Édith Garnier est une historienne spécialisée dans les conflits, notamment maritimes, entre les grandes puissances du XVIe siècle. Guillaume du Bellay : l’ange gardien de François Ier est son troisième ouvrage. Elle avait auparavant fait paraître aux éditions félins les travaux suivants : L’Âge d’or des Galères de France (2006), qui reprenait le sujet de sa thèse passée dix ans plus tôt (1996) et L’Alliance impie : François Ier et Soliman le Magnifique contre Charles Quint (2008) qui retraçait la diplomatie officielle et secrète de la France auprès de « la Sublime Porte » sous le règne de François Ier et dont il sera beaucoup question dans cet ouvrage par l’intermédiaire du personnage de Guillaume de Bellay, seigneur de Langey.
Cet ouvrage vient compléter le vaste chantier de recherche historique entrepris depuis quelques années par Cédric Michon sur les conseillers de François Ier et est également à mettre en parallèle avec l’étude biographie que le même historien a consacré à son frère, Jean du Bellay.
Avant d’aller plus loin dans cette présentation, il me faut avertir au préalable que la lecture de cet ouvrage a été rendue bien difficile et quelque peu désagréable par la présence très importante de « coquilles » (plus d’une centaine) qui allaient de la simple erreur de typographie à des fautes, beaucoup plus embarrassantes, sur le nom des lieux, des personnages et des dates.
Il faut également prévenir le lecteur qu’il s’agit ici de la vie romancée de Guillaume du Bellay, qui suit donc une structure linéaire. Or, la densité des informations qui ont trait au contexte – forcément nécessaire pour appréhender au mieux le personnage et son action – peut rapidement dérouter le lecteur non-spécialisé de l’histoire européenne de la première moitié du XVIe siècle.
Une carrière militaire en demi-teinte
Guillaume du Bellay est présent dans la gloire militaire comme dans la défaite. Il participe à la bataille de Marignan, puis à la campagne de défense de la Picardie contre les offensives impériales sous les ordres du duc de Vendôme, gouverneur de Picardie (1521) et enfin à la bataille de Pavie (1525), durant laquelle il est fait prisonnier (mais sera libéré rapidement).
Lors de l’expédition navale contre Naples (1527-1528), il est chargé par le roi de superviser en son nom le recrutement, l’approvisionnement et la coordination des opérations. Tout cela sans aucun budget de départ. Il puise dans ses fonds propres pour financer cette expédition. Après l’échec complet de celle-ci, Langey se retrouve ruiné et poursuivi pour faillite, événement qui se reproduira tout au long de sa vie.
En 1530, les frères du Bellay sont néanmoins admis au Conseil. Guillaume du Bellay doit son ascension à la sœur du roi, Marguerite de Valois, qui le protège et avec qui il tisse des liens forts et durables, et qui lui permet de graviter autour de François Ier. C’est ainsi qu’il devient gentilhomme de sa chambre et par ce biais intime de la personne royale (1524). Jean de Bellay, évêque de Bayonne, quant à lui doit sa carrière à Anne de Montmorency, dont il est le protégé. S’ils sont admis au Conseil, c’est avant tout pour récompenser le rôle clef qu’ils jouent dans la diplomatie de la France.
Le réseau secret de Langey
Le seigneur de Langey est chargé par François Ier de nombreuses missions diplomatiques. À l’issue de celles-ci, il constitue un réseau officieux de correspondants œuvrant au service des intérêts de la couronne de France.
Après la bataille de Marignan, il reste cinq ans en Italie. Durant ce premier long séjour, il séjourne tour à tour dans toutes les grandes villes d’Italie : Padoue, Pavie, Bologne, Ferrare, Gênes et principalement Rome, où il sert d’agent d’influence pour conforter la position de François Ier dans la Péninsule. Pendant ces cinq années, il met en place un réseau informel de correspondants, qu’il recrute parmi les érudits italiens progressistes qu’il rencontre.
Il en ressort certaines caractéristiques de ce réseau, en Italie et en Europe de façon générale : structure extrêmement souple, sans véritable hiérarchie ni gains garantis. Les agents du réseau – très souvent des érudits humanistes – sont avant tout unis par un dévouement indéfectible à la personne de Langey, avec qui ils partagent les mêmes convictions et deviennent très souvent amis.
Après la paix des Dames (1529) et l’instauration d’une « Pax Hispanica » en Europe, ce sont de nombreux érudits et lettrés, convaincus du danger que représente l’omnipotence de Charles Quint, qui rejoindront le réseau des correspondants de Langey. Pour lutter contre l’hégémonie impériale, Guillaume du Bellay conduit secrètement une guérilla diplomatique, sorte de guerre d’usure, menée grâce à son réseau, pour raviver partout où cela est possible la contestation envers l’Empereur, et notamment en Allemagne. Il anime également – avec son frère Jean du Bellay – la résistance à l’empereur, auprès d’Henry VIII et des différents papes successifs.
