Jean-Pierre Augustin, professeur à Bordeaux 3 s’est fait une spécialité d’étudier sous un angle géographique l’une des activités humaines les plus répandues mais aussi les moins étudiées malgré les travaux pionniers de John Rooney, John Bale et Antoine Haumont : le sport.
C’est ainsi, le sport paie une image à la confluence du loisir et du manque de sérieux. Or, rappel est fait de qui constitue l’intérêt de la question sportive :
-De par la diffusion et la diversification des pratiques, le sport accompagne voire accélère le phénomène de mondialisation surtout depuis qu’économie et médias ont fait des grandes compétitions des produits rentables et des spectacles planétaires.
-Ces moments particuliers et toutes les pratiques de monsieur tout-le-monde nécessitent des aménagements structurant l’espace voire créant des espaces.
Ainsi dans une géographie que l’auteur définit comme « ouverte car (…), à la fois, constructiviste (…), systémique (…) et dialogique », il est question à la fois de proposer des pistes de réflexion au lecteur tout autant que de poser les bases d’une géographie du sport.
Toute la première partie du livre consacre ses développements à la genèse du sport et de certains sports ainsi qu’à la diffusion différenciée de ceux-ci, en fait une sorte d’état des lieux.
Quelles sont les origines du sport ? On pense aux Grecs bien sûr mais pour l’époque contemporaine, l’Angleterre a joué un rôle primordial dans la codification et la diffusion de jeux tels que le football ; à côté de cette tête d’affiche, à signaler les particularismes japonais et américain, ce dernier se distinguant par la transformation de sports britanniques si ce n’est le cas du basket-ball. Toutes ces pratiques sportives ont eu des diffusions variables. Rappelant définition, formes et étapes de la diffusion de l’innovation, plusieurs exemples sont ensuite abordés : pour le football, parti d’Angleterre, relocalisé en Europe par le biais d’Anglais ou sous l’impulsion étatique (Italie), il a gagné le monde pour devenir le sport n°1 dans le monde. Le rugby, développé plus (Nouvelle-Zélande) ou moins facilement (Australie) dans les territoires sous influence anglaise, a atteint la France et son sud-ouest sans que sa position y soit hégémonique comme le démontre le cas de Landes. Hockey sur glace et surf constituent deux exemples de diffusions particulières : liée au climat et à l’affirmation de l’identité canadienne pour le premier, aux mutations technologiques et culturelles parties des Etats-Unis et relocalisées sur les spots du monde entier pour le second.
Quelque soit les cas, on remarque une corrélation forte entre lieux de création et de pratique et seul le football peut réellement revendiquer l’étiquette de discipline mondialisée ou presque depuis la World Cup de 94 aux Etats-Unis. Si on considère maintenant le sport sous l’angle du pouvoir et de l’organisation des compétitions, l’Europe reste dominatrice, domination s’expliquant pour des raisons historiques, économiques (concentration des spectateurs, organisateurs…), sportives (nombre de pratiquants).
Au cours de ce processus d’expansion des sports, les villes ont joué un rôle majeur en tant que centres de définition des règles et sites de pratiques, se situant ainsi pour les plus grandes à la tête de la hiérarchie sportive. L’auteur convoque ensuite toute une série de théories (écologie urbaine, binôme centre-périphérie) afin d’étudier les rapports entre villes, régions urbaines et localisations sportives. Parmi celles-ci:
-la théorie des lieux centraux, tout d’abord, adaptée en particulier par T.Bale, signifie dans le cas du sport qu’un lieu fournit des éléments sportifs à son arrière-pays environnant, relayé par des lieux secondaires ; formule opératoire, si l’on s’intéresse à la localisation des piscines ou au marché des joueurs de rugby mais non généralisable.
-Le modèle d’attraction gravitaire, bien que questionné du fait des mutations urbaines, est mis à contribution afin d’expliciter les rapports entre la pratique, les pratiquants et les équipements.
– Certains processus sociaux tels que l’individuation des pratiques et leur diversification.
