Enseignant l’histoire et la géographie dans un lycée de Tourcoing, lorsque le Front National commençait à s’installer dans le paysage politique, Bernard Alidières a trouvé dans son environnement immédiat les éléments de base de son ouvrage.
Ayant quitté en 1997 ce territoire que l’on a pu qualifier de « perdu pour la république », l’auteur participe désormais à l’institut français de géopolitique de l’université de Paris VIII.
Pour autant, au fil des pages et des cartes de géographie électorale, Bernard Alidières est resté très proche de son terrain d’étude qu’il connaît intimement.

A partir de l’exemple Tourquennois, l’une des composantes de la métropole lilloise, longtemps bastion de la gauche socialiste du Nord et du Pas de Calais, le lecteur aura tout loisir de réfléchir aux causes, mais peut-être aussi aux remèdes à apporter, face à cette installation permanente d’un parti d’extrême droite dans le débat politique français.

Pour autant, Tourcoing n’est pas Marseille, et tous les éléments qui expliquent la montée en puissance de ce vote Front National ne sont pas transposables d’une ville à l’autre, d’une région à l’autre et même d’une tradition politique à l’autre.
Dès les années 1980, le vote front national s’installe dans les quartiers populaires, malgré la marque présente du catholicisme et de la démocratie chrétienne qui a protégé la Bretagne de cette évolution jusqu’à une date assez proche.

Une ville transformée…

L’auteur détaille très précisément les spécificités de cette ville du Nord, qui n’est pas vraiment une vraie ville mais qui ressemblerait selon lui à une fédération de quartiers. Cela explique aussi peut-être la surévaluation des phénomènes d’insécurité que l’on ne peut raisonnablement pas qualifier de sentiment. À l’évidence pour l’auteur, et tout observateur sérieux serait bien en peine de le démentir, la crise économique ne suffit pas à expliquer ce phénomène mais elle joue un rôle amplificateur évident.
Il est clair que l’immigration, réelle, perçue, fantasmée, a également joué un rôle dans ce phénomène politique. Les électeurs du Front National de cette ville ne sont pas forcément les plus malheureux, du moins si l’on s’appuie sur les cartes fournies avec le type d’habitat. C’est cette présence de l’immigration, et plutôt de français issus de l’immigration, concentrés dans des quartiers ghettos, qui a pu susciter, grâce aussi à la personnalité de Jean-Marie LE PEN, ce type de vote. Dans l’une des parties de son deuxième chapitre, « un vote de proximité anti-immigrés à Tourcoing », l’auteur résume assez bien son explication. Il explique le vote FN comme la traduction politique d’une cohabitation conflictuelle. Une réussite sémantique assurément.

… par la montée de la délinquance

Il est clair que le cas de Tourcoing a pu apparaître comme un précurseur de ce phénomène que tous les ministres de l’intérieur, et au-delà tous les gouvernements ont essayé de régler. On retrouve ici l’expérience personnelle de l’auteur, et le désarroi de l’institution scolaire face à ces jeunes en rupture qui commençaient à exercer leurs talents dans l’école avant de la quitter. Beaucoup, issus de l’immigration maghrébine, mais aussi de la petite communauté harki, pouvaient entrer dans cette catégorie visible de mineurs délinquants multirécidivistes. Les conséquences électorales ont été très rapides. Dès 1983, le front national local commençait sa montée en puissance. Le slogan « l’insécurité ça suffit ! » ne résouds rien en soi mais fait mouche dès lors qu’il est amplifié par les diatribes de Jean Marie LE PEN, omniprésent sur les médias à l’époque à la fois pour des raisons d’audience, que pour d’autres motivations de la gauche socialiste au niveau national.

L’offre républicaine en matière de sécurité…

Dans les trois derniers chapitres de cet ouvrage, Bernard ALIDIERES se livre à un jeu d’aller retour entre la France et Tourcoing. Il est clair que la gauche a payé là bas, plus tôt qu’ailleurs, ses réticences à prendre le problème de l’insécurité à bras le corps. Très longtemps, le terme sécuritaire était et il reste encore connoté de façon très péjorative à gauche. Le seul problème, c’est que désormais, pour l’électorat populaire à qui l’on a dit, avec juste raison d’ailleurs, qu’il était la première victime de l’insécurité, ce mot n’a rien de négatif. Se réclamer d’une politique sécuritaire, et le terme rime avec karcher, peut représenter un sésame lors de certaines élections à Tourcoing comme ailleurs. Mieux encore, dans des élections locales, cantonales notamment, des membres du front national, sans aucune assise locale, sans autre lien avec le territoire que la location d’un local un an avant l’échéance, peuvent prélever sur les deux principales familles politiques traditionnelles opposées, un pourcentage significatif de voix. Qu’importe le nom du candidat. Il suffit de faire figurer sur le bulletin de vote le logo du Front National, et parfois le slogan « les français d’abord ».
L’auteur se livre dans le cinquième chapitre à une rétrospective sur les différentes politiques de sécurité : De la loi Peyrefitte à l’évolution de Pierre Joxe ministre de l’intérieur socialiste et qualifié de « grand flic de gauche » par Edwy Plénel dans le Monde, en passant par le rapport Bonnemaison, le colloque de Villepinte de 1997, où la gauche socialiste fait son aggiornamento, toutes les solutions sont présentées mais elles ne règlent pas les deux problèmes pourtant liés, la montée de l’insécurité avec le cortège d’incivilités qui l’accompagne ou la précède, et l’inexorable montée du Front National qui culmine lors de l’élection présidentielle de 2002.

… victime de tabous et d’insuffisances

C’est dans le dernier chapitre que l’ouvrage se révèle particulièrement décapant et combat bien des idées reçues, notamment à gauche. La première partie du septième chapitre règle d’abord un compte définitif à ce sentiment d’insécurité qui a coûté très cher à Lionel Jospin, candidat malheureux aux élections présidentielles de 2002.
De la même façon, on parle là, avec beaucoup de pertinence de l’oubli des « partisans de la fermeté d’origine étrangère », tout comme de « l’omerta en matière d’agressions sexistes selon l’origine de leurs auteurs ». Cet angélisme est ici clairement évoqué et, même si les remédiations aux problèmes posés ne sont pas évoquées dans l’ouvrage, mais pourraient-ils l’être, la charge reste quand même positive et même bien utile pour comprendre le phénomène posé, à savoir l’installation durable dans le paysage politique français d’un parti d’extrême droite et la banalisation de ses idées.

Au final, on ne peut que conseiller la lecture attentive de cet ouvrage. Tous les exemples sont loin d’être transposables et même si au niveau local, la diffusion de l’islamisme dans les jeunes issus de l’immigration et chez des européens de souche aurait pu être évoquée, cette géopolitique de l’insécurité est du front national peut permettre de comprendre cette évolution politique de la France et même annoncer quelques grosses surprises pour des élections présidentielles de 2007.

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