Ce livre savoureux est un régal pour les yeux autant que pour l’esprit . Il nous convie à un voyage en gourmandise à la recherche d’un péché capital souvent et toujours bien ambigu.

Un magnifique ouvrage à offrir en toutes occasions, un régal par les illustrations abondantes et de qualité (peintures, caricatures, estampes, photographies, affiches…) savoureux par le texte qui révèle des connaissances passionnantes dans un style vivant , accessible et dont on goûte souvent l’humour. C’est un voyage en gourmandise à travers les siècles que nous propose Florent Quellier.

La gloutonnerie ou la voracité de ventre au Moyen-âge :

Gula , l’un des sept péchés capitaux, était la première tentation s’opposant à l’abstinence et à une rigoureuse ascèse pour les religieux qui fondèrent les premières communautés de moines établies dans le désert égyptien. L’ordre suivi par les vices charnels ou spirituels indiquait une hiérarchie mais aussi un parcours. La gourmandise incitant aux autres vices.

A la fin du VI° siècle, l’ordre est repensé, inversé et la gourmandise se retrouve en avant-dernière position juste avant la luxure. Mais qu’entend l’Eglise par péché de gourmandise ? En passant du monde monastique à celui des laïcs la gourmandise a changé de signification. En s’opposant à l’idéal de la modération et non plus à celui de la mortification du corps, le péché de gourmandise a connu son premier assouplissement. Les théologiens médiévaux insistent bien moins sur le péché lui-même que sur ses dangereuses conséquences : affaiblissement des sens, colère, envie, luxure. Dans les injures médiévales connues par des sources judiciaires et littéraires, »glouton » et ses dérivés recouvrent le sens actuel de « goinfre » mais aussi de « dépravé », « débauché ».

L’auteur consacre un chapitre aux épisodes bibliques sur lesquels se fonde le péché de gourmandise responsable du péché originel qui conduit irrémédiablement à la luxure. Il nous offre ensuite une réflexion sur les miniatures, fresques et décors sculptés des églises médiévales qui proposent des représentations figurées de Gula. Ce n’est pas un hasard si la représentation de l’enfer, marquée par le feu, l’enfermement et la fumée, s’inspire du monde des cuisines .

La représentation médiévale du gourmand ne stigmatise pas un sexe, hommes et femmes peuvent être atteints également par ce péché. En revanche elle désigne des catégories sociales précises. Dépeinte comme un péché de riches et de puissants elle se rapproche alors de l’orgueil pour ceux qui mangent avec trop d’apparat ou de l’avarice. Gourmands et avares bafouent le principe de la charité chrétienne et du partage convivial.

Les Miroirs des princes (sortes de traités d’éducation) mettent en garde les grands de ce monde contre les dangereuses séductions de la table. Image de la concupiscence, la gloutonnerie devient l’attribut du tyran. Les romans du début du XIV° siècle (Le Roman de Fauvel ) illustrent cette idée et mais enseignent aussi que loin d’être un lieu de perdition la table peut aussi être un exemple d’édification et de perfection.

Au XIII° siècle, l’idéal de la modération supplante celui de la privation alimentaire. Moralistes, pédagogues et hommes d’Eglises cherchent à rendre acceptable le plaisir de manger. La codification des comportements à table sera la voie séculière élue pour lutter contre Gula, pour civiliser la gourmandise.

A partir du XIII° siècle également, les autorités ecclésiastiques mettent en avant les graves risques physiologiques que représenterait la gourmandise pour la santé. Qu’en est-il du discours diététique tenu par les médecins ? La diététique médiévale reposant sur les notions d’équilibre et de modération, il existe une indéniable parenté entre son discours et celui tenu par l’Eglise.

Nous apprenons au passage que le sucre de canne appartient à la sphère thérapeutique jusqu’au XVII° siècle car il est censé faciliter la digestion des aliments. Les confitures auraient la propriété de fermer l’estomac à l’issue d’un repas et on leur prêtait des vertus curatives.

Gourmandises de cocagne

Florent Quellier évoque ici une utopie médiévale : le pays de Cocagne, fable largement répandue en Occident à la fin du Moyen-âge et à la Renaissance. Une recherche documentaire très soignée lui permet de mettre à notre portée des textes du milieu du XIII°siècle avec la première description littéraire européenne du pays de Cocagne par exemple.

Il évoque cette invention médiévale mais aussi son imaginaire bien plus ancien qui puise dans les récits bibliques et les mythes de l’Antiquité. Fabliaux, poèmes et farces, tableaux, gravures et cartes parodiques permettent de savourer les paysages de Cocagne que l’auteur nous détaille dans ces pages où il évoque les couleurs locales de cette fable selon les différents pays d’Europe. Différences révélatrices de gourmandises régionales et de l’évolution des sensibilités gustatives entre le XIII° et le XVII° siècle.

