Dépôt légal : octobre 2016. ISBN : 978-2130749752
Dimensions : 19 x 1,5 x 12,5 cm
Yves Lacoste, vous connaissez ? Sa présentation éditoriale dit ceci : Yves Lacoste est géographe et géopoliticien. Professeur à l’université Paris VIII dès 1968, il a largement révolutionné l’approche géographique et participé à l’émergence de la géopolitique en France, notamment au sein de sa revue Hérodote.

Quant à Frédéric Encel, qu’on voit et revoit avec plaisir sur différentes émissions télévisées de bonne tenue, il est docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po Paris et professeur à la Paris School of Business, dont il a créé la chaire de Management des risques énergétiques. La Société de géographie l’a fait lauréat 2015 de son Grand Prix annuel pour l’ensemble de son œuvre. Aux PUF, il est l’auteur de Géopolitique du Printemps arabe et a dirigé Gaz naturel, la nouvelle donne ? On citera également d’autres ouvrages : un peu plus ancien, la réédition de son remarquable L’art de la guerre par l’exemple : Stratèges et batailles, chez Champs Histoire, en 2015 ; un peu plus récent, son Atlas géopolitique d’Israël : Les défis d’une démocratie en guerre, Autrement, en janvier 2017.

Qu’il me soit permis de revenir un bref instant sur le premier auteur, en espérant qu’il excusera – si jamais il vient un jour à lire ces lignes – certaines tournures. Yves Lacoste est un monument. Bon nombre, comme votre serviteur, lui doivent une grande part de leur formation intellectuelle. Evidemment, c’est le fondateur de la revue Hérodote, en 1976, dont nous somme si nombreux à attendre les parutions. Evidemment, il faut avoir lu La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. Mais c’est aussi l’auteur d’autres ouvrages fondamentaux : sa Géographie du sous-développement, de 1965, souvent rééditée, à compléter par son Unité et diversité du Tiers-Monde, dans son édition de 1980, ont fait naître chez beaucoup la passion de la géographie et de la géopolitique. Lacoste fait partie de ces rencontres intellectuelles qui orientent les vies.

C’est donc avec une admiration teintée de reconnaissance que l’on a abordé son ouvrage le plus récent, écrit à deux mains avec Frédéric Encel.

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Vous connaissez l’histoire de la grenouille dans l’eau bouillante ? Prenez une grenouille, plongez-la dans l’eau bouillante : elle bondira par réflexe pour se mettre à l’abri. En revanche, immergez la grenouille dans une eau tiède et faites graduellement monter la température : elle mourra ébouillantée. C’est ce que nous évoque avec sidération la première page du livre, dont nous reproduisons ici l’intégralité :

« Un jour de 2005, peu avant les émeutes de novembre, le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Bernard Thorette, avait invité aux Invalides un aréopage de géopolitologues à débattre du devenir de la défense nationale. Après avoir présenté et vanté les mérites sociaux de l’armée et son efficacité sur ses différents théâtres d’opérations extérieurs, il céda la parole au grand témoin de la réunion, Yves Lacoste :

— Mon général, votre présentation est sincèrement très intéressante, mais je m’étonne que vous n’ayez pas évoqué l’éventualité d’un déploiement des troupes sur le sol national.

Manifestement abasourdi par la remarque, le général — connu pour son humanisme, sa pondération et ses convictions républicaines — reprit la parole d’une voix sombre et l’air grave :

— Professeur, vous vous rendez compte de ce que vous me demandez de faire ? D’imaginer mes hommes se déployer en France… Ils ne sont ni formés ni destinés à faire usage de leurs armes contre leurs compatriotes !

Et Yves Lacoste de reprendre lorsqu’il eut à nouveau la parole :

— J’entends bien, mais ne croyons pas que tous les gens nés en France, simplement parce qu ‘ils ont des papiers français, aiment la France et se représentent comme des compatriotes… Certains pourraient vouloir frapper très durement notre pays.

C’était il y a dix ans. »

Car c’est bien de sidération qu’il s’agit. Regardons derrière nous : eût-on pu imaginer il y a dix ans ce que nous vivons depuis 2015 ?

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Il est difficile – et peut-être mal venu – de déflorer les idées contenues dans ce petit livre, dont les chapitres sont alternativement écrits par l’un et l’autre auteur.

Disons, pour citer la quatrième de couverture, que « la patrie est en danger » ! Ce livre engagé – très engagé – dénonce l’idéologie « mortifère » de l’islamisme radical et la « complaisance » d’intellectuels vis-à-vis de ce « fléau antilaïc et antirépublicain », entendez « l’islamo-gauchisme ».

Chaque auteur raconte, à travers divers épisodes de leur vie, leur attachement à la nation France : par exemple, mon inquiétude, d’Yves Lacoste, la nation de mon enfance, de Frédéric Encel. Cette alternance d’écriture est plutôt déconcertante, rend parfois le propos difficile à suivre, mais présente l’intérêt et les limites d’un livre subjectif et engagé.

On ne peut, pour la suite de la lecture, que recommander à chacun de se faire sa propre opinion à propos de cette nation France attaquée sur les deux fronts du radicalisme islamiste et de l’islamo-gauchisme. La haine de la nation France professée par les islamistes répond à la haine de soi des islamo-gauchistes. L’essai de Lacoste et Encel – car c’est bien, selon nous, d’un essai qu’il s’agit, d’un livre polémique, et non d’un manuel de géopolitique – pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses chez le lecteur à l’esprit plus balancé, plus nuancé, voire perplexe.

Pourtant leurs propos font écho à cette réaction d’une partie du peuple républicain, au désir de défendre la démocratie, la République, la laïcité. Face à un certain romantisme de l’islamisme radical, dont l’on peut noter la présence chez les enfants perdus de la République, les auteurs proposent de « réenchanter la nation républicaine ». Devons-nous avouer un certain scepticisme sur les propositions avancées en fin d’ouvrage ? Mais le mieux est de laisser chacun y réfléchir.

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Cet essai laisse donc une impression très dérangeante, dont on peine à rendre compte en ces quelques lignes. On pourra lire la critique très acerbe de notre distinguée collègue, Cécile Gintrac (que nous saluons), sur le site du Nouvel Obs, avec laquelle nous avons de nombreux points de convergence.

Mais, avec Encel, c’est Lacoste… Et ainsi votre serviteur ne peut être entièrement objectif. Qu’on veuille bien l’en pardonner.

Christophe CLAVEL

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