Proposé pour les concours du CAPES et de l’agrégation, cet ouvrage devrait sans doute dépasser ce cadre tant il apparaît inspirateur dans ses contributions. Fruit collectif d’une petite équipe éclectique ; un habitué des questions scolaires, Pascal Clerc qui assure la direction ; une spécialiste des situations coloniales, Florence Deprest et deux auteurs tout à fait bienvenus sur ce domaine de l’enseignement car travaillant sur l’image, Didier Mendibil et Guilhem Labinal Voir la thèse passionnante de Guilhem Labinal sur la géographie des magazines ; ce livre se démarque déjà au travers de sa volonté de ne pas considérer les savoirs sur l’espace uniquement comme du ressort de la géographie mais provenant également de diverses autres sphères, ce dont il faut tenir compte d’une manière vigilante et distanciée.

Structuré en quatre parties (histoires, champs, pratiques, objets), l’ouvrage présente d’abord la structure d’accueil des auteurs, le laboratoire EHGOEpistémologie et Histoire de la Géographie, Unité mixte de recherche Géographie-Cités CNRS, Paris et s’attache, en remettant en cause la vulgate, en comparant avec les autres sciences et les points de vue étrangers, à montrer que de nombreux repères géographiques sont construits hors du champ disciplinaire et qu’il convient au géographe de mettre un peu d’ordre dans ce faisceau d’apports.

HISTOIRES

Avant même de parler d’histoire, cette première partie se demande déjà si la question « à quoi sert la géographie ? »Voir ce numéro de la revue Traces: http://traces.revues.org/4654 n’est pas devenue caduque au profit d’une autre interrogeant la ou les demandes sociales pour voir « à qui peut servir la géographie ? ».

Concernant les jalons chronologiques indispensables, une mise au point sur l’année 1870 comme prétendu point de départ de l’enseignement de la géographie à des fins historiques et défensives est proposée puisque les auteurs le situent avant.

Sur le temps long de la discipline, il est rappelé l’héritage d’un fonctionnement par échelles mais la montée des études de cas au choix ne va-t-elle pas faire disparaître un modèle devenu classique ?

Les discours des géographies universelles sont passés au crible tout comme ceux des géographes sur la délicate question de la domination des races.

Les deux derniers chapitres posent deux questions essentielles sur les revues et l’utilité de la discipline une fois la classe quittée. La géographie en kiosque tient-elle du « pari impossible », la revue « La Géographie » en étant sortie au profit de la revue « Carto » qui progresseNotamment ici sous la plume d’Isabelle Debilly: http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?auteur65. Se pose toujours le problème de fond de la vulgarisation, inutile pour le CV d’un auteur aux yeux du système d’évaluation actuel.

L’état des lieux en ce début de XXIème siècle laisse transparaître une discipline toujours mal cernée à l’image de la douloureuse expérience consistant à parcourir les clairsemés rayons géographie des grandes librairies. L’inventaire pointe à 2000 le nombre de géographes officiant à l’université et les organismes de recherche, « sans compter ceux qui enseignent dans le secondaire »Et ceux du primaire !. L’étude des thèmes de prédilection ayant dominé l’année 2010 montre que c’est au territoire, à l’environnement et à la mondialisation que reviennent les faveurs des colloques, séminaires et autres thématiques de revues. Quant à la visibilité, Saint-Dié et Planète Terre certes mais quoi d’autres ? Les Cafés Géo ne sont pas cités…

Sentiment de clarté à l’issue de ce premier quart, renforcé par une très restreinte sélection de figures tout à fait limpides (voir notamment, page 44, un très bon schéma illustrant différentes polémiques entre courants de pensée lors des années 1976-1977 où nombre de revues étaient apparues) et des titres de chapitres bien mis en questions plutôt qu’à la place de simple énonciations.

CHAMPS

On apprend dans cette partie un peu plus brève sur les liens existants avec les autres disciplines (économie, sociologie, politique…) et quelques domaines d’application de la géographie (géographie culturelle, développement durable, géographie postcoloniale).

