CR par Fabien Vergez
Paul Claval a entamé depuis plusieurs années une réflexion sur l’épistémologie de la géographie à travers de nombreux ouvrages, Géographies et géographes étant l’un des derniers en date et chroniqué ici même.

Il s’intéresse dans son dernier livre paru chez Armand Colin en 2006 à la géographie régionale et annonce son objectif dès la première page de cet ouvrage, réhabiliter cette géographie, considérée parfois comme un peu passéiste, et en prouver toute sa nécessité aujourd’hui.

Cet ouvrage est organisé en trois grandes parties, la première rappelle les origines et les méthodes de la géographie régionale et aborde la notion « d’espace vécu ». La deuxième partie s’interesse aux facteurs de structuration de l’espace qui créent des régions plus vastes, comme les facteurs économiques, symboliques ou politiques. Enfin la troisième partie aborde les grandes étapes de l’histoire humaine, depuis les sociétés traditionnelles jusqu’à la mondialisation, à travers le prisme de la géographie régionale.

Dans le premier chapitre, Paul Claval propose un historique de la géographie régionale. Il revient sur la démarche géographique de l’Antiquité, d’Hérodote à Strabon, en insistant sur l’importance de la cartographie par l’école d’Alexandrie, qui permet de passer de l’itinéraire à la surface. Le XIXème siècle voit l’éclosion d’une véritable géographie régionale avec les travaux d’Elisée Reclus dans un premier temps, mais surtout de Vidal de la Blache avec qui arrive la forme classique de la géographie régionale, notamment dans son ouvrage Tableau de la Géographie de la France paru en 1903.

La géographie régionale connait un succès certain autour de la 1ère Guerre mondiale à travers une réflexion sur l’Etat français. Elle s’intègre à la fin des années 50 à la Nouvelle Géographie dans le cadre des études économiques avant de péricliter dans les années 70. Le renouveau se fait dans les années 80 autour du groupe Reclus et de la notion « d’espace vécu », amenant une redéfinition du vocabulaire de la géographie autour des territoires.

Le deuxième chapitre s’intéresse aux modalités de l’analyse régionale. Cette analyse régionale consiste avant tout à distinguer des plages homogènes à la surface de la Terre. Elle s’appuie pour cela sur trois choses: une représentation cartographique, une observation directe de la zone et l’utilisation de données prélevées par d’autres. Elle implique néanmoins de passer de l’échelle locale à une image plus globale. A l’aide d’exemples pris en Italie ou aux Etats-Unis, Paul Claval expose de manière précise les différentes méthodes de régionalisation. Il évoque d’abord les méthodes cartographiques avant d’exposer les techniques de classement, popularisées dans les années 60. Dans les années 70 on s’intéresse enfin aux sociétés qui habitent le territoire avec la notion « d’espace vécu ». Sont présentées de manière détaillée les différentes façon d’appréhender l’espace de manière individuelle, à travers l’image du foyer ou du déplacement, avant d’étudier la dimension collective de cette perception, avec la toponymie par exemple.
La part de la subjectivité est ensuite abordée à travers la dimension sacrée des lieux. Il prend ainsi comme exemple l’attachement des aborigènes des lieux sacrés après le déplacement par des colons européens qui jugeaint les lieux pourtant similaires.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage Paul Claval aborde tour à tour les différents facteurs de structuration de l’espace. Au sein du quatrième chapitre, les facteurs de différenciation des écosystèmes sont ensuite individualisés, que ce soit à travers le climat, la distribution de la végétation…Il souligne cependant que les différents éléments d’une analyse scientifique ne se retrouvent pas dans le paysage car il est le produit de l’intervention du facteur humain.

Dans le cinquième chapitre Paul Claval livre une grille d’analyse des groupes humains. Il présente la société comme une réalité biologique faite d’individus qui se développent. Il définit les rapports de la société à l’espace, les relations sociales… Les systèmes politiques de contrôle de comportement sont évoqués.

Le chapitre six est important car il aborde le facteur économique, les flux et les pôles économiques étant un des éléments de l’organisation régionale. Paul Claval expose ainsi les différents types de réseaux liés à l’activité économique, les villes constituant les noeuds des systèmes de communication. Elles découpent l’espace en aires d’influence. C’est le cas le plus répandu dans la métropole européenne. La notion de métropolisation est abordée, aux Etats-Unis. Il fait émerger la notion « d’aire centrale » à l’économie complexe. « L’Industrial Belt » constituant un exemple.

Le septième chapitre étudie la structuration symbolique de l’espace. Paul Claval aborde la notion de communauté, et de déterritorialisation de ces communautés, dans la mesure où les sentiments d’appartenance se sont éloignés avec le développement des transports. L’espace porte également une valeur symbolique. Un exemple intéressant est développé à travers le Carnaval de Rio qui joue un rôle important dans la conscience nationale.

Le huitième chapitre aborde l’étude des paysages. Sont ici abordées les notions de « régions-paysages » ou encore le rôle central du paysage dans les politiques d’aménagement contemporaines.
Le facteur politique est analysé dans le neuvième chapitre à travers les différentes options d’organisation du territoire, l’Etat centralisé, la gestion territoriale décentralisée et la solution fédérale.

La troisième partie aborde les grandes étapes de l’histoire humaine à travers la géographie régionale. Paul Claval s’intéresse d’abord aux sociétés traditionnelles dans le chapitre dix. Les paysages crées par ces sociétés sont assez uniformes. Il donne ainsi l’exemple de l’Afrique forestière au Gabon ou la mise en valeur des terres reste limitée.
Dans le onzième chapitre ce sont les sociétés traditionnelles qui sont abordées. Pour recouvrer les impôts le pouvoir a besoin d’un système administratif hiérarchisé. Dans le système chinois c’est l’organisation qui prévaut. Les marchés structurent également l’espace économique comme les souks en régions rurales dans les pays arabes. Le facteur culturel est important pour expliquer la naissance de structures plus vastes comme c’est le cas avec la cité grecque.

Dans le douzième chapitre est montré comment la révolution industrielle et celle des transports ont bouleversé les rapports de l’homme à l’espace. En Angleterre on assiste à la naissance de régions industrielles. La hiérarchie des villes se renforce et les régions polarisées commencent à jouer un rôle important. Dans les régions industrielles les conurbations apparaissent. La capitale économique multiplie ses fonctions. Une uniformisation de l’espace se met en place et se répand ensuite aux autres pays européens. Les pays colonisés ne sont pas oubliés avec les exemples de l’Afrique du Sud ou de l’Indonésie.
Enfin le dernier chapitre aborde la mondialisation. Paul Claval montre comment les activités s’affranchissent des contraintes spatiales. Aujourd’hui tous les lieux sont soumis à la compétition. L’espace des hommes est de plus en plus celui des « réseaux distendus ». Il conclut en affirmant « La question régionale exprime le désarroi des hommes devant des organisations spatiales dont le sens leur échappe. »

Dans cet ouvrage Paul Claval offre une réflexion dense sur la géographie régionale. Chaque chapitre est accompagné d’une bibliographie et de nombreux graphiques et cartes, apportant une illustrations aux théories géographiques. Cette réflexion s’adresse cependant plus à un public universitaire, les notions, souvent complexes, étant difficiles à transposer dans un cours de lycée ou de collège. Le candidat au concours trouvera cependant de nombreux éléments de réflexion sur cet aspect de la géographie. De même que le dernier chapitre offre une lecture originale sur la mondialisation actuellement aux concours. Au final on retiendra une réflexion très poussée sur les rapports de l’individu à l’espace, qui reste l’une des questions fondamentales de la géographie.

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