La Gestapo, de son véritable acronyme Geheime staatsppolizei ou police secrète d’État n’a jamais autant suscité la fascination que dans la production historiographique française. Or cette appétence pour ce sujet est surprenante selon les auteurs car l’historiographie de la Sippo-SD (Sicherheispolizei – Sicherheitsdienst, police de sûreté – service de sécurité) regroupant également la Gestapo et la police criminelle est longtemps restée le parent pauvre des chercheurs et historiens. Il faut attendre les premiers travaux de Serge Klarsfeld Klarsfeld Serge,La Shoah en France, 4 volumes, Fayard, 2001, 4674 p. puis d’Isaac Lewendel Lewendel Isaac, Vichy, les nazis et les voyous. La traque des Juifs en Provence, Paris, nouveau Monde, 2013, 443 p. sur la traque des juifs en Provence pour découvrir peu à peu le mécanisme de fonctionnement de la police allemande en France durant l’Occupation, ainsi qu de ses auxiliaires français et du régime de Vichy.
Ce sujet a, en revanche, attiré de nombreux auteurs extérieurs à la corporation des historiens, notamment des journalistes. Le résultat s’est concrétisé par une importante production de qualité très discutable, dont certaines thèses proches de l’extrême droite. Cette prolifération de titres portait principalement sur la Gestapo ainsi que sur l’institution de l’Office central de sécurité du Reich (RHSA, couramment nommé Sipo-SD) dont elle constituait l’une des 7 grandes directions.
Il faut préciser que cette organisation, tant sa réputation que ses méthodes et ses réseaux, avait très fortement marqué les esprits que, même durant la Seconde Guerre mondiale, les policiers allemands eux-mêmes accordaient une importance quasi hégémonique à leur appellation administrative d’origine : Gestapo, Kripo, SD ou Geheime Feldpolizei. Aussi, confronté à la complexité de l’organisation de la police allemande et au manque de travaux scientifiques, la littérature française a préféré, par sensationnalisme parfois, mettre en exergue certaines figures de proue de la collaboration française incarnant la trahison la plus hideuse et la plus répugnante : Henri Laffont et son collègue Bonny ou bien encore François Spiro et Paul Carbone à Marseille dont Alain Delon et Jean-Paul Belmondo interprètent les rôles dans Borsalino. De ce fait, la plupart des agents français demeurent anonymes même si tous n’entrent pas, et de loin, dans la police allemande par hasard. D’autres s’y enrôlent pour échapper au STO, par conviction politique, appât du gain, pour en retirer un salaire, voire par simple attrait du pouvoir. La situation française est par conséquent particulière, essentiellement focalisée sur la problématique de la trahison, alors qu’en Allemagne, la connaissance historique de la police allemande a remarquablement progressé notamment depuis une quinzaine d’années.
Autant l’Occupation et la répression à l’Est, notamment en URSS et en Pologne, sont désormais beaucoup mieux connues, autant celles menées dans les pays de l’Ouest comme en France, très différentes à cause des multiples politiques parfois contradictoires, souffrent de nombreux lieux communs que cet ouvrage devrait permettre de dissiper efficacement.
Le chapitre I s’interroge ainsi sur la nomination d’un haut dirigeant de la police et de la SS en la personne du général Oberg au printemps et la conséquence directe de confier l’action exécutive à la Sipo-SD et non plus à la Geheime Feldpolizei avec la particularité que ce furent les mêmes hommes intégrés avec un grade SS temporaire au sein de la Sipo-SD pour la durée de la guerre ! Peut-on considérer que ce changement d’administration eut une conséquence directe sur les modalités d’action de ces policiers allemands ? S’il est vrai que les accords Bousquet-Oberg de l’été 1942 eurent pour conséquence de renforcer la collaboration des polices allemandes et françaises notamment en ce qui concerne les rafles anti-juives et d’accroître la répression des activités communistes et anti-allemandes, qu’en fut-il de la période antérieure notamment celle des relations entre la préfecture de police de Pais et la Sipo-SD en ce qui concerne les « affaires juives » ?
