Patrick Levaye est un haut-fonctionnaire qui a servi dans différents ministères et secrétariats d’Etat, dont celui des anciens combattants, où il fut directeur de cabinet de H.Mekachera. N’ayant suivi aucune formation spécifique en géographie, l’auteur, botaniste d’abord puis énarque, rédige ici un ouvrage de géopolitique portant sur le catholicisme. Membre de l’Ordre de Malte, il met en exergue une phrase prononcée par Benoît XVI dans son message de Noël 2005 : « Eveille-toi, homme du troisième millénaire. »

Le manuel se divise en quatre parties de tailles très inégales. La première partie est un ensemble hétéroclite de sept fiches faisant chacune le point en quelques lignes sur des sujets très variés. Patrick Delvaye rappelle par exemple le rôle de Grégoire le Grand dans la prise en compte de la dimension politique du pouvoir pontifical, osant même faire un parallèle avec l’Eglise d’aujourd’hui, dont la vocation doctrinale serait la principale préoccupation. L’autorité papale s’étend sur une grande partie de la péninsule italienne avec la « conquête » de l’exarchat de Ravenne au VIIIe siècle. Les réformes, protestantes et catholiques, sont entr’aperçues sous l’angle politique. L’Eglise contemporaine est marquée par son entrée dans le modernisme sous Léon XIII, par la controverse sur son silence face au nazisme et par la forte personnalité de Jean-Paul II.

La deuxième partie envisage de varier les échelles géographiques et d’étudier d’abord les problématiques mondiales puis les questions propres à chaque continent. Parmi les grands thèmes auxquels le catholicisme est confronté à l’échelle planétaire, on trouve aussi bien la question des liens entre religion et sphère privée ou la défense de la paix que le dialogue interreligieux ou le rapprochement avec Israël. L’identité catholique des Princes de Monaco et du Liechtenstein et l’attrait pour la citoyenneté de ces deux Etats sont mis en parallèle, même si l’auteur reconnaît que cet attrait est lié à « des raisons qui ont peu à voir avec les religions ». Il pourra aussi s’étonner de la défense de la ligne ratzingerienne du dialogue interreligieux par l’auteur, qui semble approuver à plusieurs reprises le renforcement de l’identité catholique exhorté par le pape actuel et espérer ainsi un éclaircissement du message. Il interprète ainsi le succès relatif des « courants les plus traditionnalistes et les plus rigoristes » qui « allient (…) la clarté du message et le souci d’un fort accompagnement de la personne tout au long de sa vie spirituelle ». Dans le cadre du dialogue avec le judaïsme initié par Jean XXIII, Patrick Levaye souligne le rôle central de Jean-Paul II.
Les réalités locales sont vues à l’échelle continentale. L’auteur voit dans l’Europe « un vieux continent qui semble s’éloigner à regret du catholicisme ». Il espère ne pas rester dans une pensée trop française, et donc influencée par un « anticléricalisme (…) toujours prompt à renaître » et par un « gallicalisme (…) jamais très loin non plus », et propose d’interpréter les ralentissements de la construction européenne comme une conséquence, évidente et incompréhensible, de l’héritage chrétien du continent. Après avoir vu le renouveau des Eglises de l’ancien bloc de l’Est, Patrick Levaye souligne les particularités du cas français où les conflits sourds entre « conservateurs et conciliaires » auraient remplacé l’opposition entre gallicanisme et ultramontanisme. Il dresse ensuite quelques constats rapides sur la place de l’Eglise catholique en Allemagne, sur laquelle Benoît XVI veille à une « indispensable » « voie à la fois médiatrice entre les différents courants et intransigeante sur les aspects humains », en Italie, où « la proximité papale » cache une diversité qui empêche d’avoir une « stratégie d’ensemble », dans la péninsule ibérique, avec une Espagne encore très catholique mais à un stade charnière et un Portugal au concordat rénové en 2004. Le catholicisme irlandais semble avoir surmonté les scandales pédophiles, tandis que dans les pays de tradition protestante, les conversions se multiplieraient comme l’illustre le cas suédois du pasteur luthérien Stan Sandmark, converti au catholicisme en se rapprochant des traditionnalistes, signe selon l’auteur du besoin d’une « organisation structurée et hiérarchisée ».
En Amérique, le catholicisme « joue son avenir », même si son « annonce » semble « difficile ». Pourtant, l’Eglise catholique est « très présente dans les établissements, (…) par l’intermédiaire des aumôneries ou, ce qui est si difficile en France, grâce à des professeurs explicitement catholiques ». Alors qu’aux Etats-Unis, le catholicisme reste minoritaire, il jouit de la religiosité régnant dans l’ensemble du pays. Alors que la question des scandales pédophiles était évoquée pour l’Irlande, elle est cette fois passée sous silence, bien qu’elle apparaisse essentielle ici. L’auteur rappelle ensuite le poids démographique que l’Amérique Latine pèse dans la population catholique mondiale et l’importance grandissante dans la région au sein du collège des cardinaux. Il tait en revanche la persistance de la sous-représentation du continent dans le même Sacré-Collège. Le catholicisme s’y trouve confronté à des situations nationales particulières, mais surtout à la montée en puissance de nouvelles religiosités. La place de l’Eglise dans les débats sociétaux (divorce au Chili, avortement et enseignement religieux au Mexique) et ses divisions internes (exemple de la communauté traditionaliste de Campos au Brésil) sont posées.
L’Afrique est présentée comme une autre terre d’avenir pour la religion catholique. Pour le Rwanda, l’auteur souligne l’incapacité de l’Eglise à endiguer le génocidaire, mais passe sous silence la participation active et mobilisatrice de quelques hommes d’Eglise dans ces massacres. Le cas soudanais ne fait l’objet que de trois paragraphes rapides et peu propices à saisir la situation dans sa complexité. Les questions de l’école et de la famille sont en revanche étudiées plus longuement dans le cadre africain. On s’étonnera du rapide zoom proposé sur l’acculturation africaine de la liturgie romaine, alors que ce type de gros plan est absent pour les autres régions du monde.
L’auteur consacre à l’Asie plus de 20 pages, Moyen-Orient compris, là où il n’en avait écrit que 5 sur l’Amérique Latine, qui regroupe pourtant près de la moitié des catholiques. Il est vrai que l’Asie représente un ensemble régional à enjeux pour l’Eglise. A la complexité des christianismes précoces du Moyen Orient s’ajoute la diversité de la situation du catholicisme dans chaque Etat. Alors qu’au Liban, les catholiques apparaissent incontournables, ils sont très minoritaires en Irak. Contestés en Turquie, réduits à la portion congrue dans la péninsule arabique, les catholiques assistent, impuissants spectateurs, au déchirement israélo-palestinien. Le défi de l’Asie orientale est tout autre. Il est d’abord celui de l’acculturation. La difficile situation chinoise bénéficie d’une rapide analyse, ainsi que celle, moins médiatique sans doute, de l’Eglise vietnamienne, dynamique mais au pouvoir strictement limité. Aux Philippines, le catholicisme constitue un partenaire incontournable, malgré la séparation constitutionnelle de l’Eglise et de l’Etat. Les catholiques indiens, aux rites divers, doivent subir les soupçons et les agressions des extrémistes hindous. A signaler enfin que l’auteur fait un rapide tour d’horizon du catholicisme océanien.

