L’Ouest américain occupe une place importante dans l’imaginaire. Son mythe a attiré les premiers explorateurs du continent, a stimulé l’imagination de Chateaubriand. Il est encore présent comme le démontre le succès répété en France de Lucky Luke, parodie bien entendue mais aussi référence pour les enfants, jusqu’au Congo où, aujourd’hui encore, les vêtements de cow-boy de fantaisie sont à la mode. Ce mythe a par ailleurs été renforcé par les films de western, qui ont connu leur meilleur période entre 1930 et 1966, mais aussi par des ouvrages que l’Ouest a inspirés aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Comme le dit à juste titre Jacques Portes auteur de cet ouvrage, le rôle de l’historien n’est pas de démolir systématiquement ce mythe, mais bien de comprendre d’où il vient, de décaper son costume de scène, pour en prendre la réelle mesure. De toute façon, l’Ouest américain s’impose par sa force naturelle, son immense espace, qui a façonné ses premiers habitants et ceux qui l’ont par la suite envahi.

L’ouvrage trace un vaste survol en 11 tableaux de toute l’histoire américaine d’environ 10.000 ans avant notre ère jusqu’en 2015 pour mieux en faire ressortir les forces profondes, depuis l’arrivée des premiers Amérindiens, jusqu’au développement du gaz de schiste dans le Dakota du Nord. Pour l’essentiel, le territoire considéré se situe à l’ouest du Mississippi, bien qu’un historien éminent comme Frederick J. Turner 1861 – 1932. Historien américain, il publie en 1893 un livre phare dans lequel il souligne l’importance de la frontière (Frontier) dans la construction de l’identité du peuple américain : sa réécriture de l’histoire américaine s’articule autour de la conquête de l’Ouest et s’oppose, ainsi, à l’interprétation de l’« École teutonique » (« Teutonic School ») selon laquelle la démocratie américaine trouve son origine dans l’Allemagne médiévale et à l’« Eastern Establishment » qui interprète l’histoire américaine en fonction de la côte Est des États-Unis, voire de l’Europe. en 1893 le fasse débuter à la rive de l’océan Atlantique. Sans doute les Indiens, souvent dénommés Amérindiens, qui constituent la véritable population de l’Ouest, peuplaient-ils la totalité du territoire, mais la poussée continue des jeunes États-Unis les a très tôt déplacés au-delà du grande fleuve (Mississippi). Les travaux de recherche de Jacques Portes se concentrent essentiellement sur les relations entre la France et le Québec, sur la guerre du Vietnam et ses suites, ainsi que sur la culture de masse et la vie politique américaines. On peut réécouter ces interventions avec profit sur le site de l’émission « La Fabrique de l’Histoire » sur France culture.

On me pardonnera ce choix, mais j’ai souhaité me focaliser sur quelques entrées de l’ouvrage qui me paraissent non seulement emblématiques de l’Ouest américain mais aussi révélatrices du cliché ! C’est peut-être subjectif, certainement arbitraire, parcellaire, tronqué mais les sujets abordés nous permettent d’appréhender, aujourd’hui, l’altérité de cet Ouest si proche de nous et, en même temps, si éloigné.

