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Géographie urbaine

Guy Burgel et Alexandre Grondeau

Hachette supérieur, 2015, 288 p, 28,50 euros

Parce que les mutations urbaines sont pour le moins difficiles à cerner et que de nombreux auteurs cherchent plutôt à les accompagner au travers d’analyses thématiques, le plus souvent sous la forme d’essais, la parution d’un manuel de géographie urbaine visant la « vue d’ensemble » du problème était attendu depuis plusieurs années.

En véritable plaidoyer pour cette branche de la géographie, longtemps négligée dans son histoire, et en revendiquant un équilibre entre plan classique Le livre se divise donc en cinq parties équilibrées (la ville dans ses échelles, la ville dans ses espaces et ses formes, la ville dans ses fonctions, la ville dans ses sociétés, la ville dans ses politiques). et approche critique dans les contenus, ce riche ouvrage de près de 300 pages devrait séduire un public allant bien au delà des étudiants auxquels il est principalement destiné.

Dès l’introduction, les choses sont clairement posées à commencer par le partage des tâches entre les auteurs : Guy Burgel, professeur à l’université Paris X a écrit les textes des chapitres et le lexique, Alexandre Grondeau, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille a réuni et présenté les documents. Dans un contexte où les coécritures ne révèlent pas toujours explicitement les responsabilités de chacun, cette précaution apparaît bienvenue non pour seulement dire les choses mais également les expliciter puisque la différence générationnelle entre les deux auteurs ainsi que leur collaboration déjà affirmée légitime cette distribution des rôles La cliothèque avait déjà eu l’occasion de lire un numéro de la revue Villes en parallèle sur le Grand Paris où cette collaboration était amorcée..

La méthodologie est examinée : la « rétropolation » (p 17) qui cherche à « reconstruire des séries statistiques passées sur une trame territoriale actualisée » permet de se saisir de la « rapide obsolescence des classifications » de l’urbain ; la mesure classique de la croissance naturelle (natalité – mortalité) doit être particulièrement nuancée en rapportant « cet état civil à la résidence de la mère ou du défunt » car «la quasi-totalité des accouchements se produit dans une maternité urbaine, et une grande partie des décès a lieu à l’hôpital de la ville. Les statistiques brutes du mouvement naturel s’en trouvent artificiellement gonflées dans les villes » (p 38) ; dans le cadre de la ville, la carte par points devrait avoir la priorité sur la carte par plages et encore plus sur la carte thématique déjà « biaisée par son auteur » (p 66).

Les exemples sont clairs et parlants : pour expliquer l’idée qu’à l’opposé des réseaux gravitaires, dans les réseaux de ville, les relations se font entre agglomérations de même importance, la comparaison sportive est convoquée en montrant que l’on serait passé « d’une compétition de coupe, où tous concourent dans une poule unique, à un championnat de ligue, où des niveaux sont distingués » (p 65) ; la parcelle, en tant « qu’unité élémentaire de la ville » est comparée au « pixel » du paysage (p 92) ; les chiffres sur les mobilités parisiennes sont éloquents (p 176) : « 89 minutes pour parcourir 11 kms dans Paris, 86 minutes pour les 14 km de la 1ère couronne, 85 minutes pour les 20 km de la 2nde couronne en voiture », de plus les distances acceptées fluctuent selon les catégories sociales : « 29 kms de déplacement quotidien pour un cadre supérieur, 23 kms pour un employé, 15 kms pour un ouvrier ».

Surtout, de vraies questions sont posées pour casser quelques préjugés ayant la vie dure : sur la question de la densité, les quartiers haussmanniens « parés de toutes les aménités » sont bien plus denses que les grands ensembles que l’on présente toujours comme « le comble de l’entassement » (p 89) ; pansements sur « l’architecture criminogène des formes », « ethnicité ajoutant une connotation idéologique à l’exclusion » et s’immisce le « danger de substitution des causes dans la perception des maux et des acteurs de la ville » (p 186-187) ; idée plus générale que le chercheur n’est pas neutre et que « le fait qu’en France, les promoteurs de la « géographie en action » aient été souvent des hommes de gauche engagés dans et par des Etats « bourgeois » ajoute au trouble » (p 219).

Ces quelques citations piochées parmi de nombreuses autres potentielles illustrent la richesse du propos mais aussi sa clarté. Les phrases de débuts de paragraphes, mises en exergue en couleur bleue, viennent en appui pour lancer l’idée développée ensuite.