Les mets de Cocagne offrent le goût une mixité sociale, les plats des jours de fête populaires cohabitent avec les pratiques alimentaires des élites. L’absence d’interdits sociaux, religieux ou moraux permet à chacun de boire et de manger selon son bon plaisir ce qu’il désire.

Dans un monde occidental marqué par une pénurie de graisses et une diète ordinaire maigre, les rêves de bonne chère d’alors sont avant tout marqués par le désir de gras. Cette utopie contient une charge contestataire implicite contre l’Eglise catholique, contre les pénitences alimentaires, les contraintes, les jeûnes et les abstinences calendaires d’obligation. Le pays de Cocagne offre une évasion par l’imaginaire à une population qui connaît le coût humain des pénuries alimentaires.

Revisité par la suite en repoussoir proposé à la jeunesse, Cocagne entre dans les traités d’éducation. Le pays de Cocagne est devenu un monde peu recommandable où se vautrent les paresseux et les goinfres en tout genre.

Volupté catholique, austérité protestante :

Nombre de textes médiévaux abordent la gourmandise des ecclésiastiques en l’associant souvent à d’autres péchés capitaux tels la paresse, la luxure ou l’envie. Florent Quellier commente ici quelques pages et nous signale que bien loin d’être un fantasme, cette imagerie témoigne du statut envié de secteur abrité dont jouit le monde ecclésiastique dans la géographie alimentaire de l’Occident chrétien.

Le thème se radicalise violemment dans la littérature pamphlétaire protestante aux premiers temps de la Réforme. Le bestiaire médiéval évoquant la gourmandise surgit sous la plume des pamphlétaires protestants. La thématique de la cuisine permet d’évoquer l’amour de la bonne chère mais aussi, dans un sens figuré, les malversations de l’Eglise (trafic des bénéfices ecclésiastiques, vente des sacrements, indulgences). Le thème du ventre n’est pas propre à la littérature polémique protestante, il est présent dans les pamphlets catholiques contre les réformés mais y désigne moins la gourmandise que la luxure.

L’auteur aborde ici également la critique classique de l’art du cuisinier comme art de fausseté, comme hypocrisie. Lors des jours maigres, les élites catholiques se régalent des poissons les plus frais ou des versions de leurs plats de viande adaptés pour le Carême. Respect du maigre et plaisirs de la table sont loin d’être incompatibles.
Le jeûne protestant est avant tout l’éloge d’une table sobre et sans excès, il est synonyme de modération.

L’auteur commente dans ce chapitre comment le modèle culturel anglais, marqué par le rejet de toutes les expressions du papisme, a résisté à l’art franco-italien de la bonne chère qui a fait de la cuisine non seulement un art de vivre et un sujet de conversation mais surtout une branche à part entière des Beaux-Arts.

Aujourd’hui encore, le rapport à la table et au plaisir gastronomique n’est pas le même en Europe du Nord, de culture protestante et en Europe du Sud, de culture catholique.

Ce constat conduit l’auteur à s’interroger sur le lien possible entre éthique catholique et plaisir gastronomique. Les communautés religieuses participent toujours à la production de denrées alimentaires de qualité et autres spécialités gourmandes.
L’auteur souligne ici le rôle essentiel joué par l’Eglise catholique dans « l’invention » du chocolat et sa diffusion en Europe. L’idée d’ajouter du sucre de canne au cacao amer des Aztèques est attribué à une communauté de carmélites installée à Oaxaca au Mexique. Cependant ,de la Renaissance au début du XIX° siècle, un courant rigoriste catholique hostile à la bonne chère traverse l’époque moderne. L’accent est mis sur l’utilité sociale, la recherche du bien public et il est intéressant de constater que les cas d’anorexie sont de plus en plus compris comme une pathologie et non plus comme une marque de sainteté.

L’assouplissement catholique des interdits alimentaires, des règles du jeûne, reposant sur de nombreux cas de dispenses individuelles ou collectives contribue à la déculpabilisation du plaisir gourmand. La nature exacte du chocolat a partagé autorités médicales et autorités morales catholiques au XVI° siècle. Est- ce une simple boisson tolérée afin d’épancher sa soif ou un breuvage interdit lié au plaisir et à la volupté ?

Entre laxisme et rigorisme, la position de l’Église catholique envers les plaisirs de la table semble hésiter et dépend surtout du sens donné à « gourmandise ».L’ivrognerie apparaît comme le vrai péché de gourmandise. Si le plaisir de boire et de manger ne donne pas lieu à des comportements indécents, l’Eglise catholique n’y voit aucun mal.