Un siècle de Western

Le genre western a été présent dans le cinéma hollywodien depuis ses origines jusqu’au début des années 1980. Les États-Unis et les spectateurs du monde entier ont vibré au rythme de la cavalerie américaine, des Indiens perpétuellement pourchassés, des cow-boys solitaires. Ces films avaient une chose en commun et de profondément américain : la pure simplicité des sentiments et des valeurs et l’exotisme des paysages comme dans le Train sifflera trois fois de Fred Zinneman en 1952. Le genre s’est également enrichi de parodies avec les westerns italiens de Sergio Leone. Mais le mythe et l’épopée ont précédé le western en tant que genre. Dès la ruée des Américains vers l’Ouest, des histoires rocambolesques ont circulé, des héros sont nés, tout un imaginaire qui s’est peu à peu ancré dans l’inconscient américain. Ainsi Georges Catlin (1796–1872), peintre de Philadelphie, se fait le héraut de la cause amérindienne et d’une civilisation moribonde. Après sa mort, le gouvernement fédéral acquiert sa collection d’objets et le reconnaît comme un véritable artiste. Après la guerre de Sécession, les modes de transports et de communication sont bouleversés par la technique. Les journalistes se rendent sur les lieux où des affrontements se sont déroulés entre l’armée et les Indiens. Ils font vibrer les lecteurs, modifient et amplifient des faits souvent anodins, transformés en odyssée. Ainsi les agissements de Jesse James (1847–1882) engagé dans les troupes sudistes. Au début des années 1870, il est pilleur de banque avec son frère Frank, dans le Missouri, puis les deux frères sont les premiers à attaquer un train en 1873. Cette fulgurante carrière a attiré les médias. Des reporters on transformé cette épopée en geste héroïque et fait de Jesse James un héros pour la jeunesse. Ned Buntile fait de même en 1872 avec William Cody, transfiguré en Buffalo Bill. D’autres reporters s’emparent très vite de la fusillade de Tombstone (Arizona) le 26 octobre 1881, devenue Règlement de compte à OK Corral où s’affrontent les frères Earp, représentants de l’ordre et les hommes de main d’un gros éleveur Bill Clanton. Bien d’autres menus événements ont débouché sur des romans à 10 cents, les dime novels dans lesquels des auteurs magnifient et embellissent ces histoires banales.

Le Wild West Show arrive dans la même période et rend comte, à sa façon, de l’actualité en mettant en scène des affrontements entre Indiens et cow-boys, mais, comme Catlin, il a toujours voulu respecter l’authenticité en mettant en scène de véritables Indiens. Ce spectacle fera le tour du monde et connaîtra un succès phénoménal avec près de 30 millions de spectateurs ! La Grande attaque du train d’Edwin Porter 1903 est reconnu comme le premier western avec un puissant effet, car le dernier plan où le bandit tire de face a effrayé les spectateurs qui se sont enfuis de la salle ! Au début des années 1920, le genre western se fixe à Hollywood et représente 22 % des films produits, devant les comédies et films policiers. Le western se définit aussi par des codes précis, qui correspondent aux exigences des studios. Il a ses interdits contre la violence, les mœurs dépravées, les relations sexuelles interraciales, mais il prône des relations conjugales honnêtes et le respect de la religion. Les héros de western sont dans leur grande majorité des hommes, pétris du sens de l’honneur, qui respectent leurs femmes dévouées, même s’ils fraient quelquefois avec des prostituées dans ces saloons si souvent représentés. Presque toujours, ce héros est un bon Américain qui s’impose aux bandits ou lutte contre les Indiens. Fort de son bon droit, il parvient généralement à s’entourer d’un groupe d’acolytes avec lesquels il peut mener sa tâche à bien. Les rôles féminins restent secondaires. Les meilleurs de ces films sont des épures de situations typiques comme Rio Bravo d’Howard Hawks (1959). Ce film se déroule dans l’unique rue de la ville avec le grand et noble shérif (John Wayne), l’alcoolique qui cherche la rédemption (Dean Martin), la jeune femme qui n’aspire qu’à l’amour le plus noble (Angie Dickinson) et le vieux serviteur plein de malice (Walter Brennan). Le western réinvente aussi la réalité. Ainsi, le splendide décor de Monument Valley de l’Arizona a souvent été utilisé par John Ford. Mais jamais aucun colon n’a bâti la moindre ferme sur cette terre aride éloignée du tout, jamais une diligence n’a été lancée sur des pistes sans relais ni bourgade à desservir. La chevauchée fantastique de John Ford 1939 est un classique du genre. Tous les ingrédients et types humains sont réunis ; la prostituée au grand cœur, le marchand de whisky peureux, le bellâtre qui cherche à séduire la femme d’un officier de cavalerie, le banquier indélicat et le jeune homme en cavale pour vanter la mort de son frère. Décors de Monument Valley, ciel immense, collines sèches, diligence et attaque des Indiens, tout est réuni pour enflammer l’imaginaire du public. Mais le cow-boy qui respecte un code d’honneur et protège les innocents est un mythe : dans la réalité, tous les moyens étaient bons pour arriver à ses fins. Idem pour les Indiens, présentés comme un peuple de sauvages vaincus par la valeureuse cavalerie américaine. En 2014, le film The Homesman de Tonnmy Lee Jones aborde le sujet.

