Professeur de sociologie et d’histoire à l’UCAD de Dakar, Moustapha Tamba s’est fixé la tâche ambitieuse de s’arrêter en un peu plus de deux cents pages sur les multiples discours produits sur l’Afrique, les Africains et les Noirs ; ceci de l’Antiquité à nos jours et principalement en Europe et en Amérique. Il a « privilégié les écrits étrangers », indique-t-il en introduction, sans tenir compte de la « production de l’intelligentsia africaine ». Comme c’est souvent le cas, l’auteur cantonne ainsi l’africanisme à une production extra-africaine de savoirs sur le continent et ses populations, qui nous en dit parfois plus sur les sujets étudiant que sur l’objet de leur étude. Le choix d’embrasser la très longue durée ainsi que le monde atlantique dans son ensemble explique sans doute cette vision étroite de l’africanisme. Il n’en demeure pas moins qu’il serait riche d’enseignements de rapprocher des discours de l’africanisme classique ceux, relevant du registre scientifique voire littéraire ou encore panafricain, produits sur eux-mêmes et sur le continent par des Africains d’Afrique comme des Noirs des Amériques. L’entreprise aurait été à vrai dire plus ambitieuse encore. Précisant que ses recherches se sont étalées sur cinq ans – au Sénégal, en France et au Royaume-Uni -, l’auteur reconnaît avec modestie être conscient des limites de son travail.

L’ouvrage est découpé en trois grandes parties chronologiques déséquilibrées : sept pages pour l’Antiquité, trente-neuf pour la période comprise entre le IVe et le XIXe siècle et une centaine pour le XXe siècle jusqu’à nos jours. L’auteur précise en conclusion que la production de savoir et d’archives sur l’Afrique durant le XXe siècle fut « sans commune mesure dans l’histoire universelle ». Le siècle dernier a certes été celui de la massification de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de la production d’imprimés. Le lecteur pourra toutefois juger que l’ouvrage ne tient pas ses promesses dans ses parties concernant la période pré-coloniale de l’histoire africaine, où des jalons assez bien connus sont esquissés à grands traits : l’intérêt des auteurs grecs et romains pour la civilisation égyptienne, l’importance des Africains du littoral méditerranéen tel Augustin dans la naissance du christianisme, les précieux écrits arabo-berbères médiévaux sur les populations du sud du Sahara et de la côte orientale du continent, l’émergence d’une diaspora noire en Europe et aux Amériques entre les XVe et XVIIe siècles, les récits de voyage en Afrique des Européens de l’époque moderne, les ambiguïtés du siècle des Lumières au sujet de l’Afrique et des Africains, l’enseignement et la littérature au service de la colonisation civilisatrice au XIXe siècle.

À vrai dire, l’ambition première n’a pas été de proposer un commentaire argumenté, une analyse fouillée ou une réflexion approfondie sur l’africanisme des origines jusqu’à nos jours mais plutôt de compiler quantité d’informations, en particulier sur « la mise en place des institutions et des structures pour une meilleure connaissance de l’Afrique ». Publié chez L’Harmattan-Sénégal, l’ouvrage apparaît finalement comme un manuel plus particulièrement destiné aux étudiants africains francophones, notamment à ceux qui entendent poursuivre des études en sciences humaines en Europe. Il prend en effet souvent la forme d’un recensement des centres de recherches en études africaines d’Europe et d’Amérique du Nord, apparus généralement après les indépendances, ainsi que d’une liste de périodiques publiés sur l’Afrique – l’annexe 3 regroupe 807 titres – et d’une évocation des principaux auteurs africanistes, missionnaires, écrivains, universitaires…, classés selon leur localisation : France, Royaume-Uni, Europe du Sud, Europe centrale et orientale, Amérique du Nord, Brésil, Caraïbes.

Fréquentes et intéressantes, de brèves mises au point permettent de replacer les discours et études sur l’Afrique dans leur contexte historique. Nous suivons ainsi l’émergence du monde atlantique avec les parcours de « découvertes » et de domination des Européens, mais aussi les circuits empruntés par les diasporas noires, esclavisées en Europe puis massivement aux Amériques, ensuite libérées dans le contexte de la seconde colonisation élaborée au XIXe siècle, et enfin émigrées de l’époque coloniale et post-coloniale.

