L’étymologie douteuse du mot religion, dont l’essence serait de relier, est en effet transposable dans la géopolitique. Mais comme il existe plusieurs religions, elle introduit une différenciation entre les groupes humains. En fait, de la différence à la défiance, de la défiance à la violence, le pas serait vite franchi. Pour autant, entendu dans sa globalité, le fait religieux pour ce qu’il représente, le fait de croire reste sans doute un des éléments les plus fédérateurs de l’humanité. Sur 7 milliards d’être humains, 6 sont croyants. Seuls des besoins vitaux, tels l’accès à l’eau, à l’électricité ou à la nourriture pourraient fédérer, peut-être, autant de vies humaines. Mais la prise en compte du fait religieux fait peur et introduit des facteurs transcendants, parfois inconciliables avec la raison. Cependant, mettre de côté les « religions » reviendrait à escamoter une partie de l’analyse du monde actuel.

L’auteur, Didier Giorgini, docteur en histoire, professeur en classes préparatoires, se livre, ici, à un exercice complexe.

En matière de religion, les temporalités ne correspondent pas à l’immédiateté de notre temps et de la surinformation actuelle. Le fait religieux se coule dans le cadre de la culture et des civilisations. Il ne peut s’appréhender que dans de ce que Fernand Braudel 1902 – 1985 qualifiait de « temps long ». Cette disposition n’est pas neutre et génère plusieurs effets fondamentaux pour comprendre la géopolitique du fait religieux. Pour les croyants, les événements constitutifs du fondement de leur foi conservent toute leur vivacité et leur actualité, bien que des siècles, voire des millénaires se soient écoulés : certains mouvements musulmans revendiquent ainsi le retour aux règles sociales et politiques du VIIème siècle. Pour les chrétiens catholiques et orthodoxes, l’Eucharistie renouvelle chaque jour l’unique sacrifice du Christ, datant, historiquement d’il y a deux millénaires. Côté géographique, les religions diffusent un message parfois ambiguë. Le monde serait hostile, voire rétif aux principes des traditions religieuses. Mais ce monde permet également de diffuser les croyances par le biais de supports informatiques tentaculaires (mails, réseaux sociaux, tv satellitaires). Par ailleurs, ce village monde n’est pas le même pour un catholique africain, un bouddhiste japonais, ou un musulman asiatique. En clair, ce mélange du local et du global, du particulier à l’universel peut déboucher sur de vives tensions ou des conflits armés lorsque l’enjeu est de convaincre l’autre ou de prendre, pour soi, le contrôle d’un territoire. La complexité de ce sujet mérite de nombreuses nuances et précisions. C’est pourquoi, cet ouvrage est axé autour des grands thèmes et enjeux du monde contemporain afin de voir, pour chacun d’entre eux, la porté du fait religieux.

Des dieux et des hommes

Dresser un tableau des religions dans le monde n’est pas chose aisée. La question des statistiques se pose. En effet, dans certains pays, la citoyenneté est lié à une appartenance religieuse, même si la question de l’adhésion personnelle ne rentre pas toujours en ligne de compte. Ailleurs, les statistiques se basent sur le nombre de personnes ayant reçu les rituels d’initiation d’une grande religion et non pas sur l’acceptation ou le refus de cet héritage. Certains États, comme la France ou les États-Unis d’Amérique ne procèdent à aucune statistique afin de garantir les libertés individuelles et seuls des sondages d’opinion existent. Enfin, d’autres pays rendent ces enquêtes difficiles pour des raisons idéologiques, comme la République populaire de Chine. Outre ces aspects, deux dualités sont à l’œuvre aujourd’hui : d’une part, les religions qui s’affirment en validant la pérennité d’un système suite à un schisme, d’autre part, la rupture avec le système institutionnel et l’annonce d’un retour aux sources, sorte de paradis perdu, comme le califat islamique prôné par Daesh par exemple. Le christianisme n’est pas en reste puisqu’il prétend incarner l’aboutissement du judaïsme, le protestantisme un retour aux temps évangéliques et l’islam chiite qui se présente comme la seule continuité véritable au sein de l’autorité musulmane.

