Géopolitique d’une planète déréglée, paru en octobre 2017, ne fera pas plaisir à ceux qui cultivent le déni à propos des mutations climatiques de la planète. En même temps, je crois qu’ils ne le liront pas. De même que je lirai pas les productions climatosceptiques de l’Institut Hayek où le GIEC est systématiquement remis en cause (1).
L’auteur de ce livre, Jean-Michel Valantin, est un spécialiste de géopolitique et d’études stratégiques qu’on peut lire souvent dans la revue Diplomatie, avec une connaissance approfondie des problèmes militaires, issue de sources essentiellement anglo-saxonnes (Michael Klare, Jason Burke, de nombreux rapports internationaux). Très investi dans la promotion de solutions d’anticipation du changement climatique, il est inclus dans l’équipe d’un think tank, le Red Team Analysis Society. Autant le savoir avant d’ouvrir l’ouvrage.

Valantin se propose de faire une sorte d’état des lieux du globe fin 2017, avec les conséquences de l’anthropocène, mot et « maux » du siècle à venir. Le concept, forgé par le chimiste hollandais Paul Crutzen en 2000, est la cible de nombreuses critiques. Ce ne serait pas un âge géologique à proprement parler, comme l’holocène ou le pléistocène. « Arguties ! » comme dirait l’autre. Le fait est que, depuis une centaine d’année les activités humaines ont un impact immédiat, rapide et exponentiel sur la planète. Au temps long de la géologie répond le temps rapide des Hommes….un éclair, une étincelle. Prête à s’éteindre d’ailleurs ?
Il sera difficile de trouver du réconfort ou de quoi sourire dans ce livre, divisé en huit chapitres. Le premier montre l’origine du mal (des maux, donc) : l’âge industriel et, surtout à partir de 1914-1918, l’hybridation entre le fait militaire et les ressources planétaires, qui sont mises à disposition pour gagner la guerre, dans une logique Clausewitzienne. Les guerres modernes menées depuis cette période aboutissent en effet à des transformations majeures qui impactent non seulement les sociétés, mais aussi l’écosphère. Un des premiers acteurs de ces guerres modernes qui mènent à la « guerre de tous contre tous » (« bellum omnium contra omnes », Thomas Hobbes, Le Léviathan, 1651) sont les États-Unis. Ils apparaissent dans le second chapitre, « le Janus américain ». Il y a en effet un paradoxe étasunien. D’un côté nous avons un pays qui mène une guerre quasi-permanente pour le pétrole (lire aussi Or Noir, de Matthieu Auzannneau, La Découverte, 2015) et qui cherche à repousser à tout prix les limites de la croissance (limits to growth, concept forgé par Denis Meadows en 1972 avec le Club de Rome). D’un autre côté, nous voyons un pays qui subit les effets de l’anthropocène de façon décuplée depuis 2005 : inondations, incendies monstres, tempêtes de sable etc. Le moindre des paradoxes est d’avoir à la tête de ce pays un climatosceptique assumé, Donald Trump, et une armée américaine qui elle, depuis 2003, réfléchit aux façons d’anticiper le changement climatique. Le déni de Trump d’un côté, le pragmatisme réaliste de James Mattis, secrétaire à la Défense, de l’autre.

Les États-Unis ne sont pas les seuls à chercher à repousser les limites de la croissance. Dans les chapitres 3 et 4 Jean-Michel Valantin analyse les stratégies des Russes et des Chinoises, les premiers profitant de la fonte de la banquise arctique, les seconds occupés à l’achèvement de la nouvelle route de la soie (yidai jilu, la ceinture, la route), dont fait partie la stratégie désormais connue du « collier de perles ». Les effets de l’anthropocène sont totalement intégrés et compris par ces deux acteurs, qui essaient d’en tirer le plus gros parti, tout en essayant d’en limiter les effets. C’est notamment le cas de la Chine qui essaie de réduire les pollutions et dégradations environnementales qui touchent le pays. Ce qui explique que la Chine se présente désormais, depuis, la COP 21, comme un des premiers acteurs de la lutte contre le réchauffement climatique. Mais là encore, comme pour les États-Unis, il y a un côté Janus.

