Composante d’une série de quatre ouvrages traitant de géopolitique continentale, cette « géopolitique de l’Europe » est le fruit du travail en commun de six enseignants, universitaires et en classe préparatoires. Destinée à un public très vaste, collant d’assez près aux programme de très nombreux concours, cette collection devrait rencontrer un assez large succès.

Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales à l’IEP de Lille dans le cadre de la prépa ENA

L’esprit de cette série d’ouvrages est particulièrement stimulant. Traiter de géopolitique sous l’angle continental permet en effet de mieux cerner les enjeux à l’échelle régionale pour les inscrire ensuite, selon les besoins, dans un cadre planétaire.
L’ouvrage est articulé autour de quatre parties dont l’intitulé n’a rien de surprenant puisque le livre s’affiche clairement comme un manuel.

La première partie, « Identités et diversités en Europe » est parfaitement claire et met en perspective les limites du continent, ses fondements antiques, médiévaux et modernes, avant d’évoquer les fractures de l’Europe, celles de la guerre froide comme les évolutions récentes.

La montée des régionalismes en Europe occidentale est traitée en tant que telle tout comme les irrédentismes d’Europe orientale. Dans ce domaine, on apprécie certains zooms, comme celui sur la frontière du Kosovo, et la référence restant obligée plus de 20 ans après, aux accords d’Helsinki.
En dehors de la partition Tchécoslovaque, ces frontières sont restées les mêmes, même si les pays Baltes, l’Ukraine et la Biélorussie ne sont plus intégrés à l’intérieur de l’URSS qui a disparu. Pour autant leurs frontières intérieures avant 1991, sont devenues internationales sans modifications

Pour la partie médiévale, et même s’il faut se garder de projections dans le temps, la référence à l’Europe carolingienne fait défaut. Pourtant, le chef guerrier d’Aix la Chapelle, avait semble-t-il une vision de l’Europe comme héritière de l’Empire romain d’Occident. Il avait même envisagé une alliance matrimoniale avec Byzance qui aurait pu sans doute transformer le destin du vieux continent.

La seconde partie : « la construction européenne et ses dynamiques géographiques » est également complète. Tous les sujets sont abordés avec un égal bonheur, des différentes conceptions de l’Europe, souverainistes ou supranationales, aux questions institutionnelles en passant par les politiques d’aménagement du territoire. On aurait aimé également que le fédéralisme, rejeté il est vrai par l’essentiel du personnel politique français, soit d’avantage évoqué. Cette idée toujours écartée d’un revers de main reste pourtant d’actualité dans bien d’autres pays européens.

La troisième partie : « les mutations économiques et sociales et leurs conséquences géographiques » est parfaitement adaptée aux besoins des préparationnaires en géographie économique des concours des écoles de commerce. Elle est fort précieuse également dans le cadre d’une préparation de cours sur l’évolution de l’Europe dans le secondaire ou dans le premier cycle du supérieur.
Parmi les question sensibles, celle du devenir démographique de l’Europe n’est pas esquivée, même si le vieux continent reste et restera sans doute pour au moins un demi siècle le premier marché solvable de la planète.

On aurait pu craindre que les thèses déclinistes ne se trouvent ainsi mises en avant mais un zoom très heureux sur l’exception démographique française vient très opportunément rappeler que les politiques publiques peuvent, comme dans les pays scandinaves infléchir les tendances que les contempteurs du libéralisme absolu voient à tort se dessiner comme étant inéluctables.
Le choix est tout de même donné pour l’Europe entre les politiques natalistes, l’emploi des seniors ou une relance de l’immigration. En fait, aucune des solutions n’est envisageable séparément. La première irait à l’encontre des évolutions planétaires, la seconde serait socialement difficile à faire accepter tant que persiste un chômage de masse et la troisième pose des problèmes d’intégration des populations d’origine extra-européennes.
La solution réside sans doute dans un panachage des trois options. Les auteurs signalent dans les populations européennes des « désirs d’enfants inassouvis », en raison d’une trop faible prise en charge globale des maternités et du poids sur le budget des ménages de ces nouveaux venus.

La quatrième partie : « Une puissance européenne ou des puissances en Europe » est consacrée à un point très précis et bien actualisé de la place de l’Europe dans le concert mondial. L’Europe et la mondialisation, l’Europe dans les relations internationales, l’Europe puissance sont autant de sujets qui suscitent de vastes débats. Ce manuel permettra que ces débats s’engagent avec de vrais arguments, fondés sur des références précises.

En ce qui concerne la politique européenne de défense, on aurait aimé trouver un point plus précis sur les spécificités françaises et sur les arguments que les partenaires de la France mettent en avant pour s’opposer à cette vision française, peut-être actuellement défendue de façon dilettante, de l’Europe puissance comme contre poids à l’hyperpuissance étasunienne.

Bruno Modica