Sans m’attarder outre mesure sur les assez nombreuses erreurs et coquilles, je voudrais aborder finalement ce qui m’apparaît comme le plus problématique dans cet ouvrage, en l’occurrence la liste de citations constituant les annexes 1 et 2, classées respectivement comme « discours négatifs » puis « discours positifs » sur l’Afrique, les Africains et les Noirs. Cette classification binaire mutile la complexité de la plupart des discours, qui par ailleurs peuvent difficilement être réduits à quelques mots. Outre le fait qu’une telle classification a peu d’intérêt selon moi, elle manque parfois de la rigueur la plus élémentaire. Le président français Emmanuel Macron apparaît en première position des discours négatifs, autrement dit comme la citation choisie la plus récente. Le footballeur Neymar figure pour sa part en première position et le président du Sénégal Macky Sall en troisième position des discours positifs. Surtout, certains propos classés comme « négatifs » ne correspondent pas à la pensée de leurs auteurs. Ainsi, Arundhati Roy est cité parmi les discours négatifs, alors qu’il évoquait simplement le fait que le racisme des Indiens à l’égard des Noirs était très important. Il en va de même pour Fodé Diawara ou Charles Monteil. Que font ces auteurs aux côtés de Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Le Pen, Bernard Lugan, Houston Stewart Chamberlain, Alexis Carrel, Arthur de Gobineau, Julien-Joseph Virey, Friedrich Hegel, Voltaire, Thomas d’Aquin ou Aristote, qui ont tenu des propos que l’on peut effectivement considérer comme négatifs voire dégradants pour les Africains ? Par ailleurs, l’universitaire Léon-François Hoffmann a été classé parmi les discours négatifs du XIXe siècle alors qu’il est décédé il y a quatre ans seulement. Tamba lui attribue des propos très dévalorisants sur les Noirs tandis qu’il ne faisait que résumer la pensée des auteurs romantiques du début du XIXe siècle dans son ouvrage de référence, publié en 1973 et intitulé Le nègre romantique.(1) De plus, les propos du ministre Decrès : « La liberté est un aliment pour lequel l’estomac des Nègres n’est pas préparé » ont été abusivement attribués à Napoléon Bonaparte.(2) Une phrase placée entre guillemets, comme si elle était tirée du Code noir, semble plutôt provenir d’une page Canopé.(3) Enfin, je ne suis pas sûr que ces mots du président zimbabwéen Robert Mugabe : « tant que je continue à utiliser le papier hygiénique blanc pour nettoyer mon anus noir, je suis heureux » participe d’un discours positif.(4)

Malgré cela, cet ouvrage doit être pris comme un effort de synthèse intéressant, en particulier pour son recensement des nombreuses institutions et structures, créées au XXe siècle en dehors de l’Afrique, pour une meilleure connaissance du continent. À la fin de son introduction, Moustapha Tamba renvoie ses « lecteurs insatisfaits à consulter d’autres travaux sur l’Africanisme ». Je m’autorise à les guider pour finir en citant l’ouvrage majeur de Valentin-Yves Mudimbe : L’invention de l’Afrique (1988), dont une traduction française a enfin paru l’an passé aux éditions Présence africaine, ainsi que le livre issu de la thèse d’Emmanuelle Sibeuh intitulé : Une science impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France, 1878-1930, aux éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.

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(1) Moustapha Tamba, p. 186 ; Léon-François Hoffmann, Le nègre romantique, Paris, Payot, 1973, p. 97.
(2) Moustapha Tamba, p. 187 ; Frédéric Régent, « Napoléon rétablit l’esclavage », dans Paulin Ismard dir., Les mondes de l’esclavage : une histoire comparée, Paris, Seuil, 2021, p. 272.
(3) Moustapha Tamba, p. 189 ; https://www.reseau-canope.fr/eduquer-contre-le-racisme-et-lantisemitisme/racisme-anti-noirs.html
(4) Moustapha Tamba, p. 192.