Cette plume expérimentée de Guy Burgel trouve un écho rafraichissant dans la compilation des documents d’Alexandre Grondeau : photographies noir et blanc bien nettes et cartographies soignées prélevées dans les références les plus récentes nous emmènent de New-York à la mégalopolis Tokaïdo, de Barcelone au Caire, de Bangalore à Brasilia sans oublier Lyon, Marseille et bien entendu Paris.

Au rang des infimes remarques : un document sur les skylines aurait pu être inséré (p 87-88) pour appréhender visuellement les silhouettes urbaines citées dans le texte ; de plus, la définition de « l’échelle » dans le (très bon) lexique aurait pu prendre en compte l’idée de « niveau scalaire, d’échelon » en plus de l’habituel sens « du rapport entre une dimension représentée et sa réalité ». Cela est d’autant plus dommage que le terme est souvent convoqué et que la partie sur les « échelles emboîtées de la morphologie urbaine » (p 92-96) expose admirablement bien l’agencement de ce « puzzle composé de pièces accolées, de la moins étendue à la plus grande ».

Une grande réussite en somme et ce n’est certainement pas un représentant de la sphère primaire qui tarira d’éloges sur cet opus qui devrait, en toute logique, prendre place sur ce créneau éditorial du manuel que l’on attendait, d’autant que la référence aux «cartes mentales d’enfants pour représenter leur itinéraire urbain» est mobilisée dans l’arsenal des outils pour étudier la ville (p 96).

Xavier Leroux © Les Clionautes

A propos de l'auteur

Xavier Leroux

Professeur des écoles, docteur, qualifié en section 23, membre associé au laboratoire Discontinuités de l'Université d'Artois, je m'intéresse aux liens entre géographie et école au travers de l'enseignement et la didactique de la discipline mais également au travers des territoires scolaires. J'ai rejoint les Clionautes en 2009 en participant à la rédaction de comptes-rendus de lecture. En creusant dans ce volet de l'association depuis cette date, j'ai crée la lettre …

Géographie urbaine

Jean-Pierre Paulet

Collection 128, Armand Colin

Armand Colin, à travers sa collection « 128 » propose de courtes synthèses de vulgarisation. Jean-Pierre Paulet est professeur émérite des universités de Nice-Sophia-Antipolis et membre du CRIGE PACA. Ses centres d’intérêt tournent surtout autour de la mondialisation, de l’Asie et des villes. Il est d’ailleurs l’auteur d’un « Manuel de géographie urbaine », dont la 3e édition est sortie en juillet 2009 chez le même éditeur.

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De facture classique, l’ouvrage s’ouvre sur le seuil historique des 50% de population urbaine mondiale, atteint en 2007. Profitons-en pour dire que les données utilisées sont à jour, la plupart des données statistiques générales datant de 2007, certaines données locales ou événementielles allant jusqu’à la fin 2008. La problématique générale est bien posée dès l’abord : la progression de l’urbanisation rend l’opposition villes/campagnes de moins en moins pertinente à l’époque de « l’urbain généralisé », dont l’auteur avertit des aspects positifs comme négatifs.

Le plan, en quatre parties, décrit d’abord la croissance urbaine et ses composantes (chapitre 1), avant d’analyser la hiérarchie urbaine au niveau mondial (chap. 2). Une partie spécifique est consacrée aux villes du sud (chap. 3). L’auteur conclut sur les incertitudes liées à l’évolution des villes (chap. 4).

Chapitre 1 : Vers une urbanisation généralisée ?

De manière fort utile, le chapitre s’ouvre sur la définition des principaux termes qui font la ville : ville, faubourg, banlieue, agglomération, métropole, mégapole, etc. L’explosion urbaine du deuxième XXe siècle est ensuite décrite. Mais l’étalement urbain ne diminue pas le rôle déterminant des centres, lieux des décisions et des symboles.

Chapitre 2 : Une hiérarchie des villes.

La hiérarchie des villes est ensuite passée en revue de manière très (trop ?) synthétique. L’archipel mégalopolitain mondial est caractérisé, chaque ensemble (megalopolis américaine, mégalopole japonaise, dorsale européenne) faisant l’objet d’une courte étude. Les « villes de la mer » sont ensuite décrites notamment sous l’angle de la mondialisation (ports, tourisme). Curieusement, l’auteur termine ce chapitre avec une réflexion sur « la fin des campagnes », dont le propos, intéressant en soi, est à relier à l’ « urbain généralisé » du début.