Il est utilement rappelé que la géographie peut prendre une dimension interventionniste, militante lorsqu’elle peut servir à dénoncer des inégalités une fois repérées.

Là encore, le dernier chapitre s’avère particulièrement précieux puisque touchant la didactique de la discipline. Si le système « autoréférencé » (pratiques enseignantes, conception des programmes, rédaction des manuels) génère les résistances, des pistes de recherche ont été lancées sur une meilleure lecture des programmes, des discours, des manuels…

Les modèles d’analyse sont présentés (transposition didactique, pratiques sociales de références, autonomie des disciplines scolaires) et une très bonne figure, page 128, explique comment le triangle du contrat didactique (élèves/savoirs/professeurs) évolue vers un losange dont le dernier sommet serait constitué par les savoirs médiatiques et vernaculaires.

PRATIQUES

Il est ici question de cartographie, de méthodes quantitatives, de systémique mais également d’iconographie avec toujours cette volonté de voir ce qui se fait en dehors du champ académique. La figure essentielle de Didier Mendibil sur les types de cadrages photographiquesVoir dans cet article: http://cybergeo.revues.org/16823 est présentée tout comme des références à d’autres nouveaux acteurs de la cartographie, des « géoartistes » comme Christian Nold ou Mathias Poisson. Présentée également dans ce chapitre sur l’iconographie, la thèse d’Arnaud BrennetotVoir ici: http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00592087/en/ semble tout à fait alléchante pour faire écho à celle de Labinal.

On trouve aussi un bon exemple d’application des analyses inductive et déductive à l’aide de l’exemple détaillé du paysage littoral de Menton.

La question clé du découpage de l’espace fait l’objet d’un chapitre propre et montre que les découpages existent mais surtout qu’ils se créent et donc qu’il n’est pas nécessairement obligatoire de baser son enseignement sur des espaces « prédécoupés » qu’ils soient vidaliens, administratifs ou autres…Sans doute « LA » question clé dont il semble si difficile de sortir…

Dans un dernier chapitre, vital, sur l’utilité de la discipline en dehors de l’école, Didier Mendibil nous interpelle sur le fait que toute notre vie se construit sur un ensemble de stratégies spatiales mais que l’école ne nous y prépare pas, notamment en mobilisant pas (assez) les bonnes échelles pour le faire« LA » question clé BIS !.

OBJETS

Ce sont enfin les objets d’étude du géographe qui sont dépeints dans cette dernière partie : objets localisables comme les villes, les montagnes, les espaces ruraux ou encore les risques mais également des concepts clés comme la région, la frontière, l’habiter ou encore la distance dont on rappelle qu’elle n’est pas une métrique topographique invariante mais qu’elle peut être le fait de perceptions individuelles.

Ces concepts essentiels ne sont évidemment pas figés dans le temps, on s’en rend compte avec le chapitre sur l’évolutivité des définitions du lieu, de l’espace et du territoire mais également avec l’analyse du paysage qui a fait son entrée en géographie grâce à trois facteurs : « l’urbanisation du mode de vie qui a valorisé le spectacle de la nature, le développement de l’iconographie qui a permis la diffusion d’images réalistes, l’articulation des paysages aux nationalismes qui les ont incorporés à des systèmes symboliques ».

Les dernières pages ouvrent une porte pour la géographie du sport choisie comme exemple de géographie culturelle (mais, comme le précise l’auteur, d’autres entrées comme le cinéma, la religion, la gastronomie…eurent été possibles) et présentent deux exercices particuliers devenus des questions courantes : les géographies de la France et les lectures de la mondialisation.

Un très riche ouvrage donc, très facile d’accès dans sa présentation et son niveau de lecture et dont les quelques figures, bien sélectionnées, sont de bonne qualité. A nouveau, de quoi préparer les prétendants aux concours mais, de manière plus large, de quoi faire réfléchir les titulaires (même ceux du primaire…) sur leurs pratiques avec cette donne importante qui montre que la géographie n’a pas le monopole des savoirs sur l’espace et qu’il faut composer avec, le plus habilement possible.

Xavier Leroux © Les Clionautes