Guillaume du Bellay est enfin un des principaux acteurs des relations diplomatiques ultra-confidentielle entre la France et « la Sublime Porte ». L’Empire ottoman constituait le seul candidat de taille à pouvoir rivaliser avec l’empereur Charles Quint. C’est d’ailleurs Guillaume du Bellay qui est à l’origine de l’idée des « Capitulations » qui permettent, sous couvert d’établir des relations commerciales privilégiées, de donner un caractère officiel aux relations franco-turques.
La « plume » de combat de François Ier
En plus de son rôle secret mais notable dans la diplomatie française, il devient également la « plume » que François Ier utilise pour rédiger les textes à caractère politique. Le premier texte survient après le désastre de Pavie. Il est diffusé dans toute l’Europe pour justifier du refus du roi de France de respecter le traité de Madrid, signé alors que François Ier est prisonnier de son ennemi Charles Quint.
Guillaume du Bellay est ensuite à l’origine de nombreux textes de propagande à destination des souverains allemands insoumis à la tutelle impériale, et qui posent nombre d’accusations contre l’empereur, que celui-ci ne peut laisser sans réponse. Lorsque Charles Quint prend le temps de répondre aux attaques, la réponse fait aussitôt l’objet d’une riposte pamphlétaire du seigneur de Langey. qui rend Charles Quint fou de rage, et qui lui fera dire à propos de son détracteur que « sa plume à elle seule m’a fait plus de mal que toutes les lances bardées de France ».
Homme de lettres érudit
S’il est devenu la plume de combat de François Ier, c’est parce que ce personnage est un exemple d’humaniste accompli : solide érudition prodiguée par d’excellents maîtres humanistes, à l’université d’Angers puis à Paris, maîtrise du grec et du latin, écriture virtuose, talents oratoires.
Guillaume du Bellay est au cœur des tensions religieuses qui apparaissent dans la seconde partie du règne de François Ier. Il prend part à des projets qui œuvrent à la conciliation religieuse (la Convention de Bâle par exemple en 1534). C’est ainsi que durant l’été et l’automne 1533, les du Bellay se trouvent en première ligne des critiques par la faculté de théologie de Paris, qu’il accuse de complicité avec l’hérésie. Un an plus tard, l’affaire des Placards éclate. En plus de faire avorter les projets de conciliation religieuse en cours, elle instaure à Paris un climat de terreur et d’encouragement à la délation. Langey permet d’ailleurs de faciliter la fuite de nombreux de ses amis suspectés : parmi les plus connus, le célèbre pédagogue et humaniste allemand Jean Sturm ou encore le poète Clément Marot.
Le gouvernement du Piémont
L’épisode le plus intéressant de la vie de Guillaume du Bellay est assurément lorsque celui-ci reçoit le gouvernement de la ville de Turin (puis celui du Piémont).
La première partie du gouvernement de la capitale de la province récemment conquise (en 1536) se révèle une épreuve terrible pour notre personnage. En effet, il se trouve en binôme avec le maréchal René de Montjean, lieutenant-général de Piémont et son supérieur hiérarchique. Or, un fossé profond sépare les deux hommes, que tout oppose : au grand noble lettré et humaniste répond le chef de guerre, inculte, brutal et avide. Montjean l’accable de travail et de brimades. Il est de plus assigné à résidence et coupé du monde avec pour seule présence celle d’Anne, son épouse, et Rabelais, son ami.
Il faudra à Guillaume du Bellay d’attendre la mort dudit Montjean (septembre 1539) pour prendre sa place à la lieutenance-générale de Piémont. Véritable « vice-roi » dans sa capitale de Turin, il met en œuvre un véritable programme de gouvernement, inspiré des conceptions humanistes qui l’ont bercées depuis l’enfance. Il remet sur pied le pays ravagé du temps de son prédécesseur, restaure l’économie, rétablit les circuits d’approvisionnement, créé des institutions politique et judiciaire, développe l’enseignement – en ré ouvrant notamment l’université de Turin et en faisant venir de nombreuses personnalités humanistes.
L’atmosphère y est euphorique à la manière d’une ruche bourdonnante, qui inspirera l’abbaye de Thélème de Rabelais. Ce moment, ô combien fragile, précède de quelques mois la mort de Guillaume du Bellay, et de quelques années le début de l’embrasement religieux qui enflamme l’Europe.
Conclusion
Ce livre constitue une porte d’entrée idéale pour le professeur qui souhaiterait par la lecture d’une biographie romancée appréhender les différentes thématiques qui sont au programme d’histoire des classes de cinquième et de seconde : François Ier, un prince de la Renaissance, la République des Lettres, le conflit qui oppose Charles Quint à Soliman, l’émergence des contestations religieuses, etc.
