A partir d’une suite d’essais il met en relation les problèmes conjoncturels et les soubassements structurels nés du contexte colonial et son renversement en 1804 qui oppose paysannerie, issue de l’esclavage, attachée à l’imaginaire africain et élite de culture occidentale incapable de penser un nouvel ordre social et politique depuis la révolution.
Questions politiques
Cette première partie s’ouvre sur les partis politiques en Haïti depuis la chute du régime duvalieriste en 1986 : multiplication excessive des partis, défense des intérêts particuliers, non respect des formes institutionnelles et en même temps absence d’une expression de la société civile en dehors des partis. L’auteur dresse un tableau noir de la vie politique des 30 dernières années.
Dès lors la voie d’accès au pouvoir passe soit par le coup d(état (militarisme) notamment entre 1804 et 1915 soit par le populisme en particulier depuis 1957 avec un rapport spécifique à la religion : Duvalier et le vaudou, Aristide et le catholicisme.
A la suite des études sociologiques de Jean Eddy St Paul, l’auteur traite d’un point à la fois très actuel et préoccupant : le poids des groupes armés et des milices entre « tontons macoutes » et « chime » qui permettent au leader de rester au pouvoir.
L’analphabétisme est vu comme la première cause de cet état de fait, d’une vie politique gangrenée par la corruption. Cette situation est renforcée par l’éloignement de la vie politique des intellectuels haïtiens qui se consacrent à la « réhabilitation » du « noir » à l’échelle mondiale.
Revenant sur l’histoire l’auteur décrit 4 périodes : 1804-1859 ou la création anti-coloniale et antiesclavagiste, 1860-1915 sous la pression des puissances étrangères, 1915-1986 Haïti sous le modèle de l’occupation américaine avec la mise en place d’un régime présidentiel autoritaire, enfin depuis 12986 : une crise de l’État, crise économique, crise culturelle.
Pistes pour l’avenir : Glodel Mezilas insiste sur la nécessité d’une réécriture de l’histoire récente qui restituerait la mémoire des « sans-voix », une réappropriation de l’expérience de solidarité paysanne issue de l’esclavage face au concept D’État-Nation occidental, la construction d’un imaginaire collectif ancré dans le créole. Il développe l’idée d’une renaissance de ce qu’il nomme le « kombite » (page 63) , l’entraide communautaire qui est aussi une véritable philosophie. Il propose par exemple de refuser la périodisation historique comme produit européen non adapté à Haïti et développe une théorie « kombiste » du savoir indispensable à la compréhension de la réalité haïtienne et capable de résoudre les problèmes du pays.
La première partie se clôt sur de courts chapitres :
Le rapport art et politique avec Wyclef Jean et Michel Martelly lors des élections de 2010,
Le projet post-séïsme « Kita Nago » (le retour aux mythes pour dépasser la violence physique et morale du tremblement de terre, une nouvelle vision du vivre ensemble.
La question d’une réparation par la France en restituant la dette de l’indépendance
Le vide institutionnel récent, le crise conjoncturelle actuelle
La signification du drapeau haïtien.
Questions socio-culturelles
Haïti : une société multiculturelle, des minorités et la laïcité observées à l’occasion de l’affaire Michèle Duvivier Pierre Louis voir Haïti. De la dictature à la démocratie ? de Bérard Cenatus, Stéphane Douailler, Michèle Duvivier Pierre-Louis, Étienne Tassin, Mémoire d’encrier, 2016, l’auteur en fait une analyse philosophique autour de la place des minorités, sphère privée/sphère publique, identité, religion , morale et éthique.
Autre aspect : la question de la langue français ou créole ? Dans ce pays , en dépit de la volonté de rupture affichée en 1804 les élites demeurent francophiles et la langue créole est dépréciée même si depuis 1979 l’emploi du créole est prévu comme langue d’enseignement et le français comme langue seconde. Cette réalité se retrouve dans la littérature à domination francophone malgré le développement au XX ème s. du « roman indigéniste » dont le célèbre Gouverneur de la Rosée de Jacques Roumain qui autorise un syncrétisme linguistique. Il existe une littérature créole avec des auteurs comme Lyonel Trouillot qui écrit aussi en français ou le poète Léon Laleau.
Dans la vie quotidienne le français évoque la raison, la culture, la science, la langue du prestige social quand le créole est la langue de la vie pratique.
En marge de son propos l’auteur analyse la situation des petits vendeurs haïtiens du secteur informel, quelques centaines installés au Costa Rica pour introduire une réflexion théorique sur la dimension utopique de la théorie sociale.
Qu’est-ce que l’Haïtien? Une interrogation sur l’imaginaire collectif ou son absence qui permet une discussion philosophique sur les théories de l’identité.
La réflexion théorique est également conduite sur la nature de la bourgeoisie haïtienne qualifiée de « compradore« : une bourgeoisie commerçante qui profite de la faiblesse de l’État pour s’enrichir aux dépens des intérêts de la nation et dont la relation au reste du pays est marqué par le racisme.
Enfin tout un chapitre est consacré à l’auteur haïtien, installé au Canada, Dany Laferrière.
Questions haïtiano-dominicaines
Cette troisième partie interroge le paradoxe d’Hispaniola, l »île aux deux visages.
Il s’agit de décrire et comprendre les racines historiques de l’hostilité dominicaine : une dynamique identitaire fondée sur l’anti-haïtianisme, le métissage Indien/Espagnol récusant tout lien à l’Afrique.
L’auteur propose un survol historique : le « blanchiment » de la population dominicaine, le positionnement opposé aux racines africaines, l’influence de cette histoire sur la vision des Dominicains vis-à-vis des migrants haïtiens. Pourtant l’aide apportée au lendemain du tremblement de terre de 2010 introduit un nouveau temps dans les relations entre les deux états, une occasion de dépasser les souvenirs du passé. Mais les choses semblent plus complexes puisqu’une décision du tribunal constitutionnel dominicain de septembre 2013 prive des milliers de Dominicains d’ascendance haïtienne de la nationalité dominicaine. L’auteur l’analyse au regard du droit constitutionnel, de l’histoire et des Droits de l’homme.
Et si la musique … ou l’histoire de la chanson « Palito de coco » expression de l’âme haïtienne et véritable tube dominicain, une lueur d’espoir.
En annexes quelques discours politiques de 2016.