A mon avis, les chapitres 5, 6 et 7 sont les plus prenants du livre. Ils traitent du concept d’hypersiège, de la subversion de l’état et des guerres d’effondrement. L’hypersiège ce sont des régions, des pays entiers, assiégés par les forces climatiques d’une planète déréglée. Une « armée » qui dispose de temps et qui sape tout effort de résilience. De nombreux pays sont touchés par cet hypersiège climatique, notamment en Asie, avec l’exemple du Bangladesh. Il est édifiant. Le pays subit de nombreuses agressions climatiques avec des catastrophes à répétition qui affectent les moyens de production agricoles et aggravent les tensions au sein des populations bangladeshis. Or c’est dans ce pays déjà saturé de problèmes graves que se dirigent les réfugiés Rohingyas depuis 2017. Car ce que montre Valantin, c’est que la dégradation des conditions de vie liées aux impacts négatifs de l’activité humaine, avec notamment un défi agricole majeur rendu difficile par les longues périodes de sécheresse, débouche sur une remise en cause et une subversion de la notion même d’État.

Devenu incapable d’assurer un minimum de bien-être et de sécurité pour sa population, l’État s’effondre, se délite, est remplacé par des pouvoirs locaux qui s’arrogent le monopole de la violence qui, normalement, doit être détenu par l’État. Dans ces États, les solutions pour les habitants deviennent cornéliennes : partir ? Exercer la piraterie maritime ? Devenir membre des Shebabs ou de Boko Haram ? La plupart du temps, c’est surtout subir. La majorité subit, les autres mènent ce que Valantin appelle les guerres d’effondrement (avec une référence appuyée à Jared Diamond), c’est à dire des guerres ou la possibilité de résilience ou de renouveau est régulièrement anéantie par une poursuite du conflit. La guerre de Syrie, la guerre en Irak, la lutte en Égypte contre les forces irrégulières islamistes sont des guerres d’effondrement, mais avec trois cas de figure : pour la Syrie, l’effondrement est présent avant la guerre, avec une grave crise agricole à partir de 2007. La guerre sans fin qui s’ensuit n’est que le prolongement de l’effondrement. Pour l’Irak, la guerre déclenche, à partir de 2014, l’effondrement. Enfin pour l’Égypte la guerre est une réaction aux risques d’effondrement que représenterait la subversion du gouvernement égyptien qui représente toujours un pôle de stabilité dans la région.

Après toutes ces réjouissances, que faire ? Jean-Michel Valantin propose d’envisager une « grande bifurcation », avec la fin du déni et la prise en compte des risques liés aux dégradations écologiques à venir. « Gouverner, c’est choisir » disait Mendès-France. Ici, ce serait plutôt « anticiper, c’est gouverner ». Valantin évoque notamment les Émirats Arabes Unis qui ont identifié depuis de nombreuses années les menaces à long termes qui pèsent sur eux et qui préparent activement l’après-pétrole. Nous terminons le livre par deux scénarios opposés : celui d’une guerre d’effondrement généralisée, rendue d’autant plus mortelle par l’existence des armes nucléaires de part et d’autre, et celui d’une alliance stratégique mondiale pour limiter les effets néfastes de l’anthropocène.
Une dernière petite lueur d’espoir pour éviter des avenirs à la Mad Max ?

Mathieu Souyris
Lycée Paul Sabatier
Carcassonne

(1) Un des paradoxes du GIEC c’est qu’il a été crée à l’intérieur du G7 sous la pression, entre autres, de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher en 1988 afin de ne pas donner trop de pouvoir aux experts issus de l’ONU soupçonnés alors de militantisme écologique. Trente ans plus tard le GIEC a su imposer son autorité, son indépendance et son expertise, et cela malgré les critiques climatosceptiques (voir les caricatures anti-GIEC sur le site contrepoints.org).