Compte-rendu de Jean Philippe Raud Dugal , professeur lycée Edmond Perrier à Tulle
Gérard Dorel choisit de définir dans sa préface l’hyperpuissance américaine dont Hubert Védrine, ancien Ministre des affaires étrangères, a usité le terme pour le recueil de ses discours du temps ou il avait la charge de la diplomatie française. Ses fondements sont à chercher du côté de ses mythes fondateurs, de sa puissance technologique,… Ils doivent pour rester cette hyperpuissance, combiner, selon l’auteur, des objectifs contradictoires à savoir conserver une place éminente en Europe, « lieu privilégié de l’influence économique et culturelle » (p.9), en même temps que repenser leur influence en Amérique Latine (Voir la conférence de F. Leriche et M. Guibert à St Dié qui confirme cette thèse) et leur attitude vis-à-vis de la Chine sans oublier les besoins en pétrole alimentant des enjeux géopolitiques et géostratégiques majeurs.
La première partie, « La construction d’un Empire » propose une partie historique développée autour de ces problématiques. Puissance qui se veut dès l’origine anti-impérialiste puisque étant elle même une ancienne colonie, ce titre peut surprendre mais il se veut une analyse de la réalité qui fait fi des discours officiels.
Cet impérialisme est contenu en germe dans la conquête de l’Ouest américain (une carte supplémentaire sur l’expéditions du Corps de la Découverte à partir de 1804 menée par Lewis et Clark aurait était un plus incontestable). Le but est de gagner en influence essentiellement sur le continent américain. Dans ce contexte, la construction du Canal de Panama peut être « conçu comme une élément essentiel du dispositif de défense des Etats-Unis ». A partir de 1898, le Pacifique devient progressivement le terrain de jeu privilégié de sa puissance. Les différentes guerres lui permettront de rayonner à 360°. Enfin, la Guerre Froide lui permet d’étendre son influence avec un système d’alliance de plus en plus élaboré.
Gérard Dorel entreprend ensuite d’étudier les fondements géopolitiques, géostratégiques et géo-économiques de l’hyperpuissance américaine. Cette partie, « Puissance du business et séduction du modèle » est entamée par l’étude du RNB et de la puissance technologique. « C’est leur capacité à trouver de nouveaux produits et à les diffuser à l’échelle mondiale quitte à en abandonner rapidement la production à d’autres » (p.23) qui fonde la stratégie économique mondiale des Etats-Unis. Cette capacité est largement liée aux très nombreux prix Nobel obtenus par les chercheurs étasuniens (nous l’avons encore remarqué avec une grande acuité cette année encore). L’auteur prend ensuite de nombreux exemples des réussites de l’industrie américaine pour corroborer ses dires. Il en conclu à une redistribution du territoire même si on peut regretter qu’il n’ait pas fait mention des difficultés des industries sidérurgiques et, surtout, automobiles. Gérard Dorel insiste ensuite sur la façon dont le credo libre échangiste est appliqué dans le monde sous la forme d’accords multilatéraux (ZLEA [en latence depuis l’échec des négociations fin 2005 tout de même], ASEAN… Cet empire se fonde ainsi sur le dollar et sur sa puissance agro-industrielle considérés comme des armes stratégiques pour les Etats-Unis. Les OGM sont, dans cette perspective, au cœur d’une bataille géopolitique majeure. De plus, le pétrole est au cœur des préoccupations géostratégiques avec comme impératif principal de sécuriser les approvisionnements (le redéploiement américain dans le golfe de Guinée aurait là aussi pu être souligné. Mais comme pour les autres remarques, les choix d’éditions doivent être compliqués à faire en 80 pages). Enfin, l’auteur envisage le rôle de l’ « american way of life » dans l’attrait des nouveaux migrants s’accompagnant progressivement de l’hispanisation du continent, mais aussi dans la diffusion du modèle culturel américain par l’intermédiaire des médias mais aussi celui des églises évangélistes.
La dernière partie, « L’Empire défié : la nouvelle donne depuis 1989 », analyse tout d’abord la puissance militaire actuelle des Etats-Unis en éclairant les relations complexes entre le gouvernement et le complexe militaro-industriel. Gérard Dorel expose ainsi les quatre options majeures de la politique de défense américaine : la dissuasion nucléaire, la sanctuarisation du territoire, la lutte antiterroriste et la capacité de projection de ses forces partout dans le monde. Depuis la fin de la Guerre Froide on assiste à un redéploiement vers la Moyen-Orient. De même, plus encore qu’avant, le Pacifique est considéré comme « un lac américain ». Depuis le début de ses ambitions universelles, le continent américain est une constante de la politique extérieure et intérieure américaine au niveau militaire mais aussi économique. Le problème actuel de la cocaïne est évoqué comme celui des maquiladoras. Malgré tout, l’Empire est défié depuis le 11 septembre 2001, date qui apparaît comme l’entrée vers« une nouvelle forme de conflit qui remet en question leur posture géostratégique, déstabilise leur armée et leur diplomatie » (p. 72). Enfin, l’ouvrage se clôt pas une carte de l’américanophobie dans le monde, sorte de bilan qui pourrait être mal compris en document brut mais, le ton général de l’ouvrage ne laisse aucun doute sur ses intentions.
L’Atlas de l’Empire américain fournit des cartes d’une excellente qualité grâce à Madeleine Benoît-Guyod, cartographe-géographe, et ont l’avantage d’offrir de très nombreuses approches multiscalaires. Une bibliographie assez complète et un lexique tout à fait utile apparaissent comme autant d’outils intéressants pour le lecteur. L’enseignant pourra y trouver des études de cas précises comme celle sur le face à face nucléaire pendant la Guerre Froide (p.20-21) ou encore sur Google, Boeing ou Microsoft et Ford (dans la seconde partie). Le candidat aux concours de l’enseignement auront tout intérêt à consulter cet ouvrage pour une réactualisation minimale de ses connaissances. Plus largement, cet Atlas a tout à fait sa place dans un CDI ou une bibliothèque universitaire.
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