C’est avec un premier numéro consacré au périurbain que Les Cahiers de l’IAU rentrent à la Cliothèque. Cette luxueuse revue trimestrielle, créée en 1964, rend compte des travaux engagés par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile de France, cet organisme qui réfléchit aux problématiques spécifiques à la région capitale. Alors que les discours des urbanistes comme des politiques mettent de plus en plus en avant les idées de densité, d’intensité urbaine, il semble nécessaire de réfléchir à l’articulation entre ville compacte et habitat individuel alors que celui-ci est toujours plébiscité par les Français.
La réflexion s’organise autour de trois grands axes : comprendre, agir, anticiper. C’est par les producteurs de l’espace périurbain que les chercheurs de l’IAU abordent cet espace. Estimant que ce sont surtout les mobilités et la géographie sociale qui sont les clés de lecture du territoire périurbain, leur objectif est de comprendre les stratégies des acteurs du périurbain afin d’accompagner ces territoires vers plus de maturité. « Choix par défaut, idéal villageois ou espace de transit, l’habitat périurbain procède d’un appariement entre conditions sociales, genres et cycles de vie. Par leur capacité d’autonomie, certains vont maîtriser et s’approprier l’environnement, pour d’autres ménages moins mobiles, l’installation périurbaine sera parfois synonyme de repli et d’isolement. » Une série d’articles, très référencés, permet de dresser « la palette des représentations et des pratiques du territoire » par les habitants du périurbain.
Le but du volume n’est pas de décrier le périurbain. Les idées reçues sont déconstruites. L’individuel pur et l’individuel groupé représentent seulement 30% de la construction depuis 25 ans en Ile de France, contrairement au reste du territoire français. 90% des lotissements sont situés à moins de deux kilomètres d’une gare : la dépendance automobile de ces localisations résidentielles est donc à relativiser. Dans le projet du SDRIF (schéma directeur de la région Ile de France), les secteurs à densifier sont ceux qui se situent dans un rayon de 1 kilomètre autour d’une gare. Construire une maison individuelle dans l’interstice de deux autres n’a rien de scandaleux comme l’indique l’article d’Annabelle Morel – Brochet qui relate une recherche portant sur des ensembles pavillonnaires ouvriers de l’entre-deux-guerres. C’est ce qu’elle appelle de la densification par le bas, un concept qui envisage aussi la cohabitation de plusieurs générations sous le même toit. La densification par le haut est plus mal vécue sauf s’il s’agit d’insérer du petit collectif. Encore faut-il que dans tous les cas, les problèmes de stationnement soient envisagés pour éviter les conflits d’usage.
Ces états de fait ne minimisent pas pour autant la notion de « captivité » développée par Lionel Rougé, qui signe ici un article sur les spécificités de l’habitat pavillonnaire. Pour ceux qui ont « choisi » (choix souvent limité par des contraintes financières importantes) d’habiter dans le périurbain lointain (dans des communes « low cost »), l’accès à la propriété, pourtant signe de distinction sociale, peut se révéler comme un piège lorsque le coût des transports pèse trop lourd dans le budget familial. Pour éviter l’enfermement au sein du périurbain, il faut veiller à créer des polarités secondaires qui permettront de réduire les déplacements des habitants de ces espaces. Cela va dans le sens des recherches engagées par Yannick Sencébé dans le périurbain dijonnais. « L’univers de socialisation et le parcours biographique viennent également ordonner les manières de s’approprier des lieux et d’entretenir des liens, selon les ressources acquises et construites pour maîtriser la mobilité et ses conséquences. » Il distingue deux formes d’appartenance périurbaines : l’attachement au domicile fait que celui-ci est le pôle principal autour duquel sont organisés le temps et les mobilités des habitants. L’ancrage se distingue de l’attachement par le fait que les habitants sont mieux insérés dans le milieu local et ont des mobilités pas seulement polarisées autour de leur domicile.
Le débat organisé à l’IAU par Lucile Mettetal et Tanguy Le Goff avec Martine Berger, Lionel Rougé et Philippe Estèbe tend à montrer que le périurbain s’affirme véritablement comme un tiers espace et est bien une terre d’avenir. Martine Berger rappelle ainsi que « le débat sur la non-durabilité spatiale, qui tend à stigmatiser le lotissement pour la consommation abusive qu’il fait de l’espace, oublie d’être objectif en rappelant la part consommée par les infrastructures de circulation qui permettent de relier les villes et qui profitent beaucoup aux urbains, ou encore la part consommée par les zones d’activités qui se déconcentrent dans des espaces moins coûteux, et qui profitent également aux urbains qui viennent y travailler et y faire leurs achats. » Il est nécessaire d’examiner l’ « Homo periurbanus » en abandonnant un regard urbano-centré. C’est d’ailleurs parce que ces ménages sont pluri-actifs qu’ils peuvent accéder à une propriété de ce niveau. La multiplication des communes multi-polarisées témoignent de cette pluri-activité des ménages. Malgré tout, le périurbain n’est en rien un espace uniforme. Martine Liotard, architecte dplg, urbaniste et docteur en géographie de l’aménagement, souhaite insister sur « les inégalités entre l’Ouest francilien, qui bénéficie d’une unité de lieu, de l’emploi à proximité, d’une certaine homogénéité sociale, et l’Est, réservoir de main d’œuvre de l’Ile de France. » Le bonheur n’est pas encore dans le pré périurbain francilien !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes