CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au lycée Catherine et Raymond Janot à Sens et au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien.

Les Editions de la Réunion des Musées Nationaux publient le catalogue de l’exposition qui se tient du 22 novembre 2006 au 5 mars 2007 au Musée de l’Orangerie. Cette exposition, et par conséquent ce catalogue, ont ceci de particulier qu’ils reprennent l’exposition qui s’est tenue, dans le même lieu, en 1934. Cet évènement a profondément marqué l’histoire de l’art. La réunion de ces tableaux visait à faire prendre conscience au public que la peinture française du XVII° siècle ne se limitait pas à l’œuvre de POUSSIN et au classicisme.

La mise en place de cette exposition de nos jours n’a pas été facile. Voilà douze ans que le commissaire général Pierre GEORGEL, directeur général de l’Orangerie, cherche à réaliser ce projet. L’ouverture du Musée de l’Orangerie, après 6 ans de rénovation, en a donné l’occasion. Il s’agit, par cette exposition, de montrer les liens entre le passé et le présent.

L’introduction du catalogue actuel s’organise autour de trois grandes idées.

Le concept de l’exposition de 1934 :

On doit à Paul JAMOT (conservateur en chef des Peintures du Louvre) et à son jeune collaborateur Charles STERLING l’idée de présenter, par le biais d’une exposition temporaire, un nouveau concept, celui de « Peintres de la réalité ». Déjà, en 1932, à Londres, une exposition avait présenté, aux côtés de tableaux de POUSSIN et de CLAUDE, quelques œuvres des Frères LE NAIN, de CHAMPAIGNE et de Georges DE LA TOUR.
En 1934, il s’agit de montrer comment, par les tableaux présentés, un « esprit réaliste » traverse tout le champ de la peinture du XVIII° siècle, indépendamment des genres pratiqués.
Ce concept fait référence au livre de CHAMPFLEURY Les peintres de la Réalité sous LOUIS XIII. 1862, qui fit connaître les Frères LE NAIN.
L’ensemble des tableaux présentés a comme point commun de refuser l’ostentation. Les organisateurs font preuve d’un parti pris dans le choix des œuvres pour que celles-ci correspondent au concept qu’ils veulent démontrer. 150 tableaux sont ainsi présentés au public parisien, essentiellement. Pierre GEORGEL présente en détail les étapes de la mise en place de l’exposition : recherche des tableaux, problème de prêts, problème d’attribution, difficultés d’installation des tableaux dans un espace d’exposition trop exigu… Il laisse, par son récit, malheureusement trop long, percevoir les difficultés de mise en œuvre d’une exposition temporaire : « Musées éphémères » (cf. Francis HASKELL).

Le contexte de l’exposition

L’analyse du contexte historique est à mettre au crédit de l’auteur. L’organisation d’un tel évènement artistique est à rapprocher du nationalisme français des années 1930. Dans le catalogue de 1934, les deux organisateurs mettent en avant le caractère français des œuvres et des artistes. Les « peintres de la réalité » sont l’occasion de montrer au public le « génie français ». Cette vision nationaliste est d’autant plus absurde que le tiers des attributions des œuvres présentées a changé entre 1934 et aujourd’hui !
Pierre GEORGEL montre bien en quoi le fait d’organiser une exposition sur le réalisme français s’inscrit à la fois dans l’histoire politique et artistique du moment. Cette exposition est aussi une manière de protester contre l’ « irréalisme » de l’art moderne et son caractère abstrait.

L’écho de l’exposition

La fréquentation de l’exposition est plutôt bonne (25 000 entrées payantes en quatre mois) alors qu’il s’agit d’une exposition érudite. Le catalogue de 1934 se vend bien (exception à la règle pour l’époque : il est richement illustré). Plusieurs éditions sont nécessaires pour répondre à la demande.
L’écho de l’exposition est énorme. Elle va influencer les jeunes peintres surtout : BALTHUS, DERAIN, LEGER, PICASSO, MAGRITTE…
La révélation de l’exposition est DE LA TOUR, à qui, des tableaux ont alors été récemment attribués. La réunion de onze de ces tableaux, au sein de l’exposition, montre au public ce maître jusque là oublié de l’histoire de l’art.

Le catalogue actuel contient le fac similé de l’exposition de 1934. Sa reproduction occupe l’essentiel du catalogue de 2007. Le catalogue de 1934 est complété par des notes qui font le point sur les avancées de l’histoire de l’art depuis 1934. On peut ainsi s’amuser, en le feuilletant, sur les changements d’attributions ou même des titres. Toutefois, la lecture du fac similé s’adresse plus à des passionnés de la peinture du XVII° siècle qu’au grand public.

En revanche, la reproduction des articles de critiques est intéressante. Elles sont révélatrices du contexte historique. Le génie de la « race » française est souligné, même si les références au CARAVAGE sont omniprésentes. On reconnaît ainsi que le « génie français » s’est nourri d’apports extérieurs et étrangers.
Certains critiques voient dans l’art réaliste du XVII° siècle la peinture du peuple. Ils opposent les tableaux de l’exposition à l’art de cour, produit à et pour Versailles.
D’autres critiques soulignent le manque d’unité de l’exposition. Ils dénoncent le concept « fourre-tout » du réalisme, qui amènent les organisateurs à présenter des œuvres très diverses.
Georges DE LA TOUR a bénéficié de l’impression de « déjà vu » du public concernant les Frères LE NAIN. Une exposition temporaire au Petit Palais, quelques mois plus tôt, avait, en quelque sorte, « doublé » celle de l’Orangerie. Une grande place est d’ailleurs faite, dans les critiques, à Georges DE LA TOUR. Elles soulignent l’originalité et les qualités de son œuvre. Le critique R. GALOYER y voit même « l’ancêtre du cubisme » !

L’exposition de 2007 diffère sensiblement de celle de 1934. 80 tableaux y sont exposés. Une place est faite aux tableaux, sélectionnés par Pierre GEORGEL, dont les auteurs auraient été influencés par l’exposition de 1934 : DENIS, PICASSO, LEGER, BALTHUS, BERARD, HELION, ainsi que plusieurs peintres des années 1930 qui furent fameux en leur temps. Il s’agit de montrer les consonances entre « peintres de la réalité » du XVIIe et du XXe siècle.

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