En faisant l’éloge de la modération et de la décence à table sans condamner les plaisirs gustatifs et œnologiques, l’Eglise catholique a accompagné les élites occidentales dans un « processus de civilisation de l’appétit » nous déclare Florent Quellier pour conclure ce chapitre.

Le règne des friands et des gourmets :

Si à partir du XVII° siècle s’impose une honnête gourmandise comme modèle culturel français, elle n’est pas née en France mais très probablement en Italie. C’est la naissance de l’honnête homme fin gourmet que nous commente Florent Quellier dans ce chapitre à partir de l’analyse de textes littéraires du XV ° , XVI° et XVII° siècles.

« Friand », « gourmet », « coteau » autant de termes qui permettent d’éviter l’usage de « gourmand » mot qui demeure péjoratif. L’auteur analyse ici les variations de sens des mots relatifs à la gourmandise. Dans les deux derniers siècles de l’Ancien Régime, le mode de vie des élites françaises est indéniablement marqué par un détournement hédoniste des buts de l’alimentation nous dit –il.
Il faudra attendre le milieu du XVIII° siècle pour que la « gourmandise » soit définie comme « un amour raffiné » et plus seulement « désordonné de la bonne chère ».Dès lors qu’elle pénètre le monde de l’honnêteté, la gourmandise devient un signe de distinction sociale, la marque d’une éducation.

Les Temps modernes poursuivent le lent processus de codification des manières de table apparu aux XII° et XIII° siècles. Florent Quellier nous en détaille les règles dans ces pages. Le repoussoir de cette civilité de table s’incarne dans la figure hideuse du goinfre dans la littérature de cette période.
L’art de la bonne chère va de paire avec l’art d’en parler.
Dès la fin du Moyen-âge un langage spécifique s’est développé pour désigner les qualités ou les défauts d’un vin. Non seulement le terme « gourmet » échappe à toute connotation négative mais, porté par l’hégémonie de la cuisine française et le prestige social du vin, il s’imposera dans les autres langues européennes au cours du XIX° siècle. Le bon goût s’apprend, se montre, se transmet.

A l’orée du XIX° siècle, le gastronome Brillat-Savarin, passeur culturel entre l’Ancien régime et l’époque contemporaine, écrira : « les animaux se repaissent ;l’homme mange ; l’homme d’esprit seul sait manger. ». Dans des sociétés occidentales fortement hiérarchisées et dominées par une aristocratie qui cultive à loisir sa distinction, la gourmandise est avant tout sociale.

L’auteur évoque également la nourriture comme ressort comique et burlesque dans la littérature du XVII° siècle. Dans les romans, les contes, les fables de l’époque moderne , tout comme dans la peinture, l’alimentation permet d’indiquer rapidement la position sociale des personnages.

L’honnête embonpoint est la traduction corporelle du fin gourmet. De la Renaissance au XIX° siècle il est un critère de beauté féminin et s’oppose à la laideur du maigre, du famélique, de l’osseux. Tout au long de son ouvrage, l’auteur analyse des tableaux de peintres sous l’angle des critères régissant le rapport à la nourriture de l’époque.

Pour l’historien Jean-Louis Flandrin, le recul de l’ancienne diététique mise à mal par les progrès de la médecine est apparue comme une libération de la gourmandise.

L’espace ainsi libéré a permis une revendication ouverte des plaisirs de la bonne chère, un nouveau discours admettant que l’homme mange pour se faire plaisir. La recherche de mets délicats, l’amour des bons morceaux, l’art de les reconnaître, le plaisir d’en parler sont loués comme autant de marques d’une éducation. La redistribution du jeu politique dans la France de la Monarchie absolue facilite la compréhension de l’émergence de la figure du friand. A partir du XVII° siècle, l’aristocratie française connaît une redéfinition de ses domaines réservés. De moins en moins guerrière, de plus en plus exclue du gouvernement, elle trouve dans la magnificence de sa table un des moyens de maintenir son existence sociale.

Le mouvement se poursuit au XVIII° siècle, la table sera un des lieux où s’épanouira la légendaire douceur de vivre des Lumières. C’est dans ce cadre que s’élabore une nouvelle cuisine, plus raffinée, plus inventive, ancêtre directe de la haute cuisine française.