Chapitre 3 : Les « Sud » au XXIe siècle : « une inflation urbaine ».

L’importance de la croissance urbaine dans les pays du Sud justifie assurément un chapitre spécifique, partagé entre l’Asie (Chine et Inde uniquement), l’Afrique et l’Amérique latine (Brésil surtout). Une dernière partie est plus particulièrement consacrée au phénomène de taudification.

Chapitre 4 : Les villes du futur : la grande incertitude.

Effet de mode ou préoccupation évidente ? Le dernier chapitre étudie l’avenir de l’urbanisation et ses effets sur l’environnement, développant notamment l’exemple de la Méditerranée. D’où la réflexion qui suit sur la « ville durable » et la vulnérabilité de ses espaces. L’ouvrage se clôt de manière assez pessimiste sur la multiplicité des obstacles rencontrés.
La conclusion présente deux visions possibles de l’avenir urbain, le scénario optimiste ne « (correspondant) pas, hélas, à la situation actuelle »… L’auteur conclut sur la nécessité de « contrôler et aménager l’urbanisation ».

Annexes

Une courte bibliographie d’une quinzaine de titres figure en fin d’ouvrage. Elle ne comporte pas, évidemment, la mention de la 3e édition du « Manuel de géographie urbaine » de l’auteur, paru après. Un répertoire donne également une quinzaine de sites internet, ce qui est peu, même s’il faut bien choisir. On notera, l’œil amusé, que Paul Claval y est devenu Paul Clavel, qui n’a rien à voir – hélas – avec votre serviteur.

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On pourra regretter les dimensions restreintes de cet opus : 104 pages de petit format, c’est un peu court, jeune homme ! Mais c’est le jeu de la collection, et l’on dispose de l’ouvrage plus fouillé du même auteur dans la collection U géographie. La question est de savoir s’il vaut mieux se reporter à l’un ou à l’autre…
L’appareil graphique et cartographique ne souffre quant à lui aucune discussion et discrédite l’ouvrage de bout en bout ! Échelles fausses (pages 13, 54, 60), titres inexacts (pages 15, 42), représentations incorrectes (pages 15, 18, 19, 90), localisations hasardeuses (Kyoto ville littorale en page 31), cartes illisibles (page 44), tracés déficients (pages 55, 57), tout y est, et même davantage ! Une véritable mine d’exemples à ne pas suivre pour les cours de sémiologie graphique.

Outre d’assez nombreuses coquilles, on relève également des répétitions, comme cet exemple page 53, où l’on apprend à trois lignes d’intervalle que la population urbaine indienne atteint 18% en 1960 et 29% en 2007. On mesure donc le chemin car en 1960 82% de la population était rurale et encore 70% en 2009 (sic) ! Ou encore que São Paulo a une population de 19 037 487 à une page d’intervalle. Victor Hugo est cité page 36… et quand on aime… on le répète page 73. La répétition est à la base de la pédagogie, on ne le dira jamais assez !

Sur le fond, on regrettera que n’aient pas été développés davantage certains thèmes, comme celui des shrinking cities, dont on trouve de si remarquables exemples aux États-Unis ou en Russie. De même, on pourra déplorer cette tendance si détestable à pointer les erreurs du passé : les « décennies d’erreurs » commises en banlieue sont davantage à replacer dans leur contexte, ce qui permettrait un jugement plus nuancé. Après tout, chaque période a eu ses aménageurs, et tous en leur temps ont jugé optimale leur façon d’agir sur l’espace.

Certains concepts ou outils gagnerait à un œil davantage critique. L’utilisation de la notion d’empreinte écologique du WWF, par exemple, mériterait quelque réserve.

Enfin, une remarque plus personnelle : on peut éprouver un certain agacement à voir les aménageurs décider du devenir des populations, de la forme des villes, de l’emplacement des services, en fonction d’un « bien général » dont ils sont les dépositaires. Un peu plus d’humilité ne serait pas nécessairement de mauvais aloi.

Au total, on a quand même trop souvent l’impression d’un ouvrage bâclé, publié rapidement sous de fortes contraintes éditoriales, avant la sortie de la 3e édition de l’opus maxima. On ne saurait donc trop recommander à nos collègues de se reporter à celui-ci, fût-ce au prix d’un effort supplémentaire.

Christophe CLAVEL

Copyright Clionautes 2009.

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