La population active dans les pays du Sud, problématiques de développement.
La baisse relative et globale qui n’exclut pas de fortes différences régionales, de la fécondité dans les pays en développement ne poursuivra ses effets sur la population active que dans une génération. La croissance démographique actuelle rend la question de l’emploi primordiale pour la croissance et la cohésion sociale en Afrique subsaharienne comme dans certains pays d’Asie. Cela n’est pas dénué de conséquences non plus dans les pays développés comme la France, où le maintien d’une fécondité plus élevée que la moyenne des pays de l’Union européenne génère de façon mécanique un chômage des jeunes plus important que dans d’autres pays similaires . (À quelques exceptions près comme l’Espagne.)

La population « jeune » des pays anciennement développés entre en concurrence dans un marché de l’emploi désormais mondialisé avec la population des pays émergents et en voie de développement qui accède de plus en plus à des niveaux de qualification comparable, malgré le maintien d’un différentiel élevé parfois.
À ce titre les problématiques de population active et d’emploi des jeunes dans les pays du Sud interpellent les sociétés des pays du Nord économique.

«Non déclarés, mal payés ou chômeurs»: la réalité quotidienne des jeunes des pays en développement

Reçu en service de presse ce numéro de la revue Autrepart consacré aux « jeunes du Sud face à l’emploi » est particulièrement riche pour se documenter sur les problématiques de développement dans les pays émergents mais aussi en Afrique, là où les perspectives de croissance semblent particulièrement élevées.
L’article de Florence Boyer et de Charlotte Guénard qui ouvre ce numéro présente la situation des jeunes faces à l’emploi de façon générale. Si des améliorations sensibles ont pu se manifester lors des trois dernières décennies, en termes de formation, y compris les jeunes filles, sur la plupart des continents, celles-ci semblent avoir été remises en cause depuis la crise de 2008.
Le poids de la population active « jeune », c’est-à-dire dans la tranche d’âge des 15–24 ans et variables d’un continent à l’autre, d’un espace économique à l’autre. C’est en Asie que les jeunes sont les plus nombreux en valeur absolue mais c’est en Afrique que les perspectives d’augmentation de cette population active sont les plus prometteuses.
90 % des jeunes (15 24 ans) vivent dans des pays en développement. Ils représentent en valeur absolue une population de 1 100 millions d’habitants. Dans les pays en développement se population de jeunes en âge de travailler devrait augmenter de plus de 400 millions d’ici 2030. C’est en Afrique que le croissance de cette population sera la plus élevée allant jusqu’à représenter un tiers de la population mondiale des 15 24 ans contre 18 % aujourd’hui. En raison du poids de l’Inde c’est en Asie que se trouve la plus forte proportion de jeunes.
En Asie comme en Amérique latine, dans les pays « émergents » où les plus de 60 ans représentent actuellement 11 % de la population, les jeunes vont avoir à supporter la charge d’inactifs de plus en plus nombreux : les plus âgés qui représenteront 25 % de la population dans les deux continents à l’horizon 2050, les plus jeunes qui représenteront 18 % des effectifs. Avec les cessations d’activité tardives, en raison de l’allongement de l’espérance de vie, il existera terme une concurrence intergénérationelle pour l’accès au marché du travail.
Au-delà des présentations générales qui sont contenues dans cet article, on mettra en avant le caractère ambivalent de cette croissance de la population active jeune dans les pays en développement. Celle-ci est évidemment porteuse de croissance et de perspectives prometteuses mais on a pu constater, surtout depuis 2011, au Maghreb, comme au Moyen-Orient, que le mal développement et la mal gouvernance avaient laissé cette population jeune sur le bord de la route. Cela a pu générer les printemps arabe mais aussi favoriser l’expression d’une frustration qui a pu trouver son exutoire dans la radicalisation islamiste.

Les autres articles de la revue peuvent servir de support à de très nombreuses études de cas, concernant le continent africain avec l’article de Anne-Emmanuelle Calves et Jean-François Kobiané qui montre le différentiel en matière d’insertion professionnelle chez les jeunes à Ouagadougou. Les auteurs insistent sur l’importance des femmes dans le développement du secteur informel, et principalement des jeunes citadines, un groupe traditionnellement marginalisé sur le marché de l’emploi. La progression de la scolarisation féminine et la diminution des inégalités scolaires selon le genre pose évidemment le problème de la situation des femmes dans ces sociétés. Dans les villes de l’ouest africain on assiste très clairement une féminisation du marché de l’emploi qui est d’ailleurs favorisé par une entrée en union de plus en plus tardive. Mais il n’en reste pas moins que les inégalités selon les genres subsistent ainsi que selon le groupe ethnique de référence.

L’article de Sophie Blanchard est consacré révolution de l’emploi domestique à La Paz en Bolivie. Avec des problématiques d’exode rural mais également de domination sociale genrée et ethnique que subissent les travailleuses domestiques indiennes venant des campagnes andines dans différents contextes urbains.
L’emploi domestique a tout de même évolué et ce secteur aurait même tendance à se spécialiser et à se professionnaliser. Le gouvernement bolivien a pu faire adopter une loi qui réglemente le secteur et si l’emploi domestique reste une porte d’entrée sur le marché du travail pour les jeunes femmes, l’actuel gouvernement bolivien, suivant d’ailleurs en cela l’exemple du Brésil, a pu essayer d’ouvrir des perspectives d’ascension sociale pour ces jeunes femmes. Les employeurs font partie de la classe moyenne urbaine et de façon globale la mise en œuvre des politiques de redistribution par l’actuel gouvernement semble produire des effets positifs, pour les domestiques au premier chef, mais aussi indirectement pour les employeurs et pour les sociétés urbaines en général.

