Une histoire de la société militaire entre Rhône et Pô au temps de François Ier et Henri II. La version allégée de la thèse de Julien Guinand1 traite de l’impact sur les sociétés qui ont bu passer les armées, une histoire de la société en guerre, un roi, chef de guerre et une administration royale par et pour la guerre.
Dans son introduction l’auteur définit les mots « faire la guerre ». Il rappelle qu’au XVIe siècle la guerre renvoie à la culture chevaleresque de la noblesse entre honneur et courage pour servir le roi. Cependant la guerre est aussi un phénomène social englobant, au sens donné par Marcel Mauss.
Le fait guerrier est donc à analyser à différentes échelles et sans se limiter au moment des combats.
Le XVIe siècle est une période charnière tant sur le plan des armes que des modes de combat étudiée par divers historiens comme le rappelle l’auteur.
La guerre
Les portes de l’Italie
Cette vaste région entre Rhône et Pô est d’abord un espace de montagne, une limite qui paraissait aux hommes du XVIe siècle difficile à franchir comme en témoignent les nombreux textes cités. Les réalités administratives, Dauphiné, Provence, Savoie en font des territoires plus ou moins contrôlés, un espace sans unité politique.
Le franchissement sur des routes étroites et dangereuses est rendu pénible par la pente. On pourra se reporter à l’intéressant projet d’archéologie expérimentale menée en 2019 sous la conduite de Stéphane Gal de l’Université Grenoble-Alpes : Traversée des Alpes en armure sur les traces de François 1er : une expérimentation scientifique inédite2.
La guerre en montagne, sur la frontière est bien sûr en relation avec les guerres d’Italie qui se déroule dans la plaine du Pô. Elle mérite une étude particulière.
L’auteur propose une chronologie détaillée de cette guerre entre 1515 et 1559.
L’art militaire
Le chapitre 7 est une description des différentes tactiques selon que la menace est forte ou non sur les cols. On y vit les lieux de regroupement de l’armée en amont ou en aval des Alpes en fonction de la route choisie avec plus de prudence que ne le laisse croire l’image souvent utilisée de la « furia francese ». L’idée qui domine est qu’il faut trouver le lieu le plus favorable pour le combat. De fait rare furent les combats en montagne. La guerre est le plus souvent une guerre de coups de main et escarmouches notamment pour saisir des vivres. Ce que les contemporains nomment la « guerre guerréante » même si certains rédigent des ouvrages sur la conduite de la bataille ; il est vrai que Pavie a laissé de mauvais souvenirs.
L’auteur prenant appui sur les travaux de Florence Alazard nuance l’idée d’une guerre violente. Il évoque la fougue, la désobéissance de certains chevaliers et deux épisodes de violence contre des révoltés dans des contextes différents (Tarentaise, Lubéron).
Dans le Piémont c’est une guerre de position à partir des places fortes qui forment un réseau, contrôlent les routes comme le montrent les exemples cités.
La guerre au quotidien
L’auteur aborde cette question grâce à trois personnages : François d’Anglure, Guillaume de Maugiron, François de La rivière pour lesquels il dispose de sources précises ce qui permet un récit détaillé des hasards heureux ou malheureux de leur carrière militaire. On y voit le microcosme d’une troupe recrutée par le capitaine dans sa province, entourée de femmes, enfants, marchands qui la suivent dans sa marche. Une troupe qui se reconnaît à ses couleurs3. On observe aussi la discontinuité du service au-delà des monts et nombre de détails sur le quotidien d’un groupe d’hommes en arme qu’il soit à pied ou à cheval, sur la quête d’honneur, les ambitions d’ascension sociale et les risques aussi ?
La bataille
Ce dernier chapitre est consacré à la bataille de Cérisoles le 14 avril 1544, deux armées face à face, bannières déployées. Le récit permet de percevoir l’engagement des hommes et des matériels. L’auteur précise le contexte du siège de Carignan, l’attente de la décision, le déroulement des combats, la violence de la fin de bataille et la recherche du butin.
Les hommes
Le commandement des armées
Si le roi est bien chef de guerre, en son absence sur le terrain le commandement est assuré par les « capitaines », chefs de groupe dans un esprit chevaleresque où les faits d’arme valent reconnaissance, sans réelle hiérarchie. L’auteur analyse cette complexité de commandement. On rencontre des personnages connu, l’incontournable Bayard mais Guy de Maugiron représente bien ces personnages, leurs fonctions militaires et administratives4. Le connétable et les maréchaux qui le secondent tire son pouvoir de la couronne. C’est la proximité à la personne du roi qui confère l’autorité quand elle s’accompagne d’une réelle expérience militaire. Le jeu entre pouvoir et autorité est montré à travers plusieurs exemples. Le pragmatisme domine la manière de commander. Mais les capitaines doivent aussi rendre compte au roi de leurs actions.
D’autre part en l’absence de cartes le recours aux informateurs est important.
La guerre au Piémont demeure une affaire royale même en l’absence du souverain sur le terrain comme en atteste les correspondances entre le roi et ses capitaines.