Si le 1er juin 1942 constitue une rupture nodale dans l’histoire de la répression en France avec celle de novembre 1942 avec occupation complète du territoire, assise-t-on à des ruptures moins visibles mais tout aussi importante ? Ainsi du remplacement, imposé par le RHSA, de 13 des 17 responsables de Kommandantur de la Sipo-SD à l’automne 1943 par des hommes dont la loyauté et la conviction nationale-socialiste étaient éprouvées par la participation aux massacres de masse effectués à l’Est au sein des Einzatsgruppen ? Ce remplacement a-t-il également eu lieu dans d’autres secteurs où la Résistance se faisait plus virulente ?
Dans les territoires occupés de l’Ouest, il faut distinguer plusieurs espaces. Se singularisent tout d’abord les régions que les Allemands considéraient comme peuplées par des ressortissants de sang aryen, parlant ou comprenant l’allemand et qui sont donc appelées, conformément à l’ancien dessein pangermaniste repris par l’idéologie nazie, à rejoindre le Reich : Flandre, Alsace et Moselle progressivement intégrées à l’Altreich. Un second espace est constitué par les régions dont les habitants ne sont pas de sang allemand et dont le pays a été vaincu militairement comme la France. Ici s’exerce une collaboration acceptée par un gouvernement national. On retrouve cette répression dès le début de l’Occupation avec l’exemple du Nord-Pas-de-Calais, dans le chapitre 6 et en Wallonie. Enfin, un troisième espace était constituait par des zones occidentales où l’armée allemande devait faire face à de très fortes résistances armées et qui suscitèrent, en retour, des méthodes répressives expéditives inspirées de la lutte contre les partisans conduite à l’Est : c’est la situation de la Grèce, (chapitre 8), ou de l’Italie du Nord. Dans ce derniers cas, la collaboration entre les deux polices allemande et l’état croupion de la République de Salo s’appuie sur une longue période d’expériences, d’échanges et de procédés.
Bien entendu, les auteurs de cet ouvrage ont dû passer sous silence certaines problématiques, comme les expériences traumatisantes vécues par les victimes qui ont survécu à leur internement, la continuité, ou pas, de l’activité policière entre l’avant-guerre, la guerre et l’après-guerre.
L’ouvrage, est c’est là toute sa quintessence, ne se focalise pas simplement sur la politique répressive et les hommes qui ont servi dans la police allemande ou leur ont prêté main forte comme les auxiliaires de la Milice française. Ce livre aborde également l’épuration qui les a, ou pas, touchés dans l’après-guerre à travers les tribunaux militaires des pays occupés L’auteur de cette petite chronique confirme largement les conclusions des auteurs de cet ouvrage. LAMON Bertrand, L’épuration sauvage dans les Hautes-Pyrénées, Cairn, 2016,252 p., 25 €., les cours allemandes ou même le tribunal civil de l’Etat d’Israël pour le procès d’Eichmann. Chapitre 9. Ainsi, ce ne sont pas seulement les actes, mais aussi les discours des membres de la police allemande ou de leurs complices devant leurs juges qui sont ici abordés, étudiés et dont on peut retrouver des liens ténus avec le fonctionnement de la polycratie nationale-socialiste : après les suicides des chefs et la condamnation des principaux responsables à Nuremberg, chacun peut se prévaloir d’avoir exercé une position intermédiaire dans l’Etat nazi, responsable de son propre domaine de responsabilités, mais aussi soumis à des autorités supérieures. L’analyse de cet ouvrage permet à l’historien d’essayer de comprendre la psychologie des acteurs de cette répression de masse et du génocide à l’œuvre dans tous les territoires occupés par le IIIè Reich et dont la police allemande, souvent résumée à un mot – Gestapo – fut la pierre maîtresse.