Gérard-François DUMONT, professeur à l’université Paris-Sorbonne et Pierre VERLUISE, docteur en géopolitique nous proposent une analyse géopolitique de l’Europe dans la collection MAJOR des Presses Universitaires de France. Elle s’inscrit dans le cadre du festival de géopolitique de Grenoble dont certains Clionautes ont rendu compte dernièrement.
Dans les deux premiers chapitres, la géographie et l’histoire de l’Europe sont présentées. La question se pose d’abord de ses limites. L’Oural, première limite couramment utilisée, est discutable. Elle a été établie au XVIIIème siècle uniquement pour des raisons politiques. Une autre limite serait la mer Caspienne mais elle n’est pas non plus complètement satisfaisante. On peut en conclure que l’Europe n’est pas vraiment un continent au sens d’ « une grande étendue de terre limitée par un ou plusieurs océans ». L’Europe est surtout marquée par son histoire. Paradoxalement, la division de l’Europe par le rideau de fer pendant la Guerre Froide s’est révélée être un facteur de rassemblement pour les Etats d’Europe de l’Ouest. La destruction du Mur de Berlin en 1989 marque toutefois une rupture d’ordre stratégique que l’Union européenne doit appréhender.
Les six chapitres suivants sont en effet l’occasion de faire le point sur l’Union européenne et les défis qu’elle doit affronter. C’est un système multipolaire original fondé sur la négociation et la paix, unissant des Etats aux caractéristiques très différenciées par leurs histoires, leurs structures et leurs approches géopolitiques. Depuis l’échec du Traité Constitutionnel en 2005, elle semble en plein doute. A partir de 2008, les crises économique et politique ont renforcé le déficit de crédibilité des institutions communautaires dans l’opinion publique. Pourtant des résultats significatifs ont été obtenus comme la construction d’un marché interne, la mise en place de la PAC (malgré des évolutions récentes) ou de la Politique de Cohésion Territoriale. Mais des problèmes subsistent. Les distorsions fiscales, règlementaires et techniques favorisent une politique de dumping social (à l’image du fameux plombier polonais). L’UE est aussi vue comme peu démocratique à cause d’institutions complexes et apparaît parfois faible, divisée et même effacée (pendant la Guerre du Kosovo par exemple). Les contradictions géopolitiques internes sont en effet fortes. Certains pays comme le Royaume-Uni pensent à la quitter d’autres comme la Hongrie ne respectent plus vraiment les valeurs de l’Union depuis la victoire de Victor ORBAN en 2010. Les évolutions démographiques de l’Europe en tant qu’enjeu géopolitique majeur sont aussi évoquées. On n’en attendait pas moins de Gérard-François DUMONT. Selon lui, la puissance de l’Europe est dépendante de ses évolutions démographiques. Au milieu des années 1970, elle est rentrée dans un « hiver démographique » qui pourrait être un prélude à un « hiver politique ». Dans un scénario moyen, la population de l’Europe devrait en effet passer de 744 millions d’habitants en 2020 à 722 millions en 2050. La faible fécondité conjuguée au vieillissement de la population du « continent » devraient être à l’origine de l’augmentation de l’immigration. L’intégration des migrants est et sera un défi majeur. L’Union européenne est-elle donc une puissance ? Une puissance commerciale certainement même si la majorité des échanges sont intra-européens. Cependant, elle reste dépendante pour ses matières premières. L’hétérogénéité économique et l’incapacité chronique à mettre en place une politique de la défense sont toutefois des signes d’un effacement relatif de la puissance européenne. L’Union européenne est aussi inégalement attractive.
Ainsi, les deux chapitres suivants traitent des autres pays d’Europe : ceux qui sont candidats (Islande, Turquie, pays des Balkans occidentaux) mais aussi ceux qui refusent l’UE (Biélorussie, Norvège, Suisse). Par ailleurs, certains évènements rappellent à l’UE que la géopolitique est par nature conflictuelle. C’est bien le refus du président ukrainien Victor IANOUKOVITCH fin novembre 2013 de signer l’accord d’association entre ukrainiens et européens pour se tourner vers la Russie qui est à l’origine des affrontements en Ukraine, qui se poursuivent à ce jour. La volonté de la Russie de (re)devenir une « grande puissance » oblige l’Union européenne à clarifier des relations ambiguës. La Russie, forte de ses ressources qu’elle utilise parfois à des fins géopolitiques, n’a jamais sollicité son entrée dans l’UE et elle essaye même d’imposer son propre projet d’Union Eurasiatique (une « seconde UE » selon Vladimir POUTINE). Cela obligerait peut-être alors la « première UE » à définir sa géographie.
Les deux derniers chapitres font guise de conclusion. D’un point de vue de la géopolitique externe, les horizons de l’UE sont multiples : coopération économique et commerciale avec les pays de la Méditerranée, accord de libre-échange transatlantique en négociation avec les Etats-Unis, affirmation des relations avec les pays émergents (Chine, Brésil,…)… D’un point de vue de la géopolitique interne, plusieurs futurs sont possibles : une dépendance (sécuritaire vis-à-vis des Etats-Unis), l’impuissance (face à la Russie) voire l’implosion. Plus positivement, l’UE, en se concentrant sur des politiques essentielles, peut encore se refonder, peut-être sous la forme d’une confédération. En tout cas, elle connaît une profonde crise d’identité et elle doit rapidement réinventer son argumentaire.
D’abord descriptif puis explicatif et enfin prospectif, cet exposé présente les défis que doit relever le « Vieux Continent ». Il pousse à la réflexion, montrant que la géopolitique est une étude des dynamiques et que le jeu des acteurs y a une place essentielle. Le texte est agréablement illustré par une trentaine de cartes (dont deux en couleurs), parsemé d’encadrés (sur Vaclav HAVEL ou le mur de Berlin par exemple) et d’extraits du site Diploweb.com dirigé par Pierre VERLUISE. Il constituera un éclairage instructif et actualisé pour les professeurs d’Histoire-Géographie de collège de troisième et de lycée de Première et de Terminale mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent, comme Charles De GAULLE en son temps, à l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural ».
Nicolas Prévost © Les Clionautes