Les hommes de guerre du roi
La description des divers corps : cavalerie lourde des chevaliers, cavalerie légère, fantassins et archers est précise. L’ordonnance de 1534 sur l’armement des compagnies d’ordonnance montre l’adaptation progressive à l’emploi des nouvelles armes à feu. Le recrutement et la formation des soldats est précisé comme dans le cas de la cavalerie légère, réservée aux escarmouches, qui, au début du moins, est recrutée dans les Balkans.
Les « gens de pied » sont les plus nombreux, mercenaires suisses lansquenets allemands sont des troupes d’élites comme les Suisses d’Anne de Montmorency engagés en Italie en 1522 et 1525.
Les besoins de la guerre et de la diplomatie amènent à recourir à des Italiens, intéressés à servir le roi de France comme les « gens de pied » français, gascons, provençaux, qu l’on cherche à recruter car considérés comme plus fables, notamment dans la défense de leur région5.
C’est donc une armée disparate mais nombreuse, plus de 35 000 fantassins, plus de 7000 cavaliers franchissent les Alpes en 1515. Les effectifs fluctuent au fils du temps. On constate progressivement une professionnalisation pour répondre à la nécessité de contrôler les terres conquises. L’étude de l’armée du Maréchal Brissac illustre le propos.
Les moyens de la guerre
Le soutien matériel des troupes
Ce chapitre est consacré à la logistique : comment nourrir hommes et bêtes, stocker et transporter armes et munitions ?
Depuis des points d’appui sur le Rhône en amont puis dans le Piémont (Pignerol), le franchissement des Alpes est organisé par étapes de plus en plus structurées. Cette organisation est précise avec une surveillance des prix et une taxation des denrées sur le parcours, pour éviter les débordements au passage des gens de guerre. Les autorités locales sont associées à cette gestion qu’un fond d’archives permet d’étudier (1536 – 1556) sur la route de Lyon à Suse.
La fortification de la frontière
Une lente prise de conscience de la nécessité de nouvelles formes de fortification en rapport avec le développement de l’artillerie explique les nombreux travaux entrepris. Face à Charles Quint c’est aussi au Piémont que le roi décide de fortifier quelques places importantes (Turin, Pignerol, Fossano, Coni). L’auteur note le savoir-faire italien dans ce domaine. Ils sont aussi sollicité pour protéger la Provence, un effort important que l’auteur qualifie de « pouvoir royal fortificateur »6. La fortification est une marque de souveraineté. Cette politique initiée par François Ier est poursuivie par Henri II jusqu’à la défaite de St Quentin en 1557.
Le financement de la guerre
La durée et l’éloignement des combats, l’importance des troupes engagées nécessite un réel effort financier. L’évaluation des coûts est difficile. L’entretien d’un soldat est évalué, pour 1535, à 15 deniers/jour ce qui représente le tiers de sa solde. Rappelons que le soldat à pied comme le chevalier doit acheter son équipement : une pique vaut 10 sols, le chevalier doit dépenser 600 à 700 livres, cheval compris. La solde est définie par des ordonnances royales.
On peut évaluer le coût d’une compagnie, celle d’Anne de Montmorency en 1537 coûte plus de 350 000 livres pour le mois de novembre.
A ces sommes il faut ajouter les dépenses des travaux de fortification.
Pour faire face le Trésor royal dispose des impôts aux quels s’ajoute en 1549 le taillon pour l’entretien de l’armée. Les mécanismes de recettes et de dépenses, les dangereux transferts de monnaie sonnante sont décrits. On y voit l’aliénation de terres du domaine royal pour parer aux imprévus et surtout le recours à l’emprunt. La présentation de l’exemple comptable de Brissac permet de comprendre les nombreuses difficultés à surmonter.
Conclusion
Si lors de la paix de Cateau-Cambrésis les « portes de l’Italie » sont rendues au Duc de Savoie, l’auteur conclue sur le renforcement du pouvoir royal associé à cette guerre.
Un livre qui propose un nouveau regard sur la guerre française à la Renaissance. A noter l’encart central de reproductions en couleurs qui complète l’ouvrage.
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1 Thèse soutenue en 2017
2 Trois scientifiques ont décidé de revivre la traversée des Alpes, avec l’objectif expérimental de mesurer scientifiquement la performance accomplie par le roi de France et son armée. C’est l’objet du projet MarchAlp (Marche Armée dans les Alpes) qui est présenté dans un reportage du CNRS : 1515, une armée dans les Alpes.
Le documentaire « Des chevaliers dans la montagne » retraçant la traversée des Alpes en armure réalisée par l’historien Stéphane Gal en juillet 2019 a reçu le prix jeunesse du film d’aventure scientifique lors des Rencontres Montagnes et Sciences 2019. Détails et Teaser
3 Voir les enseignes et étendards dans l’encart central annexe II et III
4 Guy de Maugiron est Lieutenant général du Dauphiné
5 Comme en 1536 les Provençaux face aux armées de Charles Quint
6 Carte des places françaises p. 157 et au Piémont p.168