Tiburce Oger est un passionné de la Conquête de l’Ouest, de ses mythes, de ses paysages et de ses personnages. Il a mobilisé autour de lui 16 dessinateurs pour en retracer l’histoire de 1763 avec les guerres anglo-indiennes, à 1938, et la crise du monde agricole, du monde des grands espaces.

l’Histoire par l’objet

Le récit s’articule autour d’un objet, une montre qui change de propriétaire, quasiment toujours dans la violence au fil des années et des déplacements, dessinant ainsi une carte et une chronologie de l’Ouest américain, où tous les mythes sont présentés et corrigés lors d’histoire courtes reliées entre elles par la montre.

Les Indiens, les coureurs des bois, les prostitués, les pionniers, les bandits, les héros du Pony Express, les enfants perdus ou enlevés, les marshalls, les chercheurs de pétrole, les soldats et les révolutionnaires peuplent des histoires d’amour, d’amitié, de loyauté, de violence, de trahison. La mise en scène est habile, les personnages attachants, le suspens permanent (avec une prédilection pour les histoires qui se terminent mal). On lit ici tous les westerns à la fois, car les imaginaires et les représentations de chacun peuvent s’intégrer à la lecture, mais Tiburce Oger nous invite à ne jamais en être dupe. Il revient toujours à l’humanité derrière les mythes, aux réalités derrière les rêves, individuels ou collectif.

Le mythe de la Destinée manifeste

« Go West, Young man, and grow up with the country » (Horace Greeley, 1865) était le leitmotiv pour accomplir la « destinée manifeste » des Européens en Amérique. Le mythe s’est construit en temps réel, ce que nous rappelle la montre, avec son tic-tac incessant : apportée en 1763 par un soldat anglais qui combat les Indiens par la duplicité et les armes chimiques (un cadavre vérolé déposé dans le campement pour décimer la tribu, elle montre qu’il ne peut pas y avoir de vainqueur, mais juste des drames. La « destinée manifeste » repose sur le mensonge et la guerre, sale. Le ton est donné pour l’ouvrage. Aucun des personnages ne trouve ce qu’il cherche, mais l’espoir reste et renaît sans cesse.

La géographie choisit par Tiburce Oger part de Pennsylvanie en 1763, puis s’oriente vers la Yellowstone River, le Missouri, l’Utah, Fairfax, le Texas, les territoires indiens, le Montana, le Kansas, l’Arizona, le Wyoming, et même la région du Chihuaha de Pancho Villa pour s’achever au Nouveau-Mexique. Tout comme la montre, cette géographie montre ce que les frontières doivent au hasard et aux choix.

La montre ne revient jamais deux fois au même endroit ! Les paysages sont magnifiques et invitent au voyage. Mais on peut regretter qu’une carte ne complète pas l’ouvrage. Ceci dit, la faire faire à des élèves pourrait se révéler intéressant.

Une déclaration d’amour

J’ai beaucoup apprécié cet ouvrage, où chaque dessinateur a pu apporter son univers sans nuire à la création d’un véritable ensemble. Le thème de la montre peut se lire comme un clin d’œil à Jean Van Hamme, qui dans la série XIII avait également utilisé cet objet pour raconter à la fois un siècle d’histoire américaine et une tragédie familiale américaine, entre immigrés irlandais, mafieux italiens, révolutionnaires mexicains et agents de la CIA. Un clin d’oeil également à Sergio Leone, le premier déconstructeur des mythes de l’ouest. Ce livre est une déclaration d’amour à l’Histoire, petite et grande comme au mythe, aux Etats-Unis aussi, avec en épilogue cette citation de Woodsworth : « Si j’effaçais les erreurs de mon passé, j’effacerai la sagesse de mon présent ». Encore une renaissance de l’espoir.