Le genre western va ainsi muter :

en 1962 dans L’homme qui tua Liberty Valance, John Ford donne une vision nostalgique de l’Ouest, en noir et blanc, avec une réflexion profonde sur la démocratie, l’amitié, la presse ;
en 1964, avec Les Cheyennes, il prend fait et cause pour les Indiens, déplacés et chassés de leur terre.

Tous ces films qui célébraient la grandeur de l’Amérique ou la réconciliation Nord-Sud ne pouvaient survivre au mouvement des droits civiques et à la guerre du Vietnam. Les premiers soldats partant pour le Vietnam avaient en tête les images des westerns. Ils partaient donc chasser les Vietcong comme les Indiens, sous les ordres de leurs officiers qui se prenaient pour John Wayne en déclenchant une charge victorieuse. Or, la réalité de cette guerre atroce les rappela à la réalité. Les terribles massacres du hameau de My Lai en 1968 où une unité américaine entière tortura, viola et massacra femmes et enfants sans raison militaire retentit comme un coup de tonnerre et fit écho au massacre de Wounded Knee. Les westerns tournés à cette époque ne pouvaient donc qu’épouser le temps de cette décennie. La Horde sauvage (1968) de Sam Peckinpah montre une conquête de l’Ouest violente, faite dans les massacres, de viols, de beuveries bien loin de l’honneur et de la vertu d’antan. Idem pour Little Big Man (1970) d’Arthur Penn qui brisa les codes du western. Ici, les valeurs sont inversées et il dénonce les comportements abominables de l’armée contre les Indiens et tourne en ridicule le général Custer tué lors de la bataille de Little Big Horn. Le public de New York applaudi à tout rompre ayant en tête les massacres perpétrés au Vietnam.

Cette mise à plat du western a été accentuée par la version spaghetti du genre. Durant une dizaine d’années, à partir de 1964, Sergio Leone 1929 1989 ont tourné un film par an dans les paysages d’Almeria en Espagne, censés représenter le Mexique ou le Nouveau-Mexique :
Pour une poignée de dollars (1964) ;
Pour quelques dollars de plus (1965) ;
Le bon, la brute et le truand (1966).

Ces westerns dépeignent un Ouest sale, violent, sans pitié où le héros ne vaut guère mieux que ses adversaires. Les personnages évoluent souvent dans des bordels picaresques au milieu de filles aguichantes et d’un mobilier qui vole souvent en éclat !

Au début des années 1970, Sydney Pollack, avec son film Jeremiah Johnson (1972) adresse une ode à la nature inviolée de l’Ouest et la relative harmonie des hommes et femmes d’origines diverses qui y vivent, dans les paysages montagnes Rocheuses. Mais ils sont rejoins par la violence destructrice de la civilisation. Idem pour le réalisateur Michael Cimino avec La porte du paradis (1979) où il narre un affrontement réel et sanglant entre éleveurs et fermiers dans le Wyoming, comme un exemple de lute des classes. Mais ce film, trop audacieux, fut éreinté par la critique américaine, mais pas en Europe. A partir des années 1980, le genre western disparaît mais reste le véhicule idéal pour quelques réalisateurs qui jouent de la nostalgie confrontée au monde moderne. Ainsi, Danse avec les loups (1990) qui se veut un hymne à l’équilibre naturel conservé par les Indiens au milieu du XIXe siècle. Kevin Costner fait tourner de véritables Indiens de la tribu des Sioux, dans leur propre langue avec sous-titre. Ce film, bien qu’il ait une grande noblesse n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Le lieutenant Dunbar incarné par Costner épouse sa future compagne dans la tribu des Indiens, mais celle-ci est blanche et enlevée par ces derniers quand elle était petite. Détail de peu d’importance peut-être mais il prouve combien il est difficile de se soustraire aux habitudes imposées par Hollywood depuis tant d’années. Enfin, dans Le secret de Brokeback Montain, d’Ang Lee (2006), le réalisateur utilise avec finesse l’apparence du western, en y détruisant soigneusement le mythe de la virilité triomphante. Le contraste est total entre cet amour homosexuel et tout ce qui véhiculait l’immense majorité des westerns. Quentin Tarantino dans Django Unchained (2013) renoue avec la démesure ironique et violente des films spaghettis ; son héros est noir, ce qui était impossible au bon vieux temps.