Religions, territoires et identités

Chaque religion possède un espace dynamique. Dans ce cas, on a un représentation du monde montrant une juxtaposition de plusieurs grands espaces marqués par telles ou telles croyance. Pour faire court, nous serions face à un « monde chrétien », un « monde musulman » et un « monde asiatique » mais ce dernier centré sur un seul espace plus compact. Cette lecture s’approcherait de celle de Samuel Huntington Professeur américain de science politique 1927 – 2008. Publia Le Choc des civilisations issu d’un article, « The Clash of Civilizations » édité à l’été 1993 par la revue Foreign Affairs. Selon cet auteur, il faut désormais penser les conflits en termes non plus idéologiques mais culturels. Les attentats de septembre 2001 donnèrent à ce livre une résonance toute particulière. , à savoir des espaces de civilisations appréhendés comme des blocs. Et pour les religions « minoritaires » de même que pour les diasporas, quelques regroupements donnant l’idée d’un saupoudrage plus ou moins dense. Pour comprendre donc le lien entre territoire et religion, il faut adopter une lecture croisées des données : espaces, densité humaine, économie. L’omission de ces informations peut amener à une lecture biaisée des cartes et un contresens visuel : la Sibérie n’est pas totalement orthodoxe ni le Sahara totalement islamisé. La représentation de ces espaces peuplés ou une carte en anamorphose La cartographie en anamorphose a pour but d´adapter la forme de la carte non pas à la réalité physique mais plutôt à la réalité perçue peut être d’un grand secours.

Des lieux saints très disputés

Qu’est-ce qu’un lieu saint ? On pourrait avancer qu’il s’agit d’un endroit dans lequel est intervenue une manifestation considéré comme essence divine et dans lequel, les fidèles viennent chercher un ressourcement et éprouver la grâce. Ces endroits sacrés peuvent être polymorphes : soit liés à une tradition (Saint-Sépulcre), soit à des phénomènes surnaturels (Lourdes, Fatima, Medjugorge, Guadalupe), soit à des prescriptions édictées par les fondateurs des religions (Ayodhiya Nord de l’Inde). Ces lieux génèrent d’importants investissements, des flux humains (le Hadj pour la Mecque, Rome, ou le Maha Kumbh Mela Pèlerinage hindou tous les douze ans et montrent quels sont les centres ou symboliques des grandes civilisations. Mais ils sont également clivant lorsque revendiqués par plusieurs religions ou par plusieurs branches de la même religion. Si Jérusalem est un leu saint pour les trois religions du livre, il ne faut pas omettre que la basilique du Saint-Sépulcre est divisée en onze confessions chrétiennes qui s’affrontent régulièrement pour des questions de préséance ou d’occupation de telle ou telle chapelle.

Dieu et l’argent

Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. Malgré cette phrase de Jésus Évangile de Saint Luc, Max Weber 1864 – 1920. Économiste et sociologue allemand. Publia L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905) faisait du protestantisme un formidable accélérateur de la marche vers l’apparition du capitalisme. Il établissait, alors, un lien souverain entre religion et économie. De nos jours, les religions contribuent-elles à une ouverture économique du monde ou à son cloisonnement ? L’ouverture d’espaces dans le cadre de la mondialisation pose également une autre question, celle des relations comme facteur permettant de mieux comprendre la structure des espaces géoéconomiques du monde. En somme, y aurait-il des relations plus efficaces que d’autres du point de vue économique et ces différences expliquent-elles en partie les espaces et les réseaux de l’espace mondial ? Il faut considérer le grand retour de la question du religieux dans l’économie depuis une vingtaine d’années opéré par deux religions actuellement dynamiques : l’islam et le protestantisme évangélique. L’islam, dans sa réaffirmation, souhaite amender les principes du libéralisme et les adapter à ses prescriptions : dans la consommation avec le respect du halal, que de la finance avec la finance islamique. En revanche, le protestantisme évangéliste a accompagné l’affirmation du néolibéralisme dans les années 1980 et continue à contribuer à la validation morale de ses principes. Enfin, toutes les religions gérèrent des flux financiers liés à des réseaux d’entraide, à la circulation des pèlerins, à la vente d’objets, de produits dérivés, de livres, CD-ROM, etc. Autre possibilité, celle qui est offerte aux grandes organisations religieuses de disposer et de contrôler des sociétés et organismes financiers. Il s’agit d’une des attributions régaliennes du Saint-Siège, qui dispose d’une banque d’Etat et d’une pratique courante pour les Megachurches évangélistes. Ceci malgré le fait que la plupart des grands relations du monde ont cherché, très souvent, sinon à se détacher de l’usage de l’argent, au moins à tenter d’en proposer un usage dissocié de la notion de profit.

Davantage qu’un simple catalogue des géopolitiques de chaque religion, cet ouvrage propose une réflexion globale et s’attache à montrer quelles logiques sont à l’œuvre de même que les grandes dynamiques mondiales. De nombreuses cartes, très lisibles, viennent éclairer la lecture de ce livre percutant et pertinent. On appréciera, également, l’approche d’un contexte géopolitique récent qui nous permet de nous situer au cœur de la contemporanéité des problèmes actuels.

Bertrand Lamon, pour les Clionautes®