Dans une troisième partie, Patrick Levaye tente de dresser un aperçu des moyens d’action en posant d’abord la question de l’institution et de la hiérarchie. Il estime que le système romain a su évoluer constamment contrairement à l’image habituelle de « quintessence du conservatisme » et reconnaît le rôle de Vatican II dans l’ouverture au monde. Il rappelle longuement (et maladroitement) la structure ecclésiale. L’auteur croit bon de signaler que les diocèses « ne forment pas des entités à part » et existent en communion les uns des autres, mais oublie de dire que l’évêque est le seul chef de l’Eglise locale qui lui doit à lui et à lui seul obéissance. Les diacres sont décrits comme de simples palliatifs au manque de prêtres, propos éloignés de la réalité locale et surtout des constitutions conciliaires. Le rôle des laïcs est abordé, mais uniquement à travers une certaine réalité française.
La doctrine est ensuite envisagée comme un des moyens d’action de l’Eglise catholique. Ainsi, la doctrine sociale serait-elle davantage un media qu’un objectif. Dans les trois pages que l’auteur consacre à cet aspect, la notion de prêtre-ouvrier n’apparaît pas, pas plus que le nom de l’abbé Pierre, d’Emmaüs ou du Secours Catholique, celui de Vincent de Paul est cité mais il faut attendre les lignes consacrées aux ordres religieux pour voir apparaître une mention de la conférence qui porte son nom. L’auteur souligne pour le C.C.F.D. que l’image a été « ternie par un trop fort engagement politique dans les pays en voie de développement », sans dire que les attaques dont le Comité fut l’objet provenaient, dans les années 1980, d’une droite française particulièrement dure à l’encontre de l’épiscopat. En revanche, Patrick Levaye consacre une page entière à l’Ordre de Malte, auquel il appartient. Il relève quelques opérations remarquables des Œuvres de l’Ordre, mais reste succinct sur le rôle diplomatique et géopolitique du même Ordre.
La position politique de l’Eglise connaîtrait un renouveau depuis quelques décennies. Certes le message désormais éclairé de l’Eglise est parfois mal perçu, mais Patrick Levaye souligne que « les médias entretiennent la confusion ». Il perçoit l’implication politique du Vatican comme un message adressé à chaque catholique de défense de valeurs pacifistes, même si la diplomatie vaticane n’a guère connu de succès manifeste sur ce terrain (p.131). Pour la première fois de l’ouvrage apparaît une première problématique qui pourrait aider à traiter un sujet comme celui de l’ouvrage : l’Eglise entre individualités et diplomatie !
La diversité de l’Eglise constituerait un autre moyen d’action, et serait même encouragée. Cependant, l’auteur se félicite de l’interprétation que Benoît XVI fait de Vatican II et particulièrement des limites aux dérives qui aurait amené à une confiscation du concile par quelques groupes, sans s’appuyer sur aucune donnée précise et surtout sur aucune décision conciliaire. Les pages consacrées aux ordres religieux étonnent par l’absence des ordres mendiants ou d’ordres nouveaux, à vocation œcuménique (Taizé ou Bose par exemple), charismatique ou plus « traditionnels » (Fraternités monastiques de Jérusalem). Si on ne peut que rester circonspect devant les propos sur l’Opus Dei, victimes de médisances de la part d’Etats marxistes ou totalitaires et de catholiques ultraconservateurs, on peut apprécier en revanche le fait de consacrer quelques lignes, malheureusement bien timides, aux légionnaires du Christ, véritable armée de conversion.