Une population composite

Durant la plus grande partie de l’histoire de l’Ouest, les Indiens, qui étaient les premiers occupants ont été en contact avec les migrants venus de l’est, issus en majeure partie de l’Europe. Puis, des populations mexicaines ont été intégrées, surtout au Texas, au Nouveau-Mexique et en Californie, suivies par les Chinois dans cet État au XIXe siècle. En revanche, très peu de Noirs américains ont atteints ces contrées en raison de la ségrégation qui les maintenaient dans les États du Sud. Très vite, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, cette composition sociale renouvelée n’est pas stable. Des mouvements très durs éclatent comme en témoigne la première émeute raciale à Watts, en juillet 1965. Une altercation entre une famille noire et la police lors d’un contrôle de routine éclate et le quartier se transforme en zone de guerre pendant six jours. 34 morts, 1 100 blessés, 4 000 arrestations, 977 bâtiments endommagés, des patrouilles militaires et un couvre-feu décrété : les émeutes de Watts sont ainsi les premières du genre aux États-Unis. Les Indiens connaissent, en ce début du XXe siècle, de profonds changements de statuts qui affectent leur mode de vie. Cependant, en 1917, le Bureau des Affaires Indiennes (BAI) s’étonne non sans un certain effarement de la stabilisation puis de la croissance démographique de ces derniers pour atteindre 523.000 individus. Lors du premier conflit mondial, les Indiens s’engagent massivement dans l’armée américaine,se retrouvent mélangés aux soldats blancs, contrairement aux Noirs, ségrégués, et se battent courageusement. Cependant, les Indiens n’obtiennent aucune émancipation ou droit. Ce n’est qu’en 1924 qu’une loi votée par le Congrès leur octroie la citoyenneté américaine et le droit de conserver la nationalité de leur tribu. Durant ce temps, le BAI fait l’objet de multiples critiques pour sa gestion quotidienne des tribus indiennes, entre corruption et autoritarisme.Il faut attendre l’arrivée d’une homme, John Collier (1884–1968) principal responsable de l’Indian New Deal, en particulier la loi sur la réorganisation des communautés indiennes de 1934 (Indian Reorganization Act), par laquelle il vise à inverser une politique de longue date d’assimilation culturelle des Amérindiens. Sa nomination à la tête du BAI marque donc un tournant décisif dans la politique indienne américaine et conditionne largement toute la période suivante : arrêt du fractionnement des terres, conseil tribal élu au suffrage universel par exemple. Certaines tribus, comme les Navajos, en profitent pour développer de puissante administration locale alors que d’autres périclitent. Après la Seconde Guerre mondiale où près de 25.000 Indiens s’engagent, les anciens combattants de retour au pays ne trouvent ni emploi, ni reconnaissance. Ils militent à nouveau pour leur droit. En 1953, une occasion leur en est rapidement donnée. Des parlementaires hostiles au New Deal de Collier souhaitent intégrer définitivement tous les Indiens à la citoyenneté américaine et décident de reprendre l’assimilation forcée de ces derniers. Cela s’appelle la Termination. Trop brutale, cette politique censée résoudre le problème indien est définitivement abandonnée en 1970.