Yves Bertrand Djouda Feudjio traite des « jeunes benskineurs au Cameroun, entre stratégie de survie violence de l’État ».
On peut avoir présenté la situation économique du Cameroun et la sévère crise économique qui a commencé à partir de 1986, le Cameroun reste un pays pauvre avec deux Camerounais sur cinq qui vivent en dessous du seuil de pauvreté monétaire. 70 % de la population est en situation de sous-emploi. Il existe un salaire minimum interprofessionnel garanti de 28 216 Fr. CFA par mois, ce qui ne fait que 42 € !
La mal gouvernance de ce pays présidé depuis 1982 par Paul Biya est un obstacle au développement. Les jeunes qui ont au Cameroun, comme ailleurs, un handicap en matière d’accès à l’emploi sont perçus par la gérontocratie au pouvoir commune catégories sociale dangereuse, celle de la déviance, de la marginalité, et de la délinquance.
L’auteur de cet article présente une étude de cas sur les jeunes entrepreneurs, les benskineurs, micro entrepreneurs avec leur moto taxi. Il s’agit pour les jeunes au Cameroun d’une stratégie de survie qui s’inscrit tout de même dans une démarche géographique intéressante du fait de la porosité des frontières avec le Nigéria. L’introduction du multipartisme et les troubles socio-politiques du début des années 90 a favorisé le phénomène des villes mortes, aux transports paralysés, et par voie de conséquence le développement de ce secteur informel. La moto taxi devient une solution de substitution favorisant le désenclavement et les mobilités urbaines et interurbaines.
Les revenus représenteraient en moyenne plus du double du salaire minimum camerounais, mais évidemment les conditions de sécurité sont pour le moins discutable avec les phénomènes de surcharge. Il est fréquent de voir plus de deux personnes, en plus du conducteur, « bâcher » avec ce moyen de transport.
Cette activité est considérée comme déviante par les pouvoirs publics mais dans le même temps les conducteurs de moto taxi sont suffisamment nombreux pour représenter une masse de manœuvre notamment électorale. Leur mobilité favorise évidemment la communication, y compris politique. Les motos taxi sont une réalité phare du secteur informel.

Pour terminer cette présentation nous citerons l’article de Christophe Jalil Nordman et de Julia Vaillant qui présente les « jeunes entrepreneurs et réseaux sociaux » avec une étude croisée sur les cas malgaches et vietnamiens. Loin de se limiter à une simple présentation ludique des centres d’intérêts personnels les réseaux sociaux jouent pleinement leur rôle à la fois dans les systèmes de solidarité, lorsque les entrepreneurs qui connaissent un succès économique sont souvent confrontés à des obligations de partager les fruits de leurs activités avec des parents moins fortunés, soit au développement d’une activité professionnelle spécifique, ce qui est surtout le cas au Vietnam.
Dans les deux cas la réussite de l’entreprise passe souvent par la famille proche élargie et le travail familial est très largement utilisé dans les micro-entreprises qui sont dirigées par de jeunes adultes, dans le secteur des services et du petit commerce. On pourrait de même se demander, à la lecture de cet article, si les auteurs se sont préoccupés des réseaux sociaux numériques et de leur interaction avec les réseaux sociaux « tout court », basés majoritairement sur les solidarités et les liens familiaux. Peut-être qu’il faudrait voir si les réseaux sociaux numériques, du fait de la familiarité des jeunes entrepreneurs avec eux, ne rentrerait pas dans une sorte de problématique du développement de leurs micro-entreprises.

On pourrait s’interroger sur le suivi de cette revue dont le site n’a pas été mis à jours depuis le numéro 57.

Autrepart n° 71, 2014
Sommaire
Les jeunes du Sud face à l’emploi
Éditrices scientifiques : Florence Boyer, Charlotte Guénard

  • Florence Boyer, Charlotte Guénard, Sous-employés, chômeurs
    ou entrepreneurs : les jeunes face à l’emploi
  • Anne-Emmanuèle Calvès, Jean-François Kobiané, Genre et nouvelles
    dynamiques d’insertion professionnelle chez les jeunes à Ouagadougou
  • Sophie Blanchard, L’évolution de l’emploi domestique à La Paz (Bolivie) :
    entre apprentissage juvénile et professionnalisation
  • Christophe Jalil Nordman, Julia Vaillant, Jeunes entrepreneurs et réseaux
    sociaux : revue de littérature et regard croisé sur les cas malgache
    et vietnamien
  • Yves Bertrand Djouda Feudjio, Les jeunes benskineurs au Cameroun :
    entre stratégie de survie et violence de l’État
  • Laurent Téwendé Ouedraogo, Bernard Tallet, L’emploi des jeunes ruraux : entrepreneuriat agricole et création d’emplois dans le sud du Burkina Faso
  • Claire Zanuso, François Roubaud, Constance Torelli, Le marché du travail
    en Haïti après le séisme : quelle place pour les jeunes ?
  • Arnaud Kaba, Une culture du précariat ? Devenir ouvrier journalier en Inde
  • Isabelle Chort, Philippe de Vreyer, Karine Marazyan, L’ apprentissage au Sénégal, déterminants et trajectoires
  • Boris Koenig, Les économies occultes du « broutage » des jeunes Abidjanais :
    une dialectique culturelle du changement générationnel