Florent Quellier clôt ce chapitre par l’évocation de la caricature révolutionnaire au sujet du solide appétit de Louis XVI .Assimilé à un moderne Gargantua engloutissant toutes les richesses produites par le royaume ou à un animal à la voracité proverbiale. L’image du roi-cochon participe ainsi à la désacralisation du souverain dans les premières années de la Révolution tout en annonçant sa prochaine mise à mort puisque le destin d’un cochon n’est-il pas d’être saigné ? Nous trouvons ici des caricatures britanniques sur la gourmandise
déraisonnable de ce souverain. La caricature politique des XIX° et des XX° siècles continuera à associer le corps du gourmand à la voracité. On y retrouve l’image classique du gourmand peint comme un parasite, un profiteur voire une sangsue se nourrissant du sang du peuple.

L’âge de l’éloquence gourmande :

Florent Quellier évoque dans ces pages la littérature du défoulement carnavalesque. Longtemps ,l’Occident a cantonné les descriptions littéraires des plaisirs de la bonne chère aux registres du burlesque , de la satire et de l’érotisme.
Les ouvrages parodiques ont rendu possible l’évocation de la gourmandise à travers la vie de saint hareng ou de saint oignon. L’auteur nous fait suivre le martyr de saint jambon et de sainte andouille, l’un des quatre sermons joyeux d’un petit livre imprimé au XV° siècle.

Cette littérature facilite le détournement carnavalesque des valeurs religieuses et civiles associées à la table. Les exploits héroïques et comiques de grandes bouffes permettent de se moquer de la faim dans des sociétés marquées par l’insécurité alimentaire et de conjurer le spectre de la disette et la peur de la famine. Triviale,la nourriture demeure largement absente des genres nobles. Les personnages mangent dans les comédies de Molière mais pas dans les tragédies de Corneille.

Seul le discours médical permet de disserter sur les plaisirs de la table jusque dans les livres de cuisine, au moins jusqu’au milieu du XVII° siècle .Nécessaire alibi pour dire le plaisir gourmand.

Peut – on revendiquer le plaisir de la bonne chère ou faut il user d’un artifice religieux, moral ou médical pour en parler ? Les réponses de la littérature culinaire et de la peinture suivent une chronologie proche qui invite à revoir l’interprétation traditionnelle des natures mortes et des scènes de genre des XVI° et XVII° siècles en s’inspirant des historiens sur les livres de cuisine.

Florent Quellier consacre quelques pages à l’Almanach des Gourmands (1803-1812) de Grimod de la Reynière. L’auteur y livre les bonnes adresses de la capitale, des « itinéraires nutritifs » et dispense aussi des règles de savoir-vivre. Grimod invente un nouveau genre littéraire mais échoue dans sa tentative d’anoblissement du terme « gourmand ». Le XIX° siècle européen lui préfèrera « gastronome ».L’œuvre de Brillat- Savarin contribuera aussi au succès du discours gastronomique naissant.

Au XX° siècle l’art de la bonne chère peut prétendre accéder au rang de patrimoine. D’autant plus que la société de loisirs a transformé les spécialités gourmandes régionales en atouts touristiques majeurs.
L’alibi culturel permet d’assouvir sa gourmandise aujourd’hui. Une identité gourmande peut être associée à une ville, à une région, un pays. La gourmandise s’entend dès lors comme un apprentissage, une culture, un art de vivre identitaire autrement dit un héritage dans lequel une communauté peut se reconnaître.

La gourmandise, une faiblesse du sexe faible :

Affaire entendue de longue date, le sexe féminin aurait une préférence pour le goût sucré. Cette forte et ancienne association culturelle des femmes au monde des sucreries est révélatrice du statut réservé par les hommes aux femmes dans les plaisirs de la table. Elle dénie aux femmes toute aptitude aux hautes sphères de la gastronomie. Qui plus est les femmes partagent le goût des sucreries avec les enfants !
Longtemps l’acte créateur de cuisiner a exclusivement relevé du masculin. Il faudra attendre 1795 pour qu’un livre de cuisine français soit attribué à une femme et encore ne s’agit- il que de recettes de pommes de terre !

D’autre part ,la gourmandise féminine est liée à un sous entendu sexuel, et constitue soit le signe d’une prédisposition à la galanterie soit la marque d’une compensation à l’absence de vie sexuelle. L’art de la séduction intègre le don d’aliments, corbeilles de fruits, confitures par les galants en mal d’aventures. La réputation licencieuse du chocolat procède de la même association « lascivité –plaisir ». Nombre de gravures déclinent ce lien entre consommation de cacao et libertinage érotique.

Partout l’imaginaire occidental associe le chocolat à la sexualité. L’asperge, l’artichaut évocations du sexe masculin sont considérés également comme aphrodisiaques. L’huître et la figue, évocations du sexe féminin sont chargées d’une forte connotation sexuelle dans la culture occidentale. L’auteur nous invite ainsi à considérer avec un autre regard bon nombre de natures mortes du XVII° siècle.

