Nouvelle illustration du goût récurrent de nos élus pour les essais historiques, cette biographie d’un prince aux identités multiples et complémentaires (général, député, académicien, collectionneur, historien et esthète) est signée d’un ancien secrétaire d’état, actuel député maire de Chantilly. En bon politique, il puise dans son sujet une leçon comparative et un exemple applicable au temps présent : » dans un monde incertain, dans une Europe qui se cherche, dans une nation qui doute trop d’elle-même, la figure du duc d’Aumale est le reflet exact de la « permanence de la France » « . Indépendamment de ces considérations d’opinion et d’opportunité, convenons du légitime intérêt de l’auteur pour la personnalité d’un grand mécène dont l’héritage patrimonial assure une large partie du rayonnement de la cité qu’il administre. Saluons également l’estimable loyauté avec laquelle il reconnaît la contribution de Laurence Deffayet, la jeune historienne qui l’a assisté dans cette entreprise. Déplorons néanmoins de petites inexactitudes factuelles qu’une relecture attentive aurait aisément permis d’écarter (par exemple, la transformation du neveu Chartres en frère p.16, ou la coquille qui mue le grade de lieutenant-général en celui de lieutenant-colonel p.59). Notons aussi l’Interprétation très traditionnelle (particulièrement flagrante s’agissant de la conquête de l’Algérie ou de l’analyse de la Commune) qui est formulée des événements politiques du XIXème siècle, sans regard sur les problématiques historiographiques récentes (telles -par exemple- que la réflexion stimulante et novatrice de Waresquiel sur la Restauration). Cela tient sans doute au recours à la bibliographie grand public dont les repères sont proposés en fin de volume. Regrettons enfin que la sélection iconographique se borne à des portraits du duc d’Aumale et des siens, alors que Chantilly (d’autant que l’on fait une visite descriptive du château !) et quelques-unes des plus belles pièces de sa collection auraient légitimement eu vocation à y figurer.
Pour autant, ces défauts n’ont rien d’éliminatoire. Ils définissent les bornes d’un projet qui relève de la vulgarisation et non de la recherche. Or dans ce cadre à la modestie assumée, le contrat est honorablement rempli. C’est vrai dans la forme, grâce à une indéniable clarté d’exposition, dans le découpage comme dans l’expression, qui rend la lecture aisée et rapide. Il en est de même pour le fond : la personnalité incontestablement attachante d’un grand méconnu de l’histoire du XIXème siècle y trouve un écho nouveau, qui rajeunit (mais sans la renouveler) la biographie de référence sur le fils de Louis-Philippe signée par le grand médiéviste Raymond Cazelles il y a plus de vingt ans. On y fréquente un gentilhomme de bonne compagnie. Un Aumale chef de guerre dont la vocation sincère de soldat ne se réduit pas au sempiternel épisode de la Smala d’Abd el-Kader. Un Aumale bâtisseur, collectionneur et mécène, grâce à l’immense fortune personnelle qu’il a hérité des Condé. Un Aumale longtemps exilé, dont l’attachement filial à son pays se traduit par un geste d’infinie générosité auquel la France doit de nombreux chefs-d’œuvre incarnés par les emblématiques Très riches heures du duc de Berry. Un Aumale érudit qui prend rang parmi les pionniers d’une histoire savante basée sur l’exploitation scientifique des sources. Un Aumale légaliste, enfin, en lequel l’auteur voit l’image désintéressée de convictions qui lui ressemblent sans doute : patriotiques, libérales, pluralistes, respectueuses des choix démocratiques de la majorité et de l’intérêt national. Qu’attendre en somme, de cette biographie grand public ? À la fois peu et beaucoup : une lecture d’agrément proposant, à travers le prisme d’un bon sujet, une révision rapide mais classique des grandes étapes de l’histoire de la France au XIXème siècle. Un petit livre donc, mais qui a le vrai mérite de convaincre que la destinée du duc d’Aumale mérite mieux que l’oubli.
Guillaume Lévêque © Clionautes.