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« L’affaire du Dragon », du nom de la frégate affrétée par les autorités de l’île de France (actuelle Maurice) en 1792 afin de se procurer des vivres au Rio de la Plata, fournit l’occasion à l’auteur d’insister sur un aspect méconnu de l’histoire des Mascareignes : les relations entre l’île de France et la vice-royauté de la Plata. Il avait déjà traité, plus spécifiquement, de la question dans un récent livre édité en 2010 par L’Harmattan et consacré à « La Traite des Noirs entre l’océan Indien et Montevideo (Uruguay) », à la fin du XVIIIè siècle et au début du XIXè : il y montrait notamment que les négociants négriers de Buenos Aires et Montevideo montaient des expéditions vers l’Afrique orientale, en particulier l’île de Mozambique, et vendaient au chef-lieu de l’île de France les produits des provinces espagnoles d’outre-Atlantique indispensables au calfatage des bateaux.
Au début des années 1790, l’île de France est menacée par une terrible famine : la production locale de blé, destinée à la consommation des gens aisés, est désorganisée par l’épidémie de variole qui sévit dans l’île ; par mesure de protection, l’île Bourbon, qui ravitaille traditionnellement sa voisine, coupe toute communication ; quant au traditionnel fournisseur indien, le sultan de Mysore, il est en guerre contre les Anglais et ne peut donc ravitailler Maurice. Il faut donc trouver une autre source d’approvisionnement.
Comme il était déjà arrivé aux autorités de l’île, dans un récent passé, d’aller chercher des vivres au Rio de la Plata pour suppléer aux pénuries consécutives aux ravages des cyclones, le comte de Malartic, nouveau « gouverneur général des établissements français à l’est du Cap de Bonne-Espérance », envoie donc en mission à Montevideo la frégate « le Dragon », commandée par le capitaine Alexandre Duclos-Guyot, parfait connaisseur de la route.
Une fois arrivé à destination, l’équipage doit affronter une série d’ennuis : le navire est immobilisé dans le port de Montevideo et surveillé par les autorités locales qui soupçonnent l’équipage de vouloir se livrer à de la contrebande. Le vice-roi prétexte une pénurie pour ne pas donner suite à la livraison de blé escomptée par l’équipage, ce malgré l’insistance de Duclos-Guyot.
Les événements s’aggravent avec l’entrée en guerre de l’Espagne contre la France en mars 1793 : dès lors, tout commerce avec les Français et toute aide à leur égard sont prohibés tandis que leurs navires doivent être confisqués à leur entrée dans les ports espagnols. L’équipage du Dragon est donc traité en ennemi : il est mis en état d’arrestation et le navire est saisi. Malgré l’état de guerre entre la France et l’Espagne, les prisonniers ne sont pas soumis à une surveillance contraignante. Mais en mars 1795 Alexandre Duclos-Guyot est dénoncé par un esclave l’accusant de préparer l’invasion du territoire par une escadre française. Le vice-roi Arredondo prenant l’affaire au sérieux, une enquête est lancée, qui n’aboutit toutefois à rien de tangible contre les accusés.
La paix retrouvée entre les deux pays met rapidement un terme à l’affaire, sans que l’équipage soit pour autant lavé des soupçons qui pesaient sur lui, notamment sur la question de la contrebande, à laquelle Jean-Pierre Tardieu ne croit d’ailleurs pas. Alexandre Duclos-Guyot va dès lors s’atteler à retrouver son honneur passablement écorné et à récupérer le Dragon. Or, indique l’auteur, « en octobre 1797, un ordre supérieur prouve que le navire faisait partie de la marine royale espagnole […]. La restitution ne s’était pas produite, peut-être avec l’accord de la France, désireuse de participer ainsi à la protection des territoires ultra-marins de son alliée » (p. 157). Et il faut attendre 1799… pour que des vivres soient enfin envoyés à destination de l’île de France !
Dans les années 1800, le capitaine Duclos-Guyot effectue plusieurs allers-retours entre la France et le Rio de la Plata où il participe notamment à la lutte contre les Anglais, aux côtés de Jacques de Liniers. On ne sait ce qu’il advint du procès qu’il avait souhaité engager en Espagne pour faire valoir ses droits qu’il estimait avoir été bafoués par les autorités de Buenos Aires et de Montevideo. N’ayant pu obtenir des autorités espagnoles de s’installer en Uruguay, Alexandre Duclos-Guyot « en fut réduit à se battre au sein des troupes d’occupation françaises en Espagne où il disparut de façon anonyme » (p. 187).
Voilà donc résumée, à gros traits, une affaire au demeurant fort mince, et guère « surprenante » au fond, qui entremêle diverses thématiques intéressantes : le destin d’un officier de la marine royale française impliqué dans les relations entre deux espaces coloniaux dans un double contexte de guerre et de troubles révolutionnaires ainsi qu’un aperçu du fonctionnement de l’administration de la vice-royauté du Rio de la Plata, récemment créée, face à des étrangers suspectés de contrebande et de menées subversives. L’auteur tente, globalement, d’éclairer ces questions et de remettre en cause quelques hypothèses avancées par une vieille historiographie argentine. Toutefois, en choisissant d’être au plus près de ses archives, il témoigne d’un souci parfois excessif du détail qui peut rendre confus l’exposé de certains faits. En outre, en l’absence d’une problématique forte, on se rend très vite compte que l’ouvrage ne parvient guère à dépasser la dimension anecdotique. Enfin, on pourra reprocher à l’auteur d’avoir, à la page 65, laissé passer deux erreurs non négligeables concernant la chronologie de la Révolution française : placer le début de la monarchie constitutionnelle en mai 1789 et proclamer la République le 17 juillet 1791…
Compte-rendu par Philippe Retailleau, La Réunion