Cet ouvrage est la réédition en poche de la nouvelle édition de 1994 – revue et augmentée, établie d’après les archives du président (1969-1974) – d’une biographie initialement publiée en 1984. Son auteur, Éric Roussel, historien et journaliste, qui avait consacré sa thèse à la présidence Pompidou, et a depuis publié, entre autres, deux importantes biographies de Jean Monnet et de Charles de Gaulle, nous livre ici une biographie classique, solidement appuyée sur une copieuse bibliographie (qui s’arrête en 1991), de nombreux entretiens et l’utilisation abondante des archives de la Présidence, particulièrement pour les questions européennes et internationales.

Les sept premiers chapitres s’attachent à retracer l’ascension de ce petit-fils de paysans auvergnats et fils d’instituteurs socialistes (en particulier son père) jusqu’aux fonctions de Premier Ministre. Georges Pompidou apparaît comme un pur produit de la méritocratie républicaine : études au lycée d’Albi (où il obtint en 1929 le premier prix de version grecque au concours général), hypokhâgne au lycée de Toulouse (où il put entrer grâce à une bourse), khâgne à Paris au lycée Louis le Grand. Il est à l’époque socialiste, mais non marxiste. 8e au concours d’entrée à l’École normale supérieure en 1931, premier à l’agrégation de lettres classiques en 1934, professeur (sans enthousiasme) d’abord au lycée Saint-Charles de Marseille puis en 1938 au lycée Henri IV de Paris. C’est aussi un lettré dilettante et mondain, socialiste mais non marxiste, probablement attiré un temps par le néo-socialisme de Déat. Pendant l’Occupation, il est anti-nazi, “ de cœur avec les gaullistes mais respectueux du gouvernement de son pays ” et ne s’engage pas dans la Résistance.

À rebours de l’anecdote selon laquelle, en 1945, de Gaulle, en quête d’un “agrégé sachant écrire” dans son cabinet de chef du gouvernement, aurait requis ses services, Eric Roussel montre que c’est Pompidou qui, lassé de l’enseignement, prend l’initiative de se faire recommander auprès d’un de ses anciens condisciples de khâgne, René Brouillet, pour changer d’orientation. Il devient chargé de mission au cabinet du Général, puis son chef de cabinet en 1948 et ainsi un des personnages clefs du R.P.F. ourtant il songe aussi à changer de voie : les années 1950 sont pour lui celles d’un balancement permanent entre le privé et le public, entre le rôle d’éminence grise et celui du financier. En effet il entre en 1953 à la banque Rothschild, dont il devient vite directeur et homme de confiance du baron Guy. Il côtoie alors le Tout-Paris, et ne semble pas songer à une carrière politique, même s’il reste en contact étroit avec de Gaulle, qui le rappelle pour diriger son cabinet en 1958. Mais il revient à la banque Rothschild en 1959, tout en ayant été nommé au Conseil constitutionnel et secrètement chargé de la liaison avec le G.P.R.A, et publie en 1961 son anthologie de la poésie française. En juin 1961 il refuse le portefeuille de ministre des Finances, aspirant à celui de Premier Ministre qu’il obtient en avril 1962.

Les huit chapitres qui suivent dépeignent le Georges Pompidou Premier Ministre puis candidat à la présidence de la République. Éric Roussel montre bien les difficultés qu’eut à affronter le nouveau Premier Ministre, inconnu d’une grande partie des Français, ni parlementaire ni gaulliste historique : tensions avec sa majorité (en particulier la rivalité avec Giscard d’Estaing) ; décisions du Président (l’exécution du général Jouhaud, évitée par Pompidou, ou l’élection du président au suffrage universel direct par exemple) ; conséquences nationales de questions internationales (les attentats de l’OAS) ; problèmes sociaux (la grève des mineurs de 1963, la participation gaulliste qui ne l’enthousiasme pas). Les succès sont aussi soulignés, en particulier le renforcement de la fonction de chef de gouvernement (Pompidou étend chaque fois qu’il le peut ses attributions), la politique industrielle, l’aménagement du territoire.