Des Latinos et des Noirs

Devant l’afflux d’immigrants, la loi Johnson-Reed met en place des quotas. Rapidement, l’immigration de ne fournit plus la main-d’œuvre non qualifiée nécessaire à la bonne marche de l’économie de l’Ouest, comme la Californie. En revanche, les habitants du continent américain libres de passer la frontière constituent 46 % des immigrants en 1928. Les patrons font aussi appel aux Noirs du Sud, puis aux Mexicains pour les plantations de vergers en Californie. Ces changement amènent des villes du Texas ou de l’État de Washington à voir arriver ces populations pauvres, au faible pouvoir d’achat et qui contribuent à ralentir la croissance économique. La plupart d’entre eux s’agglutinent aux environs de Los Angeles dans de véritables bidonvilles, demeurent entre eux, parlent rarement l’anglais et ne peuvent envoyer leurs enfants à l’école.Après la guerre et la reprise économique, l’immigration latino s’amplifie dans l’agriculture et les petits boulots. Les conditions de vies sont très dures, misérables. Les propriétaires des grands domaines font venir ces travailleurs corvéables à merci, jamais syndiqués. Les Chicanos, appelés aussi wetbacks traversent en masse le Rio Grande. Il faut attendre 1965 pour voir émerger un syndicat latino de travailleurs agricoles et qui obtient gain de cause après 5 années de lutte contre des propriétaires viticoles. Cette victoire profitent aux populations hispaniques qui réclament, à leur tour, des droits (enseignement bilingue, droit à la différence). Ce n’est pas encore une victoire politique, mais les Chicanos se font reconnaître, comme l’illustre le succès foudroyant de la chanson La Bamba de Richie Valens.

En Californie, là où il y a toujours du travail, 3 000 000 Noirs arrivent entre 1950 et 1960. Comme les Hispaniques, ils occupent des places non qualifiées et connaissent des conditions de vie mauvaises. Le quartier de Watts, au sud-est de Los Angeles, s’est beaucoup étendu, sans offrir le moindre confort. Les logements sont surpeuplés le long d’avenues où les palmiers n’apportent qu’une ombre rare.Les habitants y subissent la discrimination, sociale et scolaire alors que les lois de 1959 et 1963, Rumford Fair Housing Act, qui interdisent la ségrégation dans l’habitat, ne sont pas respectées. En 1964, la Proposition 14 d’initiative populaire dans l’ensemble de l’État abroge les textes qui garantissaient un libre accès aux logements. Ce retour en arrière provoque un énorme mouvement de protestation.

L’Ouest aujourd’hui

Depuis la fin du XXe siècle, l’Ouest n’a plus besoin de western pour constituer une sorte de modèle. Ce ne sont désormais plus les valeurs individualistes de ces films mythiques qui comptent, mais celles d’une existence plus équilibrée, de modèles originaux, de développement durable et de relations souvent pacifiques entre des communautés.

Alors que la côte du Pacifique continue d’attirer des immigrants du monde entier, l’intérieur de la région s’est vidée progressivement. Les États comme le Nevada, le Montana, l’Idaho, les Dakota ou le Wyoming sont déserts. La densité y est très faible : l’Idaho comporte 1,6 million d’habitants répartis du 214 500 km2, le Montana 1 million sur 381000 km2. Cette population est d’autant plus visible que les fermiers ont disparu depuis la deuxième moitié du XXe siècle ; seuls subsistent de grands ranchs d’élevage extensif. Ces États de l’Ouest font le bonheur des touristes mais aussi des républicains les plus conservateurs qui y sont majoritaires. Il suffit de mentionner Dick Chenney, vice-président de George W. Bush et sénateur indéboulonnable du Wyoming. Et dans cette nature immense et superbe, ils sont quelques milliers à se prendre pour des rois du monde, vivant au rythme des saisons, sans aucune contrainte, persuadés qu’ils ne doivent rien au gouvernement, dans des États où personne ne paie des impôts fonciers. Ils sont propriétaires, ne possèdent pas, parfois, l’électricité, éduquent eux-mêmes leurs enfants lorsque les écoles sont trop éloignées, disposent d’un hélicoptère ou d’un hydravion pour pratiquer la chasse, vivent avec leurs armes et vont jusqu’à conduire leurs voitures sans permis. Les uns vivent leur relative autarcie de façon pacifique. D’autres sont de véritables idéologues, persuadés que leur existence est comparable à celle des premiers pionniers et que toute influence des différents niveaux du gouvernement est néfaste. Ce sont des libertariens convaincus mais qui restent toujours prêts à défier le gouvernement fédéral comme lors du siège de WacoCe siège se déroula dans la ville d’Elk, résidence des Branch Davidians, du 28 février au 19 avril 1993, et fit 88 morts..