Suite à cette première partie balançant entre théorie et connaissances factuelles, le sport est analysé en tant qu’organisateur des territoires dans une approche multiscalaire examinant tour à tour les échelles nationale, régional et mondiale. L’édification des lieux sportifs, ici étudié à l’échelle de la France, a son histoire que retrace à grands traits Jean-Pierre Augustin : avant 1914, les initiatives privées dominent puis sont relayées après-guerre par l’action des municipalités (le cas Tony Garnier à Lyon) ; les années 60, âge d’or de l’aménagement du territoire, marque le début de la prise en main par l’état qui procède à l’édification de milliers d’infrastructures couvertes ou non dans un souci d’équité territoriale. Depuis le début des années 80, et accompagnant la diversification des pratiques, la mobilité accrue, la multiplication de l’offre, on assiste à un retour du privé sans qu’il y ait reflux général de l’action publique.
La politique d’aménagement du territoire, principalement dans les années 60, a contribué à l’équipement en sites sportifs de certaines parties du territoire. Les trois cas repris sont connus : le littoral languedocien, le littoral aquitain, le massif alpin. Dans le premier cas, avait été prévue l’érection de stations balnéaires et de ports de plaisance pour lesquels il faut désormais inventer une animation qui ne soit pas que saisonnière ; la diversification des pratiques sportives et le développement des sports de glisse apportent eux une forme de d’animation spontanée à encadrer. Le cas aquitain se distingue du précédent par des choix sinon opposés, tout au moins différents : le refus du développement ex-nihilo, la valorisation de la nature et de l’espace ; tout cela est à l’origine de l’essor des stations de glisse, de surf à tel point que cette discipline structure l’espace dans un processus de surfurbia en marche. Les Alpes, et ses quatre générations de stations, doivent aussi composer avec le renouvellement des usages de la montagne à tel point que la station focalisée sur le seul ski alpin n’est plus adaptée aux goûts et tendances actuelles. De plus en plus, les acteurs du sport se doivent de s’adapter aux demandes, d’adapter les équipements et aménagements et d’intégrer ceux-ci dans leur environnement pour répondre à une demande sociale.
Maracana, Stade olympique, Paris-Bercy, Wimbledon. Oui les lieux sportifs sont aussi ces lieux emblématiques des grandes compétitions internationales. Edifiées dans l’espoir ou la certitude d’un destin olympique ou mondial, sous l’impulsion d’un état jeune ou à la recherche d’un écrin national, ces enceintes présentent des caractéristiques architecturales, fonctionnelles sensiblement éloignées : quoi de commun entre le temple du Maracana, immense vaisseau dédié au dieu football mais un rien obsolète, les stades nord-américains polyvalents, parfois couverts, aux architectures parfois audacieuses, les salles omnisports (Paris-Bercy) et les sites « uni-sport » comme Wimbledon.
Nombreux sont ceux construits dans l’optique d’une grande compétition internationale et dans ce cas, mondiaux de football et jeux olympiques génèrent, de par leurs cahiers des charges, de nouveaux stades ; ce fut le cas lors de coupe du monde 98 en France pour laquelle le débat fut long et acharné autour du site du grand stade à construire. Finalement Saint-Denis fut choisi dans une optique de revitalisation d’un quartier en panne. Car de plus en plus, le stade doit s’intégrer à la ville et désormais tous les projets déposés au CIO ou la FIFA prévoit non plus un projet de stade mais un projet urbain complet. Ainsi, le complexe sportif n’est plus seulement le lieu d’affrontements régulés mais l’occasion d’accompagner les mutations de la ville et d’améliorer l’image de la ville.
Le sport ne s’arrête donc plus à la porte des stades et au déroulement des rencontres mais produit de la mondialisation et organise espaces de la pratique et environnants.
Un livre à lire bien sûr pour les amateurs de sport de géographie (il en existe), un filon peu exploité mais certainement riche pour les enseignants que cette géographie du sport qui, malgré la bibliographie de plusieurs pages, est encore dans l’enfance. On peut conseiller au lecteur d’autres ouvrages portant sur la question : « les territoires du sport entre pratiques et politiques » (http://www.clionautes.org/?p=1700&var_recherche=sport), « Les politiques au stade. Etude comparée des manifestations sportives du XIXe au XXIe siècle. » sous la direction d’André Gounot, Denis Jallat et Benoît Caritey ou « Géographie de sports en France » par Jean-Pierre Augustin paru en janvier 2008.
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