Si Pompidou apparaît comme le dauphin (il reprend en main l’U.N.R, place ses hommes, essaye de limiter l’influence de VGE), les choses se gâtent à partir de la présidentielle de 1965 et surtout des législatives difficiles de 1967, qui lui permettent de sauver son poste, grâce à la défaite du ministre des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville que de Gaulle voulait nommer à sa place. S’ouvre, avant l’élection à la présidence de la République, une période de “ sursis ” et de “ tourmente ”, selon les mots d’Éric Roussel, marquée par la dégradation de la situation économique et sociale ; la crise de mai 1968 (longuement détaillée), pendant laquelle G. Pompidou tient les rênes mais qui marque la rupture du lien avec de Gaulle, et après laquelle il démissionne ; l’affaire Markovic (longuement détaillée aussi) enfin qui le blesse profondément et l’éloigne encore plus du Général. Pour finir, Éric Roussel rappelle à quel point la campagne présidentielle s’apparenta, de la part de Pompidou face à Alain Poher, à un combat pour la sauvegarde des institutions mises en place en 1958.

On regrettera juste que, sur toute cette période 1958 -1969, l’ouvrage n’ait pas été réactualisé en intégrant les apports de la recherche historique, en particulier les nombreux colloques organisés par l’Association Georges Pompidou ou des ouvrages postérieurs à l’édition de 1994. Cette remarque concerne aussi les treize derniers chapitres, consacrés à la présidence de Georges Pompidou de 1969 à 1974. On y saisit cependant bien les tensions croissantes et les dissensions entre le Président et son Premier Ministre Jacques Chaban-Delmas, et l’omniprésence du Président hors de son domaine réservé, même si Éric Roussel souligne que “si les pouvoirs de Jacques Chaban-Delmas sont réduits à la portion congrue, la plupart des ministres voient, eux, leurs prérogatives respectées” (p. 419) et décrit un Président qui surveille et accepte le débat.

Mais si des développements assez longs sont consacrés à la politique intérieure et à la modernisation industrielle, on reste un peu sur sa faim : le contexte économique, social et culturel de l’époque , la transformation du pays apparaissent moins (peut être faute d’une recherche historique pas encore assez développée en 1994), ce qui ne permet pas de bien comprendre (autrement que par l’influence de la maladie, pudiquement évoquée, et le rejet de la période Chaban) le tournant vers l’ordre adopté avec le choix de Pierre Messmer comme Premier Ministre. L’impression très nette est que l’effort de réactualisation de l’ouvrage à l’aide des archives de la Présidence a porté essentiellement sur la politique européenne (Pompidou est soucieux de préserver une Europe des nations souveraines , même s’il croit à long terme à la supranationalité, et de favoriser l’essor économique de la C.E.E.) et la politique internationale (où il est soucieux d’arrimer la RFA à l’Ouest, de maintenir l’équilibre entre les deux Grands et l’indépendance de la France, de préserver l’Europe de l’Ouest du communisme). En effet ces archives sont très longuement citées lorsqu’il s’agit de rencontres avec les dirigeants d’autres puissances (Brandt, Heath, Nixon, Kissinger, Brejnev, Khadafi, Mao) et, par exemple, un chapitre entier est consacré au sommet des Açores de 1971 sur les questions monétaires internationales. Elles ont le mérite de nous faire entrer au coeur des processus complexes de décision, mais, donnant aux questions internationales une sur-représentation, masquent la modernisation intérieure du pays sur tous les plans.

Au final, il s’agit d’une biographie importante, sans doute la plus complète à ce jour, mais qui gagnerait à intégrer les récents apports de la recherche historique, en particulier en matière de politique intérieure. Dans notre enseignement quotidien, on s’intéressera beaucoup aux archives longuement citées, dans le corps de l’ouvrage et dans ses annexes (où l’on trouve aussi un portrait de Pompidou professeur à Marseille, la composition détaillée des gouvernements de 1962 à 1974, des lettres sur l’enseignement et l’affaire Markovic), des entretiens internationaux sur la construction européenne, qui peuvent fournir un certain nombre de textes utilisables en Terminale.

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