La quatrième partie s’attarde sur la vision que l’Eglise a de sa place dans le monde contemporain. L’auteur définit d’abord la mondialisation comme « ni plus ni moins, (…) l’accaparement du monde par le mode de vie productiviste occidental ». La position sociale, humaniste et solidaire de l’Eglise est soulignée. Le rôle de conscience morale dans les débats sociétaux est rappelé. L’importance donnée aux jeunes fait l’objet d’une page, alors que dans la deuxième partie du pontificat polonais, les Journées Mondiales de la Jeunesse ont probablement joué un rôle essentiel de cohésion géopolitique de la jeunesse occidentale, assurant en outre une fonction de découverte et de compréhension mutuelle. Le dialogue interreligieux arrive tardivement, occupant les 5 dernières pages de la dernière partie. Il est clair que ce dialogue, loin d’être une forme perfide de prosélytisme, est l’occasion de « connexions avec l’action diplomatique internationale de la secrétairerie d’Etat ».
Dans sa conclusion, Patrick Levaye tente une rapide analyse de la personnalité si complexe de Benoît XVI. La réserve est de rigueur sur l’image d’un « pape conservateur mais qui n’hésite pas à mettre l’Eglise sur le chemin de la modernité ». L’auteur évoque la nomination de liturgistes proches des « conceptions » du pape, mais ne précise pas l’éloignement de Mgr Piero Marini, ancien cérémoniaire du pape, accusé d’être trop ouvert aux courants innovants de la recherche liturgique.
Cet ouvrage ne cesse de laisser le lecteur mal à l’aise. Intitulé « Géopolitique du catholicisme », il n’y est jamais question de géographie. L’auteur fait certes le tour du monde, mais de façon anecdotique, multipliant les rappels historiques laborieux et évitant les véritables analyses des rapports de forces. Aucune carte, graphique, tableau statistique ne viennent appuyer son propos, ce qui gêne a priori mais rassure a posteriori, tant on aurait pu craindre le pire au vu de ce que l’auteur a écrit. L’ouvrage mériterait beaucoup d’éclaircissements : si Patrick Levaye ne se cache pas publiquement d’être membre de l’Ordre de Malte, cela n’est jamais dit dans l’ouvrage, pas même en 4e de couverture ; ses propos cachent mal sa sympathie pour des courants conservateurs de l’Eglise et son mépris pour les progressistes et pour la laïcité à la française ; la structure de l’ouvrage aboutit à l’accumulation de fiches rapides sans approfondissement ni méthode, malgré un style simple et pas trop désagréable à lire ; la présentation caricaturale des courants du catholicisme dessert la cause qu’il entend servir et donne du grain à moudre à ses ennemis.

Ce livre sera à éviter par les lecteurs recherchant une grille de compréhension et des pistes de réflexion sur la place et des défis géopolitiques du catholicisme.

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