrant le site naturel d’un environnement artificiel. Ainsi applique-t-il sa théorie de l’histoire du machinisme à celle de la ville, en distinguant l’eopolis (le village), la polis (la ville fortifiée) et la mégalopolis (la ville-mère qui contrôle toute une région). Il fait apparaître trois âge de l’urbanisation. Dans le premier âge, le nombre et la taille des villes varient selon la quantité et la productivité des terres agricoles disponibles. Le deuxième âge commence avec le développement du transport routier, fluvial et maritime. Le troisième n’apparaît qu’avec le XIXe siècle, c’est la ville industrielle, sans limites.

            L’expansion des villes est, au dernier stade, continue à tel point que Lewis Mumford se réfère aux travaux de Patrick Geddes qui, en 1915, parlait déjà de conurbation pour décrire ces unités topographiques et politiques formées de masses denses de population. Ce trop-plein urbain est contextualisé par le traducteur qui rappelle que quatre avant que Mumford écrit ces lignes, l’agglomération londonienne a été submergée par un vaste nuage de pollution pendant plusieurs jours (Big Smoke) provoquant la mort de plus de 12 000 personnes.

            Mumford est préoccupé par l’équilibre à maintenir entre l’urbain et le rural. Il se réfère alors aux travaux du géographe Kropotkine qui en 1899, dans Champs, usines et ateliers, s’intéressait au changement d’échelle des progrès techniques ou encore à ceux d’Ebnezer Howard en 1898 qui, dans To-morrow : A Peacefull Path to Real Reforme, prônait le développement des cités-jardins dans les banlieues des grandes aires urbaines.

            L’ouvrage se clôt sur une tretaine de pages de commentaires rédigées par Thierry Paquot. Le philosophe revient sur l’ubanisation de la terre et l’écogéographie, lancée par George Perkins Marsh (1801-1882) dès le milieu du XIXe siècle. Cette dernière partie nous transporte au sens étymologique du terme dans la mesure où Paquot part des écrits de Mumford pour raviver la pensée de contemporains ou de prédécesseurs qui ont vu très tôt les dangers d’isoler ville et nature. Évidemment, les propos de Geddes, Mumford, Marsh, Reclus parlant de l’urbanisation ont une saveur particulière aujourd’hui où nous constations les dangers potentiels d’une expansion urbaine présente dans toutes les parties du monde ou presque. C’est cette invitation à relire les auteurs anciens, souvent témoins des premières transformations urbaines, que nous fait Thierry Paquot à travers ce petit essai.