L’importance des références à l’alimentation dans les contes et romans libertins tient à ce lien quasi systématique entre séduction et plaisirs de la table. L’érotisation de l’acte alimentaire induit obligatoirement une retenue de la femme honnête face aux plaisirs gustatifs.

Dans les dernières pages de ce chapitre Florent Quellier aborde la « gourmandise canaille », celle du petit vin blanc et des filles qui sont belles à l’ombre des tonnelles. Celle du plaisir gourmand hors du cadre guindé du repas gastronomique, transgression consciente des contenances de table imposées par la société en présence de l’autre sexe. Le cornet de frites bien grasses joue ce rôle de nourriture canaille depuis la fin du XIX° siècle. Les frites qui se mangent avec les doigts, dans la rue .A l’imaginaire coquin de la fête s’ajoute le plaisir de briser un interdit diététique, un mets pourfendu par le discours médical.

Saveurs d’enfance, l’infantilisation de la gourmandise :

On apprend dans ce chapitre que le terme enfantin marqué par le doublement d’une syllabe, bon-bon désignait un médicament enrobé de sucre destiné aux enfants et que la gourmandise a toujours été considérée comme un défaut naturel des enfants, du Moyen-âge à nos jours.

Entre la deuxième moitié du XVIII° siècle et le XIX° siècle naît en Occident une littérature spécifiquement destinée à l’enfance, des historiettes fortement moralisantes qui mettent en garde contre ce défaut majeur et ses conséquences.

Mais n’en déplaise aux moralistes, la gourmandise des enfants est perçue comme normale et comme rassurante par la population. Potelé et grassouillet le jeune enfant est la fierté des mères et des nourrices dans une société marquée par une effroyable mortalité infantile jusqu’au XIX° siècle .L’embonpoint est perçu comme un signe de vie et de santé.

Ce comportement alimentaire se retrouve au sein des classes sociales défavorisées qu’elles soient du XX° siècle ou du début du XXI° siècle. Etres de bons parents revient à ne pas priver les enfants sur la nourriture, c’est-à-dire sur la quantité et sur les aliments qu’ils aiment (sodas, confiseries etc…)
Les pédagogues et parents des Temps modernes étaient divisés quant à l’utilisation de friandises comme récompense ou comme sanction par leur privation.
Qu’elle soit nourrice, gouvernante ou mère, la femme ne serait pas étrangère à cette prédilection infantile pour le sucre .Florent Quellier se garde de l’anachronisme qui consisterait à résumer les gourmandises enfantines au seul règne des sucreries. Les enfants d’hier appréciaient les fruits chapardés dégustés sur l’arbre, les mets salés et surtout le pain.

L’auteur évoque ensuite la transmission d’une saveur gourmande par le maintien de plats et d’habitudes culinaires selon son pays ou sa région d’origine renvoyant à une enfance mythifiée qui, par la cuisine d’une mère ou d’une grand- mère rappelle un pays ou une région natale plus ou moins fantasmés.

Conclusion :

Le retour en force d’un joug médical pesant et d’un discours diététique moralisateur a réactualisé le péché de gourmandise dans des sociétés pourtant marquées par un recul historique des Églises chrétiennes.

La gourmandise demeure un péché de classe mais inversé par rapport à la période médiévale car ce sont les milieux sociaux les plus défavorisés, les plus pauvres qui connaissent les plus forts taux d’obésité dans les sociétés occidentales contemporaines. La peur du cholestérol, du diabète, de la surcharge pondérale, des cancers , des maladies cardio-vasculaires entretient la mode des aliments sans (sans sel, sans sucre, sans gras), des aliments allégés et des alicaments.

Mais l’alimentation peut –elle être réduite à une simple question de nutriments ? Le plaisir gourmand n’est-il pas indispensable au bien être psychique du consommateur et au commerce entre les hommes ?

Tous les imaginaires occidentaux ont été revisités aux XX° siècle et au XXI° siècle par les agences de publicité . Florent Quellier nous livre ici des commentaires très intéressants dans ces pages qui concluent son ouvrage. Les publicitaires décrètent ainsi la fin du péché de gourmandise :

« C’est bon, la honte ! »

Noëlle Bantreil Voisin © Clionautes

Florent Quellier est maître de conférences en histoire moderne à l’université de Tours et titulaire d’une chaire CNRS histoire de l’alimentation des mondes modernes. Ses recherches portent sur l’histoire des cultures alimentaires sous l’Ancien Régime.