Plus paisibles sont les écrivains qui pensent et rédigent, au milieu de cette nature et des animaux, sous le ciel immense « Big sky ». Ils sont arrivés là, séduits par le paysage et se fixent dans quelque bourgade. Certains gravitent autour de Missoula, une ville de 60 000 habitants à l’ouest du Montana qui est aussi le site d’une université avec 10 000 étudiants et un atelier de littérature créative bien connu depuis les années 1970. On peut citer les écrivains tels William Kitteridge avec La porte du ciel (1991), Dan O’ Brien qui rédigea plusieurs livres sur ses expériences comme Rites d’automne : le voyage d’un fauconnier à travers l’Ouest américain (1991). L’ouest s’est étendu au-delà des ses frontières usuelles, vers Las Vegas et l’Alaska, une ville totalement artificielle et un État quasi vide d’habitants. Las Vegas était un petit village mormon du Nevada dont le territoire a été acheté par Meyer Lansky et d’autres membres de la mafia américaine au début des années 1930. Ils l’ont transformé en capitale de la prostitution et du jeu mais, dans les années 1980, une épuration a eu lieu sous la pression de groupes religieux. Désormais, cette ville de 603 000 habitants est devenue la capitale du divertissement familial. L’Alaska est immense 1 718 000 km2 et 736 700 habitants. Achetée aux Russes en 1867, elle dispose de ressources minérales considérables dont du pétrole et des paysage à couper le souffle qu’il lui faut à tout prix préserver.

Une économie diversifiée

En 2014, les États-Unis ont accru leur avance plus tôt que prévu sur la Russie et l’Arabie saoudite comme producteurs de pétrole et de gaz. 90 % de la hausse de leur production est due aux gaz et pétrole de schiste. Cette production a été rendue possible grâce à l’usage de la fracturation hydraulique qui permet de pomper dans des réserves de pétrole léger, considérés auparavant comme trop coûteux. En raison des mesures d’économie de carburant causées par les nouvelles normes automobiles et grâce à cette hausse de la production, les États-Unis sont redevenus indépendants sur le plan énergétique, voire même exportateurs nets de pétrole. L’exploitation des énergies non conventionnelles présente d’indéniables avantages (autosuffisance, compétitivité) mais soulève de considérables questions écologiques : pollution des nappes phréatiques, secousses telluriques à répétition, paysage abîmé pour des décennies. Mais la majorité de l’opinion l’accepte avec l’impression de contribuer à la puissance de leur pays, d’autant que l’exploitation a lieu dans des zones très peu peuplées où les résidents profitent à court terme du boom économique sans se soucier de la suite (unité de production à court terme, fermeture des puits). Sans besoin du gaz de schiste, la Californie reste le premier État américain dans tous les domaines, avec 40 millions d’habitants et un PNB équivalent à celui de la Corée du Sud. Elle conserve l’image du modernisme avec la Sillicon Valley, la venue de milliers de jeunes ingénieurs et la création des réseaux sociaux. Or, depuis 2011, la Californie souffre de sécheresse permanente. Il ne pleut plus assez et la neige se faire rare en montagne. Certaines grandes vallées cultivées ne sont même plus irriguées ! Malgré des interdictions strictes et de considérables investissements en canaux, irrigation, retenue d’eau et maîtrise de la consommation d’eau, le problème reste aigu. A l’opposé, le Nord-Ouest de la Californie risque de ne pas souffrir de la sécheresse. La vallée de Willamette témoigne d’une importance arboriculture. De l’autre, une métropole comme Seattle avec seulement 655 000 habitants dispose de nombreux atouts. Elle est devenue une pépinière d’entreprise typiques de la nouvelle économie. Sans doute la firme aéronautique Boeing y est installée depuis les années 1930 et contribue à son essor, tout comme Microsoft ou encore Amazon, fondée en 1994.

L’ouvrage de Jacques Portes est un véritable régal de lecture et nous transporte, avec aisance, sur un territoire vaste et atypique. En 11 chapitres bien équilibrés, on parcourt, avec une grande facilité, les grandes scansions de la construction de cet Ouest qui tranche par ses opposés : des États quasiment vides de populations vivant en quasi autarcie avec une côte californienne, connectée au monde, attirant une population diplômée en réinventant un modèle social en devenir. Un livre à dévorer sans modération.

Bertrand Lamon © Clionautes